Thomas Jorion

« Passages, l’exposition présentée à la Galerie Insula, est une invitation à contempler des espaces délaissés : coursives, passerelles, arcades… Des lieux « entre » qui jouent ici le rôle de métaphores visuelles. Ne sommes-nous pas entre deux temps, passé et présent ? L’homme s’il existe, semble être de passage lui aussi ; il a laissé quelques traces : des vêtements pendent tranquillement sur un fil, quelques bancs somnolent contre une paroi… Seule la nature semble tirer avantage de cet abandon, envahissant une architecture jadis luxuriante. Escaliers, portes, fenêtres…
Thomas Jorion pose son regard sur ce à quoi nous ne prêtons pas attention ou si peu… ce qui renforce l’idée de « traversée ». Nous sommes alors poussés à dépasser l’aspect visuel immédiat pour s’interroger sur le passé de ces lieux, leur histoire oubliée, et ce qu’ils symbolisent. Cet ailleurs hors champ donne toute la profondeur à ses photographies. La contemplation des œuvres de Thomas Jorion ne se limite donc pas à une observation statique. L’image devient une sorte de porte entre les mondes, où la réalité se dilue pour laisser place à l’émotion. Traverser l’image, c’est aller au-delà de l’évidence photographique pour accéder à une autre forme de réalité plus introspective.

Depuis 2013 et la sortie de son premier ouvrage Silencio, Thomas Jorion ne cesse de traquer la poésie qui émane des ruines, tout en constituant une archive mémorielle parallèle. Qu’il pose sa chambre argentique grand format en Inde, à Cuba ou au Liban, il se dégage de ses compositions au cordeau, un parfum de mystère.
Les photographies de Thomas Jorion transcendent leur propre matérialité en nous incitant à franchir les seuils des architectures abandonnées, non seulement physiquement mais aussi mentalement. Ce qui fascine, c’est la manière dont chaque image semble contenir un appel implicite à regarder au delà du cadre en ouvrant une porte vers l’imaginaire, un espace mental vaste, presque infini, où l’image devient un passage vers une autre dimension. Figés à jamais dans une lumière naturelle soigneusement choisie, tôt le matin ou tard l’après-midi, ces lieux nous interrogent sur l’impermanence de notre civilisation et nous rappellent, avec une infinie délicatesse, la fragilité de notre condition humaine. »

Sylvie Hugues,
Correspondante à l’Académie des Beaux-Arts,
Septembre 2024