Juin, 2022

Teen Spirit

jeu16jui(jui 16)10 h 00 minmer07sep(sep 7)18 h 00 minTeen SpiritVincen BeeckmanEspace JB, 32 rue des Noirettes studio 526 Carouge 1227 Switzerland

Détail de l'événement

Bâtiment Arcoop – 32 rue des Noirettes – 5ème étage – Carouge
Tram ligne 15 – Arrêt Pictet Thelusson

J’avais déjà croisé quelques images de Vincen dans des expositions et interventions du collectif BlowUp, dont il faisait partie, mais j’ai réellement découvert son travail en attendant mon tram à Anneessens (station bruxelloise sur laquelle il est intervenu avec une mosaïque de photographies). J’ai été marquée par ces photos qui montraient les gens du quartier, c’était juste qu’ils soient-là ! Mais j’ai aussi accroché au style de ces clichés – même si Vincen se défend d’en avoir un ; une simplicité et une réalité délivrées comme un coup de poing ou un couplet d’NTM. Le « ton » de ces portraits et de ces images m’a plu et j’ai suivi, depuis, ses expositions et ses projets avec la perspective qu’un jour je trouverais le moyen de collaborer avec lui.

Cette exposition sur l’adolescence, Teen Spirit, au BPS22 était l’occasion rêvée. Je voulais qu’il y ait, au sein de l’exposition, un ancrage avec la ville et j’ai proposé à Vincen de travailler avec des adolescents de Charleroi. Il connaissait déjà bien la ville car il fait partie, depuis longtemps, des artistes défendus par la Galerie Jacques Cerami à Couillet. Mais, depuis 2015, il a aussi entamé plusieurs séries de photographies à Charleroi, notamment à la Devinière, une institution de santé mentale située à Farciennes et à la Piscine de Loverval. Plus récemment, pour le Vecteur, il suit le folklore lié aux Zèbres, l’équipe de foot de Charleroi, et côtoie l’équipe des jeunes, les pom-pom-girls, l’archiviste du club, etc.

Depuis début 2020, pour Teen Spirit, Vincen Beeckman rencontre et fréquente des adolescents de Charleroi dans différents contextes de vie. Un casting a été organisé au BPS22 où tous les ados ayant répondu présents étaient « pris », c’est-à-dire qu’il n’y avait pas de véritable sélection mais plutôt une rencontre pour proposer à des jeunes de faire partie du projet. Vincen a ainsi pu partager des moments de vie de plusieurs adolescents, les suivre dans la ville, à leur stage de théâtre ou en haut d’un terril. Il a assidûment fréquenté l’internat le Phénix[1] où vivent des ados – pour la plupart – coupés ou isolés de leur famille, ainsi que la maison des jeunes La Broc située en plein cœur de Charleroi. Et il s’est encore plongé dans l’enseignement professionnel, à l’Université du Travail, en suivant le parcours d’ados qui apprennent leurs futurs métiers au travers de plusieurs filières. Enfin, avec Céline Lefèvre, il s’est posté à l’arrière du Décathlon, où de nombreux jeunes traînent, pour les rencontrer et récolter leurs mots. Dans cette effervescence juvénile à partir de laquelle les images se sont accumulées, j’ai pu découvrir la façon de procéder de Vincen, la manière dont il s’est immiscé dans la vie de ces ados et son rapport à la photographie. J’ai aussi pu sonder son parcours qui met en lumière la cohérence de son travail et les caractéristiques de sa pratique photographique.

Adolescent, Vincen passe beaucoup de temps sur les terrains de basket où il rêve d’une carrière professionnelle. A 18 ans, suite à des problèmes de contrat, il arrête le sport et entre à l’IHECS pour suivre des études en communication. Il aime la photo mais sans plus. Pourtant, c’est au travers de la photographie qu’il va se révéler en réalisant, pour son mémoire de fin d’études, son premier reportage, en Inde, sur les Hare Krishnas. C’était la première fois qu’il quittait l’Europe et il avait trouvé ce plan via une copine de l’école dont la mère s’occupait d’une communauté Hare Krishna, en Belgique. C’est donc en autodidacte qu’il s’intéresse et apprend les rudiments techniques de la photo, tout en se risquant à des effets de flous qu’il obtient grâce à une plaque de verre recouverte de vaseline. A sa grande surprise, il obtient une excellente note, la meilleure de son année, grâce à ce reportage. Le déclic s’opère, il veut faire de la photo ! Et c’est d’ailleurs une des raisons qui le motive à ne pas aller au bout de ses études (il ne rendra jamais son mémoire théorique) pour être certain de ne pas avoir de plan B ou un possible métier. Il est alors contraint de se battre pour la photo et de réussir à en vivre. Il commence à explorer le monde de la photographie et va très vite rejoindre le collectif BlowUp au sein duquel il fait ses armes et connaît ses premiers succès. Poussé par le principe du collectif qui consiste à faire des images du quotidien proche de chez soi, il abandonne ses reportages dans des pays lointains.

Vincen vit la photo comme un travail ou un sport, il ne faut pas rater un entrainement, il faut toujours y aller ! Il trouve toujours quelque chose d’extraordinaire dans le quotidien. Son agenda est plein à craquer, il cumule les moments de rencontres avec de nombreux groupes ou personnes qu’il suit. Ses photographies ne sont jamais celles d’un instant volé mais plutôt celles d’un moment partagé. Cette approche exige de la confiance et une familiarité que Vincen obtient en passant du temps, beaucoup de temps, avec les gens qu’il photographie.

En 2002, il devient animateur à Recyclart où il travaille jusqu’en 2021. A l’époque, le travail collaboratif n’existe pas, on parle juste de médiation pour occuper quelques personnes le mercredi après-midi. Il ne veut pas perdre son temps dans les réunions des associations de quartier et va directement frapper aux portes. Vincen est un faiseur et non un parleur. Il sème des idées, tend des perches, se rend disponible et voit si ça prend sans jamais insister. La collaboration nécessite le désir et l’envie de tous. Pour Recyclart, Vincen se met raapidement en contact avec une maison de repos, il distribue des jetables à des gamins qui reviennent au bout de 20 minutes avec d’incroyables photos. Dans le voisinage de la gare de la Chapelle, à Bruxelles, un quartier qu’il connait bien car il y vit depuis ses études, il développe de nombreuses collaborations sans se contraindre à un milieu ou à une catégorie d’âge. Ce travail de mise en commun est au cœur de sa pratique et se distingue d’une approche liée à la médiation traditionnelle.

Dans son travail personnel, Vincen préfère nourrir et approfondir la relation plutôt que la technique à laquelle il accorde peu d’importance. La simplification est son credo car il ne veut surtout pas débarquer auprès des gens qu’il rencontre avec un dispositif imposant. Il a été influencé par le Manifeste du Dogme 95, de Lars von Trier et Thomas Vinterberg, rédigé en réaction à l’utilisation abusive d’artifices et d’effets spéciaux dans le cinéma.

La méthode de Vincen est minimaliste et toujours identique : un petit appareil argentique dont le flash se déclenche automatiquement et un tirage qui s’effectue toujours sur le même papier. Il aime se donner un cadre pour aller à l’essentiel. Quand il attaque une série, il va s’imposer quelques règles, trouver une ligne de conduite et s’y tenir afin d’épuiser le dispositif. Ensuite, il se fixe de nouveaux usages.

Le processus de travail de l’artiste est aussi important que la photographie qui sera exposée. Et toute la difficulté réside dans la complexité à montrer ou à témoigner de ce processus. Vincen a pourtant des carnets dans lesquels sont systématiquement collés les principaux clichés d’une rencontre qui attestent, notamment, de la temporalité d’une relation. Et récemment, il a aussi entrepris de récolter quelques mots qui décrivent ou résument ses échanges. Il s’agit probablement d’une matière à exploiter.

Pour Vincen, une photographie sera prise ou retenue si elle détient une histoire.

Ses images sont en couleurs, généralement verticales, centrées sur une personne et toujours prises à la même distance. Rien n’entre dans le cadre, pourtant il y a toujours quelque chose qui s’y passe ; au moins, un détail à partir duquel on peut se faire une histoire. Lors de ses rencontres, Vincen est généralement en retrait, il observe et privilégie le face-à-face avec une personne plutôt qu’un groupe. La mise en scène est bannie de son travail et toutes les photos, même celles dont on pourrait douter de leur prise sur le vif, sont rendues possibles par la rencontre et la relation de confiance qui se crée. Parfois, l’insolite, l’incongru se manifestent car Vincen est là en prise direct avec le réel mais sans qu’aucune situation ou élément soit planifié ou organisé. Chaque cliché est authentique, a son histoire et son explication. Vincen aime autant capter la magie que la banalité du quotidien. D’après lui, tout le monde a la capacité technique de prendre l’une de ses photos mais il faut être présent lorsqu’il se passe quelque chose. Lui, il est là.

Les relations qu’il tisse se construisent dans la durée et permettent de capter un instant intime et singulier. Son attitude est aussi tributaire de ce qu’il arrive à saisir, il reste en retrait, il n’est pas dans le jugement, il ne prend pas parti, il ne mitraille pas, il est juste là. Comme l’échange et la relation sont favorisés, la prise d’une photo n’est d’ailleurs pas systématique. Vincen sort son appareil si ça se met – ou si ses interlocuteurs en ont envie. D’ailleurs, entre lui et la personne photographiée, il y a généralement la distance équivalente à la longueur de son bras. Une manière, pour lui, de rester dans la relation et d’en témoigner. Il pratique aussi le troc : des tirages – issus de la précédente rencontre – en échange des instants capturés qui véhiculent autant d’anecdotes ou d’histoires de vies partagées. La photographie est quasiment un alibi, une curiosité qui induit la relation que Vincen recherche. Assez distant de la notion d’auteur, il aime mêler ses photos à celles prises par d’autres dont il tente de susciter la vocation.

Il ne cherche pas à dominer ou à utiliser son sujet et c’est d’ailleurs peut-être pour cela, qu’il se met aussi régulièrement en scène au travers d’autoportraits. Il retourne l’appareil sur lui – comme il le fait pour les autres – quand quelque chose de particulier se produit (une tenue vestimentaire peu habituelle, un bras cassé, un bain de boue lors d’un voyage, etc.) Il joue le jeu pour montrer à quel point il est finalement pareil aux autres : parfois beau, parfois ridicule, parfois fort et parfois fragile.

Si les portraits sont majoritaires dans le travail de Vincen, il y a aussi de nombreuses photographies d’objets qui fonctionnent avec les mêmes ressorts que ses autres images. L’objet, son positionnement, son contexte sont captés – avec le même cadrage vertical – dans la potentialité de tout ce qu’il peut contenir ou évoquer.

Son travail est un hommage à la relation, à la rencontre, pour principalement mettre en lumière, sans artifice, la réalité de gens qu’on voit peu ou (comme il l’explique) qu’on voit mais qu’on ne regarde pas vraiment. Bien loin du reportage ou d’une photographie sociale, les images de Vincen, volontairement sobres, cherchent à capturer l’intime en privilégiant les failles, les drôleries (jamais le ridicule) et les à-côtés.

[1] SRJ « Le Phénix » : service résidentiel pour jeunes de l’IMP (Institut Médico-Pédagogique) René Thône à Marchienne-au-Pont.

Dates

16 Juin 2022 10 h 00 min - 7 Septembre 2022 18 h 00 min(GMT-11:00)

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