Avril, 2022

Soleil de plomb

sam02avr(avr 2)11 h 00 minjeu12mai(mai 12)19 h 00 minSoleil de plombCéline Cléron Galerie Papillon, 13 rue Chapon - 75003 Paris

Détail de l'événement

Croisant savoir-faire, humour, science et histoire, Céline Cléron réunit pour sa deuxième exposition personnelle à la Galerie Papillon, des œuvres dont le poids physique est conséquent alors même qu’elles reposent sur la fragilité, la fêlure, dans une tension entre gracilité et robustesse, grâce et gravité, évanescence et durée.
Climax est un mot hybride, dans lequel on peut entendre « climat » et « maximum », qui constitue le point culminant d’un récit, juste avant que quelque chose ne survienne et que l’intensité ne retombe. On le pressent et, comme dans La Tempête de Giorgione1, cette retenue saisit. Car dans le travail de Céline Cléron, le temps est suspendu : cette pyramide de 385 coupes à champagne en équilibre, comme on en voit dans les événements fastueux, évoque les années folles de l’entre-deux guerres, le désir de vie, de joie et d’insouciance. Certes, l’édifice tient encore, mais pour combien de temps ? L’artiste convoque en effet la notion de fracture, en écho à ce que l’on vit depuis deux ans, puisque chaque verre est fêlé ou ébréché.
Dans les archives de fouilles menées à Vénissieux ayant mis au jour des restes de céramique et de verre datant de 1927 à 1930, l’artiste découvre l’ouraline, une pâte de verre chargée en uranium dont la couleur vert-jaune devient fluorescente sous une lampe à rayon ultraviolet et qui apparaît à l’époque, malgré les mises en garde de Marie Curie, comme source de bienfaits. Séduite par l’ambivalence entre beauté et toxicité de la matière, Céline Cléron l’emploie dans la sculpture Ra, invoquant à la fois le dieu solaire égyptien et le symbole du Radium. Cette demi-sphère en verre dépoli noir, entourée d’un halo d’ouraline pale, est réalisée en collaboration avec un maître verrier. Pour l’artiste soulignant que le soleil lui-même est radioactif, la pièce est une éclipse, un phénomène fascinant auquel on ne peut s’exposer sans équipement, comme à la radioactivité.
À l’instar de Climax, l’éclipse attire par sa brillance et sa fugacité, au contraire du plomb, matériau pourtant hautement protecteur des radiations, mais cantonné aux registres de la noirceur et de l’abattement. On nomme « soleil noir » l’astre dissimulé par la lune et le soleil de plomb renvoie tant à la menace de la canicule qu’à la désolation, la solitude nue après un désastre, mais aussi au calme retrouvé.
Autant de lectures possibles de la photographie d’un lac gelé où l’artiste a éprouvé le besoin de revenir quotidiennement durant un séjour en Suède, happée par le paysage sauvage et apaisant. Singulièrement énigmatiques sont les deux sièges autour d’une table : posés là et désertés, sont-ils en attente de visiteurs ou définitivement abandonnés ? Cette image aux qualités de silence retentissant, se lie et s’oppose à la vidéo d’une marche rythmée par les crissements de neige et de verglas sur ce même lac, où Céline Cléron suit, jusqu’au ciel, une faille de la glace, avançant malgré le risque, même mesuré, de la brisure.
« z-zahr, transcription du mot « dé » en arabe, à l’origine du « hasard » en français, des pavés napoléoniens en grès sont traités tels des dés, les deux objets étant soumis au lancer ! Durant la partie de dés ou l’éclipse, on s’en remet à la divination, comme en marchant sur une étendue de glace, on confie son destin à l’aventure, bonne ou mauvaise. Sertis d’un col de plumes de cygne, des boulets de canon se meuvent en volants de badminton, sans que l’on sache si la capacité de destruction de ces projectiles s’en trouve freinée ou accélérée ?
Voix off, échelle de bois élégante et cocasse, reprend le motif de l’aiguillage ferroviaire, évoquant la bifurcation, l’alternative aux habitudes toutes tracées, plus ou moins volontairement – à l’image de ce que l’on a vécu durant la crise sanitaire et le confinement. Une autre échelle dessine des voies qui se croisent et une troisième, au montant cassé, un déraillement. Aucune n’est fonctionnelle si l’on s’en tient à l’usage commun ; quoique ? Toutes invitent à élever le regard, le corps et l’imagination, à prendre la tangente, tailler la route et sont autant de Chemins qui ne mènent nulle part2. Dans cet ouvrage dont le titre original, Holzwege, signifie précisément « chemins de bois » et désigne les voies forestières de transport du bois coupé qui, suivies en sens inverse, ne mènent en effet nulle part, si ce n’est à une nouvelle clairière, il s’agit pour Heidegger des chemins de la pensée, les plus féconds, mais souvent loin de l’évidence et de l’ordre de la trouvaille, à l’instar des œuvres de Céline Cléron. Convergent ainsi les lignes des échelles, les arêtes de la pyramide, la faille gelée, la trajectoire des boulets ailés et des dés, chacune retraçant le voyage, l’ascension et la chute. « Un pas, une pierre, un chemin qui chemine
Un reste de racine, c’est un peu solitaire C’est un éclat de verre, c’est la vie, le soleil
C’est la mort, le sommeil, c’est un piège entrouvert. »3
Aurélie Barnier
Critique d’art, membre de l’AICA et commissaire indépendante.

1 Giorgione, La Tempête, 1503-1510, Gallerie dell’Accademia, Venise (Italie).
2 Martin Heidegger, Chemins qui ne mènent nulle part, Paris : Gallimard, 1962 [1950].
3 In « Les eaux de mars », chanson de Georges Moustaki, 1973.

Dates

2 Avril 2022 11 h 00 min - 12 Mai 2022 19 h 00 min(GMT-11:00)

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