Or norme

Ce n’est pas le moindre des paradoxes que d’associer l’or à la photographie argentique. Pourtant, dès l’origine, l’or a toujours été un élément essentiel de la chimie et de la pratique photographique : accélérateur du développement, agent de conservation et créateur d’effets esthétiques, il permet d’améliorer la qualité des images et de les rendre plus durables.

Au moment où la capitale française brille de tous ses feux en accueillant les Jeux Olympiques et Paralympiques de Paris 2024, c’est sur ce thème de l’or qu’ont été rassemblés seize artistes dont les oeuvres valorisent ce métal précieux et recherché.

Dans le magnifique espace du 68 Champs Elysées où est présentée l’exposition, l’iconique Table d’or d’Yves Klein accueille le visiteur. L’artiste, qui fut un judoka de haut niveau, voisine avec deux autres athlètes : Enzo Lefort, deux fois Champion du monde au fleuret, qui pratique la photographie en professionnel passionné, et immortalise dans une image, la médaille d’or qui incarne pour tout sportif la victoire et le rêve. Et AiFutaki, apnéiste japonaise exceptionnelle, qui a posé en immersion dans les eaux de la Méditerranée, pour la photographe espagnole Isabel Muñoz.

Une réflexion environnementale originale est à l’oeuvre dans le tirage sur feuille d’or de Harald Gottschalk, dans les orotones et le photogramme de Sophie Zénon, ainsi que dans la création photographique hybride de Pedro Motta, où l’or devient symbole de vie, de résilience et de mémoire.

Wiktoria Wojciechowska installe unedimension spirituelle qui sacralise la nature en traçant sur une représentation de sculpture médiévale un feuillage de plantes grimpantes doré à l’or fin évoquant l’or des icônes. Sur un papier kozo japonais, Paul Cupido enregistre un envol d’oiseaux, trace lumineuse et dorée rappelant la fugacité et la fragilité de la vie. Carolle Bénitah, « orpheline d’images du passé » se réinvente une histoire familiale : « Je collectionne les photographies anonymes et je reconstruis la mémoire de ma famille qui m’a manquée ». L’or appliqué sur ses images comme un pansement cache et révèle à la fois le souvenir et la perte.

Dans son oeuvre grand format, par l’apparition anamorphique d’un cercle réalisé en feuille d’or in situ, Georges Rousse crée un espace qui rappelle le lien indissoluble que la photographie a toujours entretenue avec la mémoire. Morvarid K, artiste plasticienne, transpose la technique japonaise du kintsugi dans la photographie. Traditionnellement utilisée pour restaurer les céramiques brisées à l’aide d’or, cette technique exalte la cassure et célèbre l’imperfection dans la perfection.

Avec Pierre et Gilles, nous retrouvons l’aspect flamboyant et éclatant du métal précieux à travers une mise en scène photographique inspirée d’une sculpture du XIXe siècle, entourée d’un cadre doré en résine pailletée renvoyant aux formes des temples antiques. Quant à Martin Parr de l’agence Magnum, c’est dans le coffre d’une banque suisse qu’il photographie des lingots d’or avec un réalisme ironique et légèrement provoquant. L’artiste Cédric Matet emprunte les identités multiples de la ville de Montpellier sous la forme d’une lithographie à l’or, se superposant à un tirage photographique.

S’appuyant sur la technologie du scanner, la vidéo de Rodolphe von Gombergh nous introduit à l’intérieur d’un sutra aux lettres d’or. Cette oeuvre nous révèle l’invisible qui se cache à l’intérieur des feuillets, nous transportant dans un univers inconnu et onirique. Les nouvelles technologies sont également convoquées dans la création originale de Graphset et Amandine Besacier, qui, pensée à l’heure du pixel, repousse les frontières du médium.

À travers toutes les images présentées, cette exposition ébauche une histoire des techniques et de la matière photographique. Elle illustre également les grandes tendances de la photographie contemporaine : l’exploration de l’environnement et de la nature, la réactivation du passé et l’élargissement du champ du visible. Toutes ces oeuvres, enrichies et ennoblies par l’or, témoignent de manière éclatante de l’extraordinaire créativité de la photographie contemporaine.

Jean-Luc Monterosso
Directeur artistique du Chengdu
Contemporary Image Museum

Artistes exposé·es : Carolle Bénitah, Paul Cupido, Harald Gottschalk, Graphset & Amandine Besacier, Morvarid K, Yves Klein, Enzo Lefort, Cédric Matet, Pedro Motta, Isabel Muñoz, Martin Parr ,Pierre et Gilles, Georges Rousse, Rodolphe von Gombergh ,Wiktoria Wojciechowska et Sophie Zénon

Photo : Jamais je ne t’oublierai © Carolle Benitah 2018