Nicola Vigilanti

Le projet photographique GRAINY AMERICA, de Nicola Vigilanti propose de documenter, au plus près de la réalité sociale d’un territoire immense, les vestiges de l’American Dream au XXIe siècle.
Lors de son cinquième voyage aux États-Unis et durant un périple d’un mois le long des routes américaines, Nicola a visité pas moins de dix états bien différents les uns des autres, en allant au contact des personnes qui les peuplent.
Road trip au coeur du fantasme.

Pour ce dernière voyage aux USA, le photographe ambitionne de gratter la surface du vernis pour découvrir, en rencontrant des Américains, comment celle qui reste “la Terre de toutes les chances” a failli à ses promesses, comment les hommes et les femmes de ce pays grandissent, malgré tout, sur ce socle fait de contradictions.

C’est à la fois un voyage vers l’Autre, si éloigné et pourtant si proche et une introspection qui l’entraîne vers une réflexion engagée.
De cette double approche résulte un document inédit sur l’Amérique d’aujourd’hui regardée par un photographe contemporain autant passionné que critique.

Sensible aux paysages, aux environnements et aux personnages rencontrés, tous si différents au cours des milliers de kilomètres parcourus, Nicola tente d’établir sa propre carte des États-Unis en traitant les lieux et les personnes de façon minimale: ni fioritures, ni décors surchargés, ni actions impétueuses.

Les images, respectueuses des êtres, témoignent de la contradiction d’une Amérique toujours prête à laisser sa chance à chacun, tout en laissant accroire que l’échec est celui de l’individu et non pas celui de la société.

Nicola Vigilanti témoigne de ce long voyage introspectif à travers ces photographies noir et blanc et en couleur , surtout en argentique aux formats 135 et 120. Il dirige nos regards vers cette Amérique “grenue”,“granuleuse”, qui attire et qui choque.

Réduite au minimum, sa photographie communique toute la complexité et l’ambiguïté d’un système qui n’a pas tenu sa promesse.

R É C I T

Grainy America est le récit photographique d’une Amérique malade de son mythe.
Road trip inspiré par des artistes aussi différents que l’écrivain Jack Kerouac, le chanteur et poète Jim Morrison, le cinéaste Wim Wenders, les photographes Robert Franck, Matt Black ou Alec Soth, le reportage de Nicola Vigilanti est composé d’instants saisis, accidentels, aléatoires, dont la caractéristique est une photographie “imparfaite”.

Nicola choisit de traiter le sujet à l’aide de photos “sales”, mal définies. Il shoote des lieux sans vie en nous laissant deviner une extrême pauvreté. Il capture l’image de roulottes contemporaines, témoins du désir de liberté toujours bien ancré dans cette société-là.

Un reportage ne peut s’envisager sans rencontrer les êtres qui peuplent, vivent, travaillent dans le pays: le photographe va à la rencontre d’américains extrêmement ouverts, se plaisant à discuter, à se faire photographier.
Ces portraits, loin de tomber dans l’anonymat, ont tous un nom, appartiennent à une géographie.

L’inégalité saute aux yeux; Nicola ne la cherche pas. Elle point sur tout le territoire ,transparaît sur la pellicule sans besoin d’être nommée.
C’est Spencer, indien de l’Utah, fermier de son état à Monument Valley, qui porte une déclaration-clin d’oeil sur son tee-shirt: «If you can read this, you are standing too close».
C’est Cowboy Rick au volant de son truck,fils d’un homme tué au Vietnam, qui se coiffe d’un chapeau de cowboy orné du badge militaire de son père.
Expert en armes à feu, il tient à expliquer les différences entre Winchester et Henry’s lever.

Et c’est une jeune femme noire qui se tient près de la Une du New-York Post: «Mort d’Aretha Franklin: Respect».
“Tout ce que je demande c’est un peu de respect”, dit Aretha.
C’est encore Mat, sur sa tondeuse, qui vient de racheter un vieux motel abandonné pour en faire son restaurant.

La photographie, arme pacifique et silencieuse, abat ici des légendes.
Celles de la belle Amérique, terre de tous les possibles, de tous les recommencements; celles des sirènes qui ont toujours attiré ceux qui n’ont rien, les pionniers, les chercheurs d’or, les migrants.
Le jeu est faussé depuis le début, les inégalités, le racisme obscurcissant déjà la séduisante histoire.
Dans Grainy America, ce sont les victimes de l’American Dream, celles et ceux qui en sont exclus, qui défendent le mieux le mythe.
Nier la chance qui t’a été donnée serait avouer que tu as échoué, avouer ta faute.
Le système ne doit jamais être remis en cause.

Ce que Nicola Vigilanti avait ressenti très jeune lors de ses premiers voyages aux States, il a choisi aujourd’hui de le documenter et de le publier.

Comme une boucle bouclée, grâce au langage photographique, Grainy America pointe toutes les contradictions d’un pays encore soumis à son propre mythe où les victimes sont celles qui en parlent le mieux. Voitures brûlées le long de la voie de chemin de fer, arbre aux racines hors sol dans le Bryce Canyon, Arizona, marchand ambulant posté à un carrefour désert, tous sont les témoins silencieux de cette Amérique attachante que le photographe Nicola Vigilanti aimerait contribuer à changer.

– Catherine Raspail