Juillet, 2021

L’Été photographique de Lectoure 2021

sam10jul(jul 10)15 h 00 mindim19sep(sep 19)19 h 00 minL’Été photographique de Lectoure 2021Centre d’art et de photographie de Lectoure, Maison de Saint-Louis, 8 cours Gambetta, 32700 Lectoure

Détail de l'événement

Le festival L’été photographique constitue depuis une trentaine d’années un temps fort de la programmation du Centre d’art et de photographie de Lectoure. Labellisé « centre d’art contemporain d’intérêt national » en septembre 2020, le CAPL œuvre toute l’année dans son lieu à Lectoure en programmant expositions, résidences de création, projets d’actions culturelles et de médiation dans un esprit de découverte, de partage et de convivialité, avec la conviction profonde que l’art stimule l’esprit critique, la réflexion et constitue un puissant moteur d’interrogation et d’interpellation de la société et du monde.

Le festival convie les visiteurs à une déambulation entre plusieurs espaces emblématiques de Lectoure, suscite des interactions inédites entre art, patrimoine, tourisme et incite à découvrir la ville. Depuis l’été 2020, des projets artistiques se déploient à l’air libre, dans l’espace public. Cette année, pour la première fois une exposition est programmée dans le cloître de la collégiale de La Romieu. Une offre culturelle riche, transversale et expérimentale complète le programme d’expositions.
Elle est imaginée et construite dans une perspective partenariale d’ouverture et de circulation des publics sur le territoire gersois. Ces rendez-vous ponctuels activent les liens entre le CAPL, ses visiteurs d’ici et d’ailleurs et Lectoure, sa ville de 3 700 habitants en zone rurale, entourée de paysages que l’activité humaine a fortement remaniés. Soumise à de profondes mutations, la ruralité est devenue, avec la montée de la sensibilité environnementale, non seulement un environnement à défendre mais surtout un milieu de vie à protéger. Les campagnes deviendraient-elles l’ultime refuge des valeurs intangibles de la civilisation ?

Réfléchir à la relation à notre lieu, revisiter la notion ambivalente de « nature » prend toute sa signification dans ce contexte. L’idée d’un monde fini, doté de ressources épuisables, est devenue une réalité incontournable. Cet enjeu à la fois environnemental et sociétal touche nos modes de vie, de penser et d’être au monde. Il nous pousse à mettre en place de nouveaux modèles et à reconsidérer la manière dont nous habitons le monde. Il introduit une compréhension enrichie du vivant, une forme d’association, d’alliance nous amenant à repenser radicalement notre rapport à la nature, entre sacralité et exploitation.
Lors de l’édition 2019, les artistes s’intéressaient aux images et à l’imaginaire véhiculé par les territoires
ruraux, entre la nostalgie d’une ruralité idéalisée, parfois folklorisée, et les pratiques agricoles nouvelles. La nature devenait sujet de représentation, patrimoine végétal, objet de collecte et d’inventaire mais aussi espace de fiction.

En 2020, la pandémie stoppait net le scénario initial de L’été photographique. Nous réinventions le festival en plein air, dans l’espace public, avec l’édition Circuit court. Interrogeant les écosystèmes, entre global et local, l’impact des projets artistiques sur l’environnement, la nécessaire mise en place d’une sobriété carbone, le festival nous amenait à réfléchir à des formes d’organisation plus résilientes, expérimentées entre autres par les collectifs d’artistes.

L’édition 2021 du festival prolonge ces réflexions, interroge la notion polysémique de « nature » qui, depuis des siècles, contribue et conditionne fortement notre rapport au monde. Partant de la relation qu’entretiennent les artistes aux territoires inconnus ou familiers, les lieux où ils ont parfois vécu, les lieux qu’ils arpentent le temps d’un projet, elle propose de nouvelles pistes de réflexion qui disent beaucoup sur leur relation au vivant, au monde végétal, au monde animal, aux éléments, aux forces physiques, invisibles, intangibles.

Dans certaines langues, sur certains continents, chez les peuples dits « premiers », le mot « nature » n’existe pas. Il est incarné par un milieu partagé entre humains et toutes les autres espèces. C’est un tissu d’êtres vivants – esprits, humains, animaux et végétaux. De notre point de vue occidental, la « nature » représente plutôt cette part du monde, extérieure à l’espace cultivé, indocile, non domestiquée que nous n’avons pas créée. Ce mot convoque le « vivant » que l’on a pris la peine d’étudier, de classifier pour mieux cerner et étouffer « le sauvage ».

À ce moment de l’histoire où les espaces dits « naturels » sont en péril, de plus en plus dégradés (pollutions, perturbations climatiques), où l’on observe une disparition accélérée de la faune, de la flore, certaines formes de réappropriation des valeurs du « sauvage » sont très présentes dans le travail et la démarche des artistes.
En cette période sombre et lourde, il semble nécessaire pour bon nombre d’entre nous de faire place aux « valeurs » du « sauvage », force vitale, espace de liberté, outil pour se reconnecter à son être profond.

À travers leurs œuvres, leurs démarches, leurs engagements, la dimension parfois collective des projets menés, ces artistes réinventent une présence active, singulière et personnelle au monde. Dans une forme de réappropriation de l’instinctuel, des valeurs du sauvage, les artistes conviés pour cette édition font un pas de côté, prennent des chemins de traverse générant un rapport sidéré et mouvant au vivant.

Cela va parfois se traduire par une fascination pour les grands espaces, des territoires reculés qui alimentent une nature perçue comme immaculée et pratiquée comme initiatique. On trouve aussi une attention à la notion de Genius Loci, l’esprit du lieu, son caractère indiciel, son atmosphère, sa spécificité géographique, géologique, historique, ses couches d’ancestralité. Les territoires, les lieux, espaces d’expérimentation, espaces traversés, font ressurgir la dimension historique, mémorielle et sensorielle inhérente à ces espaces.

On constate aussi chez ces artistes un attrait puissant pour l’expérience physique du monde, à travers l’usage de la marche. La marche, propice à l’introspection, à la contemplation, et qui modifie le rapport au temps, à l’espace mais aussi au travail artistique. L’approche in situ et la plongée au long cours dans les territoires deviennent parfois un mode opératoire pour aller au cœur de cette nature qui retient en elle les mémoires invisibles, les traces d’un passé réel ou mythique et ouvre les accès dérobés sur l’histoire et la géographie d’un territoire. On retrouve aussi la question des mythes, des rituels, du rapport archaïque aux objets, aux lieux, aux odeurs, comme lien privilégié entre espaces physiques et métaphysiques. Certains artistes font appel dans leur travail à cette part archaïque et vitale, soutien de notre vie intérieure, de notre part « animale », instinctive et libre.

À la Maison de Saint-Louis / Centre d’art et de photographie de Lectoure, le collectif de photographes Tendance Floue et ses invité·e·s proposent le projet Azimut (2020), restitution d’une marche photographique de plus de huit mois menée en relais par 31 photographes entre mars et octobre 2017 à travers le territoire français. Affranchi des contraintes de la commande, à contre-courant de toute rentabilité, ce dialogue avec les territoires traversés est l’occasion de retrouver par des gestes simples une grande liberté d’action et de faire œuvre collectivement. Seule contrainte, être à l’heure au rendez-vous avec celui ou celle qui vous succède. Une aventure collective vivifiante, pour faire un pas de côté, reprendre le temps de regarder et de voir. L’effort physique généré par la marche provoque une profonde mise à nu des participant·e·s, un va-et vient des échelles d’observation allant de l’intime et de l’introspection à l’ouverture et aux rencontres. Un retour à l’essentiel, marcher, photographier et rendre compte de sa route, collecter ses impressions et les coucher sur le papier d’un carnet moleskine, fil rouge et outil de relais entre les photographes dans ce voyage intérieur qui fait l’éloge du temps lent.

À la Cerisaie, Nía Diedla, nourrie de l’esprit du lieu continue sa course sur le fil d’une autobiographie réinventée. Avec l’installation Mythos / La maison sans nom (2021), elle s’interroge sur la maison, la maison mythique, celle de son enfance. Qu’est-ce que la maison ? Est-ce que ce sont nos racines ? Est-ce que c’est l’arbre que l’on porte en soi ? À partir de constellations d’images, de mots, d’objets, films, bandes sonores, elle propose l’histoire d’une maison voyageuse, d’une maison nomade habitée par une femme coupée en deux par son exil pourtant volontaire. Elle dessine une géographie en mue permanente, un lieu entrouvert, suspendu dans le temps, un lieu chargé d’une mythologie propre, celle de l’enfance et de son souvenir réel ou inventé, un lieu où le passé et le présent habitent une même maison. Pour cette conteuse-monteuse, un peu chamane, un peu sorcière, adepte de poésie, de métaphores, d’analogies et de symboles, il est question d’exil, de racine, des cycles de vie et d’une plongée dans ses territoires intimes.

Au rez-de-chaussée de l’école Bladé, Christophe Goussard et Charles-Frédérick Ouellet présentent Entre fleuve et rivière (2019), projet photographique mené en résidence au Pays Basque et dans les provinces du Québec et du Labrador. Un dialogue entre deux photographes, deux écritures photographiques, une immersion dans les paysages, une manière de se retrouver soi, d’être au monde dans une marche solitaire, une quête. Un va-et vient entre deux territoires, une quête des traces immatérielles, des preuves fictives ou réelles, des forces originelles. Les deux photographes ont chacun découvert le territoire de l’autre. Il s’agit d’une envie d’explorer une histoire commune à ces deux régions, celle des pêcheurs de baleine venus puiser les ressources du golfe du Saint-Laurent. Il est question de chasse à la baleine, de la traite des fourrures mais aussi de l’emprise que les fleuves Adour et Saint-Laurent exercent sur les habitants qui peuplent leurs berges. Dans l’édition, les poèmes en prose et en langue basque d’Itxaro Borda invitent à un troisième regard sur ces images.

Au premier étage, l’exposition de François Méchain s’intitule Une aventure canadienne et se compose de plusieurs œuvres réalisées au Canada entre 1990 et 2007 dans le cadre de commandes. Les œuvres canadiennes, monumentales et réalisées dans des lieux ni sublimes, ni pittoresques, des lieux surtout difficiles d’accès, parlent d’espace, d’énergie, de bois, de la forêt boréale. On parle ici d’in situ et d’une relation quasi symbiotique entre l’in situ et sa reproduction photographique, deux moments d’une même œuvre, photo-sculpture. On notera un grand souci de composition dans ces in situ constitués de déchets de foresterie et soumis inévitablement à cette loi d’entropie qui condamne énergie et matière à l’usure et à la dégradation.

Dans ces grands espaces canadiens, c’est le corps de l’artiste qui regarde et prend la mesure du monde. La nature n’est plus un modèle mais un moyen, un outil, un matériau, un signifiant. Face à lui, le défi du « lieu », le lieu dans sa matérialité, son histoire, sa construction physique. On retrouve aussi dans l’exposition les fac-similés des carnets de croquis ainsi qu’un film documentaire de Vladimir Vatsev réalisé quelques semaines avant le décès de François Méchain en 2019.

À la halle aux grains, on est aspiré par un dispositif scénographique complexe, parfois ouvert, parfois immersif. À l’entrée du lieu, une expérience polysensorielle se met en place avec la réactivation d’une large installation olfactive, Et les fauves ont surgi de la montagne (2018) de Julie C. Fortier complétée par une seconde installation, au sol, La rivière s’est brisée (2018). Un long collier brisé, dont les perles sont éparpillées au sol et qui dessine une sorte de rivière sinueuse serpentant entre les manteaux. La québécoise Julie C. Fortier explore des territoires odorants peu traversés. L’installation est composée de neuf manteaux de fourrure, neuf portants, neuf colliers en porcelaine et de neuf parfums. La dimension tactile fait écho à la dimension olfactive. Le parfum renvoie à une ancestralité profonde, mémorielle. Les formes sculpturales constituées par les vêtements et les supports en bois noir préparent et guident notre œil. Un portrait olfactif des femmes qui auraient pu porter ces manteaux mais surtout un récit sensoriel qui nous reconnecte à notre milieu et à tout ce qui – humain et / ou animal – en fait partie.

A quelques pas de là, nous découvrons Les chiens de fusil (2009 – 2011), une exposition réalisée à partir des pages d’un carnet de recherche de Léa Habourdin qui rassemble photographies, dessins, textes, collages. L’artiste établit avec ce travail une analogie entre les forces qui sous-tendent les rapports humains et celles qui sont à l’œuvre dans le règne animal. L’observation du monde sauvage lui permet de mieux comprendre les humains, qui ont aussi un mode de relation fondé sur la parade et la prédation. Par analogie et métaphore, des significations surgissent de ces rapprochements subtils entre les différentes sources (photographies, mots, phrases, dessins, assemblage d’images collées) qui composent le corpus, alternant violence et douceur. Ce projet constitue une quête de nos instincts ataviques, la part animale que nous croyons perdue mais qui nous gouverne inconsciemment.

Au loin apparaissent et cohabitent sur deux grands murs plusieurs suites photographiques de Marine Lanier. Avec Le soleil des loups (2018), un corpus d’images baigné dans une lumière d’éclipse, sans début et sans fin. Un rapport à la robinsonnade se dessine et dévoile la vie sauvage de deux enfants, en transition et transformation vers l’adolescence sur le relief inversé d’un plateau volcanique devenu terrain de jeu, espace initiatique et lieu de toutes les transformations et expériences. Se mêlent au Soleil des loups (2018) quelques images d’une série plus ancienne, Construire un feu (2010). Les Contrebandiers (2020 – 2021) évoquent la figure mythique, controversée, marginale du contrebandier, emprunte de légendes et de mythes.

Pour la plasticienne Ariane Michel, la notion de « nature » du point de vue occidental aurait laissé l’être humain au-dehors. Son travail artistique s’apparente à celui d’une chamane dans la lignée des mouvements éco-féministes initiés dans les années 1970, comme Starhawk. Dans ses films, mettant en scène des animaux mais aussi des pierres, des rochers, des végétaux, voire même la force des éléments (vent, pluie…), il s’agit de retrouver les fondements de nos perceptions, de notre imaginaire et de proposer aux visiteurs une expérience de déterritorialisation de la perception. Dans un antre quasi imperceptible de l’extérieur de la halle sera projetée la pièce vidéo et sonore Rêve de cheval réalisée en 2004. Ils sont là, ils dorment. Des chevaux. D’une jambe sur l’autre, calmes et solides, tapis dans l’hiver. Une rumeur monte au loin. Les oreilles se dressent, tous l’ont entendue. Dans leur langage secret, ils se mettent d’accord pour galoper, ils ont peur. De la panique surgit un animal, ni cheval, ni zèbre, un zhorse, contraction anglaise de zèbre et de horse, un hybride inquiétant comme une énigme.

Thomas Cartron et Sylvain Wavrant, tous deux plasticiens et directeurs artistiques de l’association rouennaise Nos Années Sauvages, réactivent les œuvres réalisées pendant la résidence de création Anima Obscura à l’automne 2020 au Centre d’art et de photographie de Lectoure. Le plasticien Laurent Martin, l’un des membres actifs de l’association, les accompagne et imagine une scénographie labyrinthique et rocailleuse pour le projet qui prend comme point de départ le mythe de Diane et Actéon. Animaux naturalisés, images argentiques tirées sur peaux d’animaux, fresque dessinée au fusain, installation filmique et sonore… Cette proposition collaborative réunit les enjeux de leurs pratiques respectives (photographie pour le premier et taxidermie pour le second) et leur permet d’inventer un nouveau langage plastique mettant en relief les sujets visibles et cachés du mythe gréco-latin. Un projet qui interroge ce qu’est devenu notre rapport à un monde sauvage dont nous cherchons sans cesse à nous distancier.

Dans l’espace public, aux allées Montmorency à Lectoure ainsi que dans le cloître de la collégiale de La Romieu, on découvre le projet Tropiques (2020) du photographe Julien Coquentin, un livre photographique transposé en une exposition qui se décline en deux chapitres. Julien Coquentin transforme souvent les territoires lointains, les « ailleurs » en territoire intime. Ici il appréhende de manière sensitive le territoire de La Réunion, ce milieu tropical, où il a vécu en famille pendant plusieurs années. Imprégnés d’une dimension initiatique puissante, ancienne, ces paysages semblent être le siège du danger et le miroir de l’immensité. On ressent une sorte de captation atmosphérique de ces espaces liés aux conditions de relief, de végétation, de climat. Un présent pur semble se dérouler dans un imaginaire lointain. La silhouette humaine s’impose parfois dans cet espace archaïque dominé par l’organique et le végétal. Une attention infime aux êtres humains qui arpentent ces territoires, que l’on aperçoit souvent au loin comme tout droit sortis d’un autre temps, celui des chasseurs-cueilleurs et qui semblent s’enfoncer dans les couches sédimentaires de plus en plus lointaines.

Marie-Frédérique Hallin
Directrice du Centre d’art et de photographie de Lectoure

Photo : Tropiques, 2020 © Julien Coquentin

Dates

10 Juillet 2021 15 h 00 min - 19 Septembre 2021 19 h 00 min(GMT-11:00)

Centre d’art et de photographie de Lectoure

Maison de Saint-Louis, 8 cours Gambetta, 32700 LectoureDurant les expositions (d’octobre à juin) : du mercredi à dimanche, de 14h à 18h | Durant les résidences (d’octobre à juin) : du mercredi au vendredi, de 14h à 18h. Durant l’Été photographique : tous les jours de 14h à 19h

Centre d’art et de photographie de Lectoure

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