Octobre, 2021

Les enfants de la goutte d'or

mar05octlun01novLes enfants de la goutte d'orHervé LequeuxLa Maison des Photographes - UPP, 11, rue de Belzunce 75010 Paris

Détail de l'événement

La Maison des Photographes à la galerie de l’UPP expose, jusqu’au 1er novembre, le travail du dixième lauréat du Prix Lucas Dolega. Il s’agit du photographe français Hervé Lequeux qui présente sa série intitulée Les enfants de la goutte d’or.

Devant la laverie Jessaint, des riverains masqués pressent le pas. Concentrés, ils slaloment entre les jambes patibulaires étalées sur le trottoir. Assis sur un canapé composé de cartons, cinq jeunes dépenaillés promènent leur regard dans le vide, en s échangeant des joints. Ils se font appeler Tanjawi, Casawi, Fasi, gloussent un peu lorsqu on leur demande leur âge. « 17 au Maroc, 15 en France », badine l’un d’eux, dans un français mal assuré. La plaisanterie fait fureur rue de la Goutte d’Or, à deux pas du commissariat du 18ème arrondissement de Paris.
L’air aussi affairé que désoeuvré, des dizaines de jeunes s’ébrouent à quelques mètres de policiers indifférents à leur absence de masque, aux comprimés qu’ils s’échangent, aux cigarettes qu ils fument, aux téléphones qu’ils revendent. Sur les pointillés des formulaires administratifs conservés dans des pochettes transparentes, ces jeunes sont mineurs. Isolés, loin de leurs familles laissées de l’autre côté de la Méditerranée, à quelque 2.500 km de la Goutte d’Or. Autour de ces jeunes mineurs en bandes, il y a des jeunes filles. Hana*, Ines*, Celia*, Feriel*, certaines sont des françaises, d’autres des italiennes ou des espagnoles d’origine marocaine ; des fugitives en rupture familiale qui zonent dans le quartier avec les mineurs marocains maîtrisant les code de la rue.
Depuis quelques années, une dizaine de filles de l’aide sociale à l’enfance, qu’on appelait autrefois les enfants de la DDASS, ont rejoint les enfants et adolescents isolés d’origine marocaine qui vagabondent depuis 2016 dans Barbès, leur quartier de ralliement. Célia a grandi à Fès, un quartier où s’entassent les familles précaires. Elle y a vécu longtemps avec ses grands-parents marocains avant de débarquer à Paris, à 12 ans, avec son grand frère. Leur mère, française, était toxicomane, ils ont grandi dans les foyers. Célia a très vite préféré la vie dehors.
Hana a 13 ans. Elle dépend de l?aide sociale à l’enfance (ASE) de son département de naissance. Sa mère est à l’hôpital, elle l’adore. Elle a aussi un grand frère et une petite soeur, mais elle ne sait pas ce qu’est la vie de famille. Elle ne connaît que les foyers et les familles d accueil où on la ballotte depuis ses 2 ans. Elle préfère la rue, où elle traîne depuis deux ou trois ans, en compagnie des jeunes mineurs marocains ou algériens rencontrés sur le « bitume ». Elle se souvient qu’un mec l’a accostée après sa première fugue, elle l’a suivi à Barbès et elle n est jamais repartie. « Je suis tombée dans le délire. »
Tabo*, lui, a 13 ans, l’adolescent tout juste sorti de l’enfance a quitté les rives de sa ville natale de Tanger, accroché sous un camion à l’âge de 9 ans avec la bénédiction de ses parents. Il n’y retournerait pour rien au monde, la question est inconcevable malgré le froid, les bagarres, les coups de couteaux, l’hostilité qu on lui offre si souvent. Les salaires de son père, commerçant de pièces en plastique et celui de sa mère, couturière dans un atelier, ne permettent pas à la fratrie de quatre enfants de vivre convenablement. « C’est très dur au Maroc », explique le garçonnet. Pour sa famille, la France et l’Europe sont un eldorado. Parmi ses compagnons d’infortune, ils sont nombreux à avoir quitté leur patrie, abandonnés par leur famille, orphelins ou non reconnus par leur père. Leurs odyssées se ressemblent toutes : ils ont bravé nombre de périls, et souvent flirté avec la mort avant de rejoindre l’Europe.
Force, courage, détermination, débrouillardise, et une forme évidente d’intelligence ont été nécessaires pour y parvenir. Yassine*, 14 ans, a lui gagné le Vieux continent depuis Annaba, en Algérie. Par bateau, un petit sept mètres de fortune motorisé où il a dérivé avec huit autres jeunes avant d être secouru par la Marine italienne : « J’ai eu si peur de mourir, j’ai pleuré de bonheur quand on a touché terre ».
Un petit couple s’enlace non loin du groupe : Inès et Younès, qui ne se déplacent qu’ensemble. Italienne d’origine marocaine, elle a 13 ans. Craintive et discrète, elle a été victime d’un viol collectif il y a quelques mois. Lui a 16 ans. Il est arrivé de Casablanca il y a un an. Quelques nuits plus tôt, le campement situé dans des tunnels sous la gare de Lyon où ils s étaient trouvés une place a été évacué. Inés y dormait avec deux autres filles et des dizaines de migrants, des hommes.
En hiver, quand le froid devient mordant, ils s’installent au creux des machines à sécher le linge des lavomatics. Leur royaume s’étale entre Barbès et la Goutte d’Or, où ils retrouvent d’autres jeunes, dans la même situation qu’eux. Une sorte de famille brouillonne, régie par la loi du plus fort, du plus malin. Un mélange de drogues qu ils consomment et achètent dans le quartier : deux euros la pilule de Rivotril – aux effets sédatifs et anxiolytiques – à laquelle les jeunes se shootent et qui les rend méchamment accros, couplé au Lyrica, un antiépileptique également utilisé pour les troubles anxieux, un cocktail médicaments-joints-alcools qui les laisse hagards, désinhibés et vulnérables. Le niveau de violence auquel ils sont accoutumés transforme les querelles de gosses en algarades aux couteaux. Que d’entailles sur ces visages, ces jeunes corps abîmés…
Ce groupe, constitué de plusieurs dizaines de mineurs, se fait et se défait selon les arrivées et les départs, les incarcérations et les placements en foyer. Ils ne sont jamais les mêmes, mais ils forment une bande. Parfois très jeunes (le moins âgé a 9 ans et demi, les plus vieux ont 20 ans), ces petits marocains et leurs copines, sans attaches familiales, polytoxicomanes et SDF, ont bouleversé la vie du quartier. La délinquance est devenue leur métier : des vols à l arraché dans le secteur, ils sont passés aux cambriolages de pavillons et de commerces dans la petite couronne pour survivre et nourrir les mamans restées au pays. Ces gamins ont fait de la Goutte-d’Or leur base arrière.

Dates

5 Octobre 2021 10 h 00 min - 1 Novembre 2021 18 h 00 min(GMT-11:00)

Lieu

La Maison des Photographes - UPP

11, rue de Belzunce 75010 Paris

Other Events

La Maison des Photographes - UPP

11, rue de Belzunce 75010 ParisOuvert du lundi au vendredi de 10h à 13h et de 14h à 18h

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