Janvier, 2025

Laia Abril

ven17jan(jan 17)12 h 00 mindim18mai(mai 18)19 h 00 minLaia AbrilOn Mass Hysteria / Une histoire de la misogynieLE BAL, 6, Impasse de la défense 75018 Paris

Détail de l'événement

Photo : Laia Abril, MASS BIRTHDAY, Mind Series (Case 1, Mexico, On Mass Hysteria), 2023
Courtesy Galerie Les filles du calvaire, Paris © Laia Abril

LE BAL invite l’artiste-chercheuse catalane Laia Abril (Barcelone, 1986) à présenter le dernier volet de son travail au long cours consacré à l’histoire de la misogynie : On Mass Hysteria. Après On Abortion en 2016 et On Rape en 2020, ce chapitre poursuit la trilogie sur le contrôle systémique du corps des femmes à travers les siècles et les continents.

Dans On Mass Hysteria, Laia Abril propose une lecture visuelle des différentes interprétations mises en oeuvre pour tenter d’expliquer ce qui a longtemps été qualifié « d’hystérie collective ». Ces phénomènes frappent principalement des communautés d’adolescentes et de femmes étroitement soudées, confrontées à des situations de stress majeur ou d’oppression qui manifestent des symptômes collectifs dépourvus de cause physiologique : évanouissements, tremblements, fous rires inextinguibles, transes…
Dans l’installation au BAL, Laia Abril, fidèle à sa méthode de recherche, développe trois études de cas spécifiques, examinées avec des anthropologues, sociologues, neurologistes et psychiatres pour tenter de comprendre l’origine de ces crises :

• Étude de cas 1, 2007 I Chalco, Mexique, Épidémie de paralysie des jambes dans un pensionnat catholique pour jeunes filles
• Étude de cas 2, 2012 – 2022 I Cambodge, Épidémie d’évanouissements chez des ouvrières dans des usines de confection
• Étude de cas 3, 2012 I Ville de Le Roy, New York, États-Unis, Épidémie de tics dans un lycée Pour chaque cas, Laia Abril nous fait entendre la parole de femmes atteintes de ces symptômes, l’accompagne d’images évocatrices de leur vécu, de leur récit, et revisite les réactions de la presse et des autorités.

À travers de nombreuses archives, des sorcières de Salem au XVIIe siècle aux écolières du Botswana en 2019, Laia Abril démontre aussi l’incroyable étendue géographique et temporelle du phénomène.
Faisant aussi bien appel à l’anthropologie, la psychologie, l’histoire de la médecine ou le droit des femmes, Laia Abril se fait l’écho de nouvelles interprétations de ces crises, aujourd’hui appelées « maladies psychogènes de masse ». Prend forme ici la théorie anthropologique qui voit ces crises psychosomatiques comme un langage de résistance des femmes aux systèmes d’oppression, aux douleurs collectives ou aux traumas transgénérationnels.

En 2016, alors que j’effectuais des recherches au Népal, je suis tombée sur un article étonnant publié en 2003 dans le Times of India et qui avait pour titre : « Des jeunes filles frappées d’hystérie collective dans une école népalaise ». On y décrivait comment des dizaines d’écolières avaient perdu connaissance sans cause organique apparente. […]

En creusant le sujet, j’ai découvert que des centaines de cas similaires s’étaient produits, rien qu’au Népal. […] Je connaissais l’hystérie et les images qu’avait faites Jean-Martin Charcot à la Salpêtrière de ces femmes qui, soi-disant, souffraient de ce mal. Mais je n’avais jamais entendu parler de cas où ces crises se produisaient simultanément au sein d’un groupe. En poursuivant mes recherches je découvris que ce phénomène […] était mondial, et connu depuis l’époque médiévale.

Ces crises étaient en général décrites dans la presse et les études scientifiques comme une « hystérie collective », un « épisode de possession » ou un « mal mystérieux ». Le sociologue Robert Bartholomew et le psychiatre Simon Wessely définissaient, eux, « l’hystérie de masse » comme une pathologie d’origine sociale ou psychologique qui se caractérisait par « un développement rapide de symptômes qui affectent les membres d’un groupe soudé, et proviennent d’un dysfonctionnement du système nerveux produisant soit des excitations, soit une perte ou une altération de certaines fonctions ; dont les manifestations physiques produites inconsciemment n’ont pas de causes organiques correspondantes ; et qui affectent en majorité des adolescentes ou des femmes soumises à un très puissant stress psycho-social ». […]

Dans la plupart de ces cas, la littérature médicale contemporaine ne propose aucune théorie convaincante pour en expliquer l’origine et les manifestations, ni la raison pour laquelle ils affectent principalement des adolescentes ou des jeunes femmes. Les autorités accusent fréquemment les victimes d’inventer les symptômes, d’agir par imitation, de chercher à attirer l’attention, d’être « sous l’emprise de leurs hormones », voire d’être des sorcières.

Je me suis donc retrouvée partagée quant à la manière de travailler ce sujet. Depuis très longtemps, la souffrance des femmes et leurs maladies, en particulier psychosomatiques, sont réduites à une explication condescendante voire infantilisante fondée sur des interprétations misogynes, racistes et colonialistes. Je ne voulais pas, dans mon travail, priver ces femmes du respect et de la reconnaissance de leurs symptômes auxquels elles avaient droit, quelles qu’en soient les causes. Mais, à l’inverse, le même désir de punir et de contrôler les femmes peut se manifester dans une lecture trop médicalisée de leurs problèmes de santé mentale. Je ne voulais pas tomber dans ce piège. […]

C’est alors que j’ai découvert une théorie anthropologique qui a changé ma perspective. Dans ses travaux sur l’épidémie de perte de connaissance chez les ouvrières malaisiennes dans les années1970 , l’anthropologue Aihwa Ong décrit le phénomène comme « la naissance inconsciente d’un idiome de protestation contre la discipline de travail et le contrôle exercé par les hommes dans un environnement industriel contemporain ». Une forme de résistance physique contre à la fois des conditions de travail difficiles et la domination masculine.

À la lecture des travaux de Robert Bartholomew, les plus fouillés sur le sujet, je me suis rendue compte que la plupart des cas rapportés concernaient des femmes ou des adolescentes qui occupaient les positions les plus subalternes dans leurs communautés et souffraient donc de dynamiques sociales inégalitaires et oppressives. Elles étaient systématiquement réduites au silence et ne pouvaient pas exprimer leurs griefs, leurs désaccords, voire la moindre opposition.

Ces événements se produisaient dans des lieux fonctionnant souvent comme des « institutions totales », au sens de micro-systèmes répressifs, qui produisaient le déclenchement des épisodes. À l’époque médiévale, il s’agissait de couvents et d’orphelinats. Plus tard, ce furent souvent des écoles, des pensionnats, des écoles d’infirmières, parfois des usines et plus récemment les réseaux sociaux.
J’ai donc décidé de choisir trois cas contemporains illustrant ces principaux types d’environnement.
1. À Chalco au Mexique, en 2007, une épidémie de paralysie des jambes touchant six cents jeunes femmes d’un pensionnat catholique – la plupart d’entre elles d’origine indigène – constituait un premier cas où la doctrine catholique poussée à son extrême avait pu constituer le facteur de stress déclenchant l’épidémie. Par son scénario d’intersectionnalité entre misogynie et colonialisme, cet événement constituait un parfait exemple de cas où l’occidentalisation de l’éducation et de la culture produit une crise d’identité chez nombre d’adolescentes.

2. La série de cas qui se produisirent entre 2012 et 2014 au Cambodge dans des usines de confection constituait un second terrain où une prétendue possession par des esprits fonctionnait comme une forme de protolangage corporel de résistance. Les conditions de travail extrêmement dures, imposées par la consommation de masse et la fast-fashion produite pour les Occidentaux, contribua à l’un des épisodes les plus longs et les plus importants de ce genre d’épidémie dans un contexte de travail, et affecta des milliers de femmes.

3. Enfin, le cas survenu dans la ville de Le Roy aux États-Unis en 2012 fut peut-être le premier où les médias jouèrent un rôle significatif dans le développement et l’évolution de l’épidémie. Ce fut aussi probablement le premier cas où les élèves touchées racontèrent leurs symptômes sur les réseaux sociaux, où elles devinrent la cible de discours condescendants : elles auraient tout inventé dans une stratégie infantile pour attirer l’attention.

[…] La médecine occidentale cherche en priorité les facteurs biologiques pour essayer de trouver des causes physiologiques. Si on n’en trouve aucune, alors les maladies sont censées relever de l’évaluation psychologique, neurologique ou psychiatrique, mais toujours dans une perspective individuelle, ce qui peut détourner de la vue d’ensemble car il est possible que les dynamiques et les structures de pouvoir dans la société provoquent ces pathologies.

J’ai alors commencé à interroger la facilité avec laquelle nous éliminons les facteurs sociaux et politiques de la liste des déclencheurs potentiels de la pathologie. Je me suis aussi demandé si les théories féministes fondées sur la tradition libérale occidentale n’omettaient pas une véritable compréhension des différences culturelles, et n’imposaient pas un point de vue extérieur conduisant à se tromper ou à négliger les modalités spécifiques mises en oeuvre par les femmes indigènes, dans des contextes culturels autres, pour affirmer leur contrôle et leur résistance.

Mon travail m’a ensuite conduit à une analyse intersectionnelle et une approche multiple des épisodes où des croyances animistes, souvent négligées, offraient des perspectives éclairantes. Je me suis donc intéressée à la psychosomatisation et aux traumatismes transgénérationnels, ainsi qu’à la nature multiforme de la souffrance (physique, émotionnelle et spirituelle), sans négliger la manière dont les sociétés non occidentales construisaient la douleur et la souffrance. Je laissais les rêves, les ressentis, les prémonitions et croyances de ces femmes me guider pour raconter leurs histoires. […]

Extraits du texte d’introduction de Laia Abril dans On Mass Hysteria, Une histoire de la misogynie, Delpire & co, 2024

Dates

17 Janvier 2025 12 h 00 min - 18 Mai 2025 19 h 00 min(GMT-11:00)

LE BAL

6, Impasse de la défense 75018 ParisLE BAL est une plateforme indépendante d’exposition, d’édition, de réflexion et de pédagogie, dédiée Mercredi 12h - 22h Nocturne. Jeudi 12H - 19H Soirées BAL LAB 20H-22H (Fermeture de l'exposition à 19H) et le Vendredi, samedi, dimanche 12H - 19H. Fermé le Lundi et Mardi

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