Instinct animal

Un voyage anomal dans la condition animale

Le Musée des Beaux-Arts Le Locle (MBAL) est ravi de présenter l’exposition collective animal instinct / instinct animal, qui invite à réfléchir à nos relations avec le monde animal, tant du point de vue de notre identité que des enjeux contemporains de la biodiversité. Le projet s’inscrit dans la politique muséale du MBAL, qui a pour ambition de questionner les enjeux sociétaux en faisant dialoguer les chefs-d’œuvre de la collection permanente et pour ce projet celle, également, de MUZOO, La Chaux-deFonds, avec les créations contemporaines d’artistes invité·e·x·s. Pourquoi les tortues, à peine sorties du nid, se précipitent-elles vers la mer, et les araignées savent-elles spontanément tisser une toile ? Mystérieux, imperceptible et fascinant, l’instinct animal, attise la curiosité des artistes depuis toujours, tant dans ses aspects de représentation que des relations entre l’être humain avec l’animal. Que perçoit un chien qui court dans une usine abandonnée ? Comment les abeilles réagissent-elles aux pesticides ? Quel stress habite les animaux utilisés par l’armée ? Animaux artistes, philosophes, victimes ou résistants, les projets présentés interrogent les frontières floues entre l’inné et l’acquis, le sauvage et le domestique, la nature et la culture, la soumission et la liberté, la science et la fiction.

Le parcours débute à proximité du ciel au troisième étage où quelques abeilles voltigent, ne sachant plus où se diriger. Inspiré par le livre Les merveilles de l’instinct chez les insectes du naturaliste Jean-Henri Casimir Fabre (1914), le MBAL a invité le collectif suisse APIAN à présenter une installation originale mêlant vidéos, documents et objets sur le comportement des abeilles, perturbées par les pesticides. Créé par l’artiste Aladin Borioli, le collectif se définit comme un « Ministère des Abeilles chargé de la relation entre les humains et toutes les espèces d’abeilles ». Révélé au grand public par l’ouvrage Ruches (2020), devenu un best-seller international, il mêle des méthodes issues de l’anthropologie et de la philosophie jusqu’à la pratique de l’art et de l’apiculture, avec pour ambition de favoriser des rencontres plus égalitaires avec les abeilles.

Au deuxième étage, s’inscrivant dans la lignée des êtres imaginaires de Jorge Luis Borges (1957), l’intrigant oiseau bleu en bois, plâtre et cire de l’artiste Irène Grundel domine et se prolonge en une structure parée du bleu de ses ailes qui enferme en son sein un cabinet de curiosités présentant les collections d’objets et de sculptures du MBAL et de MUZOO. On y trouve des assiettes et des vases en terre cuite, des lapins sculptés dans de l’ivoire, des boîtes décoratives ornées de hiboux, ainsi que des sculptures en stéatite représentant des oiseaux et des animaux marins. Parmi ces trésors, la sirène créée par Willy Vuilleumier (1898-1983) dialogue de manière étonnante avec l’escargot en forme humaine qui joue de l’accordéon conçu par Robert Rudolf (1884-1932).

Les créatures réelles et oniriques des collections des musées, incluant des œuvres signées Marc Chagall et Robert Hainard, peintre naturaliste suisse, se confrontent sur les murs de la salle à l’inconscient technologique des animaux cinéastes d’Emilio Vavarella. Dans son court film, Animal Cinema (2017), ce dernier a réuni des extraits de vidéos filmées par des animaux qui ont volé et activé des appareils. Hypnotique, la séquence nous emmène dans un voyage sous-marin avec un crabe, une voltige captée par un vautour, ou encore une introspection réalisée par un singe. Des peintures classiques de vaches et de bœufs dialoguent avec la vidéo surréaliste de l’artiste néerlandais Erik Kessels, documentant le shooting photo d’une vache.

Le taureau déstructuré et coloré de Le Corbusier, ainsi que des merveilles de l’art moderne inuit, se confrontent au symbolisme du serpent reconstitué de Pamela Rosenkranz.

Le voyage se poursuit avec Patrick Goddard, qui partage une conversation avec sa chienne philosophe, dotée de plus de raison que d’instinct. Dans ce film, Animal Antics (2021), deux personnages discutent lors d’une visite au zoo : Sarah, une femme en milieu de vingtaine, et une chienne douée de parole, Whoopsie, bichon frisé très fière de son pedigree. Le dialogue dystopique et hilarant révèle que Whoopsie considère les animaux qu’elle voit comme des êtres distincts, différents d’elle-même. De la même manière que les êtres humains, elle refuse que son environnement immédiat soit contaminé par d’autres espèces. Et comme les humain·e·x·s privilégié·e·x·s, elle possède des papiers qui soutiennent et légitiment sa place dans l’ordre social. Une foule de ballons gonflés à l’hélium représentant des têtes de chiens et installés à hauteur d’homme empliront la salle de leur douce ou anormale présence.

La taxidermie dans les zoos bombardés de Gaza, qui pourrait être l’histoire de tous les zoos en zone de guerre, comme solution désespérée de résistance est au cœur de la pièce vidéo de Roman Selim Khereddine, Behind a thousand bars no world (2023).

Au premier étage, l’installation visuelle, spécialement créée pour l’exposition, de l’artiste polonaise Marta Bogdańska autour de son projet Shifters (depuis 2005) dévoile un mur d’image mêlant ses recherches photographiques sur les animaux utilisés comme espions, soldats, policiers ou kamikazes avec des œuvres de la collection animalière de MBAL. L’ensemble pointe avec force la relation de domination des êtres humains sur les animaux mais également les actes de révolte de ces derniers, explorés dans son nouveau projet Vive la Resistance !. Au rez-de-chaussée, la science, l’expérience et la fiction s’invitent à travers deux projets fascinants. Le collectif suisse BE-AR(T) présente dans une vidéo un répulsif contre les êtres humains destiné aux ours dans l’optique d’améliorer les relations interespèces ! Dans une salle encore vide, les animaux du zoo de la Chaux-de-Fonds, MUZOO, dévoileront le résultat de leur atelier artistique réalisé avec leurs soignant·e·x·s. Auront-ils de l’inspiration ?

Les enfants s’expriment et réfléchissent dans la salle Marie-Anne Calame sur trois grands prédateurs : le lynx, le loup et l’ours, en partenariat avec le magazine La Salamandre.

Visuel : John Drysdale, Boxing Kangaroo Hitting a Paparazzi for Trying to Photograph Him, 1967. © John Drysdale, Voller Ernst, ourplanet, Berlin