Mars, 2019

Fragments

sam16mar(mar 16)10 h 00 minlun11nov(nov 11)18 h 00 minFragmentsJean-Marc TingaudMusée de Bibracte, Mont Beuvray, 71990 Saint-Léger-sous-Beuvray, France

Détail de l'événement

Depuis l’origine relativement récente de la photographie – qu’est-ce que 193 ans à l’échelle d’une l’histoire de l’humanité qui en compterait approximativement deux cent mille ? – les hommes n’ont jamais cessé de s’interroger : la nature, les animaux, les autres hommes, se nourrir, s’abriter, se chauffer, les divinités, les vivants, les morts, l’amour, la guerre, la paix, le bien, le mal, la terre, le ciel, le vent, l’eau des ruisseaux, des rivières, des fleuves et de l’océan, le feu des herbes et celui de la foudre, la neige et la glace, les grondements venus des tréfonds de la terre…

Ils n’ont jamais cessé aussi de documenter, commenter, argumenter, témoigner.

Mais comment transmettre lorsqu’on doit tout inventer, passer du borborygme au langage, du cri informe au chant identifié, du trait improbable au dessin maîtrisé, de la glaise molle à la forme accomplie ?

Autant dire que la proposition qui m’a été faite par Laïla Ayache, d’exposer au sein même des collections du Musée Archéologique de Bibracte m’a surpris, pour ne pas dire stupéfait. Ces salles, je les ai parcourues de nombreuses fois, la plupart du temps en famille, souvent accompagné des amis de nos enfants. J’aime le site, la belle nature qui l’entoure, l’architecture de Pierre Louis Faloci, la clairvoyance rare d’un Président de la République, François Mitterrand, décidant de sa création, jumelée à celle d’un Centre européen de recherche archéologique où se retrouveraient des étudiants venus de toute l’Europe. Impressionné sûrement, jusqu’au moment où j’ai compris qu’en m’invitant à exposer mon travail en regard des découvertes constituant les collections du musée, il y avait un lien de parenté très réel entre les recherches des archéologues et les miennes. Il est vrai qu’en parcourant le monde, j’étais sans doute à la recherche d’improbables vestiges de présence humaine, dans des espaces de vie ou de travail ignorés la plupart du temps par les esthètes les plus avisés, par les sociologues ou anthropologues les plus perspicaces… Cette passion pour la recherche, artistes et scientifiques, à l’évidence se la partagent.

Le fil d’Ariane, alors, se dénoue. Les images défilent : les vestiges du Machu Picchu, 1973, les ex-votos en fer blanc du Sri Lanka, 1982, la série « Egyptienne » en 1984, celle des « Stèles » en 1985 pour le bi-millénaire de la ville d’Autun, les moaïs de l’Ile de Pâques en 1987, la collection d’art populaire de Patrick Diant, 2013, celle d’art africain de Patrick Caput en 2016. Les « Intérieurs » sont l’arête centrale, le résultat le plus visible de cette recherche patiente et obstinée. Ils trouvent leur aboutissement avec le recueil intitulé « Un monde ». Mais d’autres séries ont exploré les terres infinies de la mémoire, de la petite à la grande histoire. C’est dans l’intimité de mes contemporains, au hasard des continents, que mon travail s’est trouvé fécondé, patiemment construit et finalement révélé, sur des terrains où vestiges archéologiques et chroniques intimes se croisent…
De chronologie il faut bien sûr parler, car dès le déclenchement de l’obturateur, l’image capturée bascule dans le passé, ce qui n’empêche pas l’espace photographié d’être lui-même porteur de sa propre histoire, nous entraînant dans une mise en abîme temporelle sans fin… Il s’agirait donc, dans ce travail photographique, d’établir seulement une sorte de pré-inventaire à l’usage des archéologues des années 4000 ? Rien n’est moins sûr…

Cette relation avec l’archéologie, sur une autre échelle chronologique, m’a nourri tout autant, avec un vocabulaire (campagne, périmètre, datation, inventaire, recherche, mise à jour, découverte, conservation…) qui nous est curieusement commun, comme l’est aussi cette incertitude de la découverte dans des mondes enfouis ou ignorés, comme l’est encore la question des strates. Ce que nous révèlent conjointement archéologie et photographie, c’est aussi, autour de la question du choix des champs d’investigation, la nécessité de définir les limites de la découpe dans l’espace, espace de la recherche, espace de capture de l’image avec une découpe très précise qui en exclut impitoyablement le hors champ, comme le serait le hors sujet.

Dans ma démarche, il n’y pas de hiatus, encore moins de paradoxe, entre la contemplation d’oeuvres d’art consacrées et celle, bien plus discrète et anonyme, qui me conduit à découvrir, partout dans le monde, des panthéons intimes, résonnant comme des portraits. Une fois rassemblées, comme ce sera le cas dans cette exposition, les pièces dessineront les contours d’une vaste humanité, dans ce qu’elle nous révèle de beauté et de sensibilité poétique. La dernière série en gestation « Eden », explorant les jardins secrets, ne dira pas autre chose…
Dans l’ouvrage « Voir le beau dans l’ordinaire » destiné au jeune public, le Musée du Louvre, sous la plume de Manon Potvin, invitait le lecteur à regarder les reproductions de deux photographies tirées de la série « Intérieurs », l’une du Morvan… l’autre de Zagreb. Venant à la suite de reproductions des peintures de Le Nain et Georges de La Tour, elle écrivait : « Porter un regard personnel et original sur ce qui nous entoure peut aider à reconnaître le beau dans l’ordinaire. Une bonne façon de se préparer à découvrir les peintres de la réalité du XVIIe siècle français serait de s’exercer à regarder sans préjugés, d’apprendre à voir de ses propres yeux, en se libérant des jugements conformistes et des automatismes imposés par l’habitude. C’est en nous proposant des images tirées du quotidien que les artistes nous font accepter l’idée que cette réalité banale est parfois belle à voir. Ils transforment notre propre regard, notre propre sensibilité ».

L’image choisie pour l’affiche de l’exposition, intitulée « Les temps nouveaux », a été capturée dans un intérieur de Berlin-Est, quelques mois après la chute du Mur. Elle nous montre peu, mais nous dit beaucoup sur la destinée, l’histoire, individuelle et collective souvent confondues. Elle nous dit qu’un jour, une famille a franchi l’enceinte pour aller acheter de l’autre côté de l’interdit, une simple horloge à quartz, pour remplacer, au même endroit sur le mur, une pendule en bois, son mécanisme que l’on remonte avec une clé, son balancier qui fait tic-tac. Ils en avaient hérité de leurs parents qui habitaient là, avant la partition, avant la construction du Mur. Elle nous dit qu’un beau matin, à Berlin, une pendule, sous doute un peu chagrine d’avoir été détrônée, a malicieusement laissé sa trace…

Jean Marc Tingaud 14 février 2019

Dates

16 Mars 2019 10 h 00 min - 11 Novembre 2019 18 h 00 min(GMT+00:00)

Musée de Bibracte

Mont Beuvray, 71990 Saint-Léger-sous-Beuvray, FranceOuvert du 16 mars au 11 novembre 2019, tous les jours de 10h à 18h et jusqu'à 19h en juillet et en août (22h le mercredi).

Musée de Bibracte

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