De la terre & du ciel

Dix semaines en Islande

« Sans rien voir encore, le regard s’éclaire. Sans prendre forme, une force palpite. A cet instant, à cette seconde, on accepte, on est face à face avec le rien, on accepte d’être un homme inutile, vivant au bord du vide, face à face, dans la solitude et le silence, avec ce rien sans lequel, pourtant, rien de vital ne peut véritablement émerger, rien d’éclairant ne peut illuminer le réel. »

Pierre Cendors, L’Invisible Dehors

Ce voyage sur un temps long, en solitaire, je l’ai rêvé il y a plus de 40 ans… l’Islande n’était pas encore cette destination consommée aujourd’hui par 4 millions de touristes que ses 330 000 habitants voient chaque année se déverser sans vergogne et se précipiter en masse vers les spots (tout un programme dans cet anglicisme…) qu’ils ne verront souvent qu’à travers les écrans égotistes de leurs téléphones.

40 ans plus tard, j’en suis…

Mais pour celui qui veut bien prendre le temps, s’éloigner, se poser, se perdre peut-être… la terre d’Islande est généreuse d’émotions, de visions oniriques, de sensualité parfois rude derrière une impression de douceurs. Ne jamais oublier sa force tranquille qu’elle ignore dans l’insouciance du peu de temps de notre présence.

Bien que la trace de cette présence apparait dramatiquement, du recul des glaciers au piétinement des sites que le voyageur pressé traverse aveuglément, l’homme devrait rester modeste face aux puissances telluriques que cette terre de glace et de feu distille innocemment.

Les plis de la terre appellent à la caresse de la marche, que je souhaite la plus discrète possible, conscient toutefois de ma petitesse et de mon insignifiance.

Le zéro et l’infini, l’alpha et l’oméga… le vide et le plein aussi…

Fragilité de l’instant. Le vent, la pluie, le froid cisèlent le paysage, orfèvres insoupçonnés. La pose longue fige le mouvement, les velours aquatiques amplifient la puissance minérale, la forgent parfois…

Quand la brume apparaît, la terre et le ciel ne font qu’un, l’espace et le temps n’existent plus…

Alain Eudot