Cédric Calandraud

De 2019 à 2024, je suis revenu sur les terres de mon enfance pour photographier la jeunesse qui habitent les villages de l’est et du nord de la Charente. Etant moi-même parti à 18 ans pour étudier en ville, je me suis intéressé à ce moment de la vie, de l’adolescence à l’entrée dans la vie adulte, où d’autres décident quant à eux de rester se former sur le territoire en espérant s’insérer rapidement dans la vie active.

Ces jeunes s’appellent Anthony, Océane, Teddy, et ont entre 15 et 25 ans. Au fil d’une enquête immersive, je suis allé à leur rencontre dans les établissements scolaires, les centres sociaux, sur leur lieu de travail ou pendant leur temps libre lorsqu’ils se retrouvent « chez les uns les autres », au terrain de motocross ou sur les berges de la Tardoire. Bien qu’ils le décrivent souvent par le manque – de transports, d’emplois, de services publics, de lieux de sociabilité – j’ai observé à quel point les jeunes du coin sont attachés à « leur » territoire. En les accompagnant dans leurs différents espaces sociaux, j’ai voulu comprendre leur vision du monde, leurs préoccupations, leurs aspirations, et la manière dont ils mettent en place des stratégies pour se créer des espaces de libertés et vivre leur jeunesse. Dès le début du projet, j’ai souhaité être dans une démarche de collaboration avec eux. J’ai ainsi parfois endossé le rôle de « photographe public », comme peut l’être un photographe de mariage ou de baptême, en répondant aux demandes ou aux besoins des jeunes : des photos avec leur nouvelle moto, avec leurs copains/copines ou encore des photos de profils pour leurs réseaux sociaux. La photographie est ainsi devenue un sujet de discussion, d’échange, de don et de contre-don, me permettant de comprendre leurs intérêts pour l’image mais aussi de leur faire comprendre les miens en tant que photographe documentaire.

Au sein de certaines structures, j’ai également mis en place des ateliers d’initiation à la photographie autour du portrait. Ces séances, disaient certains, leur permettaient de rompre avec « l’ennui » et, pour d’autres, de reprendre confiance en eux, de retrouver une estime de soi à travers l’image que nous construisions ensemble.

Pour moi, ce travail avec eux a été l’occasion de redécouvrir ce territoire, mais aussi mon histoire et mes origines, et de les relier au présent de ma pratique photographique. Cette exposition retrace pour la première fois le projet dans sa globalité. Au fil des images, se dessine une jeunesse qui mène des vies sur le fil, entre précarité et isolement géographique, mais des vies solidaires qui font la part belle à l’amitié, au travail et à l’entretien d’une bonne réputation. Une jeunesse qui perpétue ainsi un style de vie rurale et populaire.

Photo : Feu d’artifice du 14 juillet dans un village de 500 habitants, Charente-Limousine © Cédric Calandraud