Juillet, 2021

Ce qui nous tient Marie Docher

lun05jul(jul 5)14 h 30 minsam10(jul 10)18 h 00 minCe qui nous tient Marie DocherGalerie Joseph Antonin, 40 rue Émile Barrère 13200 Arles

Détail de l'événement

« Que sait-on de cette écorce qui ressemble à un morceau de peau plissée ? De cette marbrure qui ressemble à un sexe ? Que nous renvoie le regard de cet animal qui semble si intensément vivant sous le feu de l’appareil : une force consciente, une différence précieuse, une indifférenciation profonde ? Que nous disent les roches, les liquides, les laves ? De quelle réciprocité nous sommes-nous éloignés ? (extrait de la présentation d’Immersions sensibles au palais de l’archevêché, Arles)

J’ai exposé en 2017 la série « Au commencement » de Marie Docher qui présentait le thème de la nature sous l’angle de l’énigme et du poétique, liant science onirique et détail précis de manière diffuse, sans perdre de vue une forme de sensualité, de sentiment nécessaire, d’empathie bienveillante pour le sujet. Au-delà de ce qui constitue la beauté du medium photographique, ce qui faisait la force de ce travail était que cette vision de l’origine et du cadre de l’évolution comportait un refus d’établir un caractère de supériorité hiérarchique à l’intérieur des catégories du sujet. D’autre part, la photographe semblait attacher au réel un intérêt qui ne fait pas l’unanimité dans le champ de la photographie dite plasticienne. Quelque chose dans cette photographie relevant pourtant de l’esthétique picturale, ne s’était pas détourné de l’accident du réel, c’est-à-dire d’une mélancolie portant sur l’état de nature même. Par nature, je veux dire aussi bien le fond humain que le fond terrestre, et les deux entremêlés en un « soi » difficile à définir, voire même intenable dans la perspective de la destruction probable qui menace la biosphère. Cette constance à ne pas quitter le sol et ne pas tomber uniquement dans la délectation du plaisir qu’offre la surface de l’image, est une butée suffisamment rare de nos jours pour qu’on s’y arrête.
Il y aurait là comme une part de résistance à se couler dans le moule de l’attendu de la norme décorative, qui donnerait à cette photographe une capacité d’aller à contrario à la rencontre des phénomènes simples et de s’interroger aussi bien sur le silence de la terre parsemée de racines sombres et noires que sur la présence d’une pierre couverte d’algue humide, logée et dressée dans sa main, tel un silex antique. Il y a là un intérêt du regard pour le regard. Ceux et celles qui le partagent savent que ce que l’on appelle la magie n’existe pas en dehors du vivant ni de la réalité, mais que le vivant et la réalité sont bien plus étranges à cerner qu’on ne le croit de prime abord. Les paysages, par exemple, sont souvent le lieu de ce dialogue étrange entre un supposé « nous» et un supposé « autre ». Un ciel fait autant appel à « l’élévation de l’âme » qu’il contient une part de violence au travers de l’instabilité des éléments qui composent l’atmosphère.
A l’opposé des tendances narcissiques de la psyché humaine qui comportent le danger d’être fixantes car unifiantes, essentialistes car catégorisantes, schématisantes car simplifiantes, le monde vivant est une totalité dynamique, évoluant et changeant sans cesse. Cette perception de la syntaxe complexe du monde, cet attrait pour la respiration au sein des choses et des états fait du travail de Marie Docher, en photographie, quelque chose de subtil et de nuancé. Dans cette sélection d’une dizaine de photographies, j’ai souhaité montré la tension au centre de cette démarche à la fois sensible et naturaliste. Partant du mouvement de l’écume agitée de la mer au motif de la robe fauve d’un mammifère parcourue par le dessin sec des mèches de poil qui se dressent, passant par le feu dans le bois qui s’enroule au contact de l’air, je voudrais m’arrêter à cette tête de cheval qui concentre soudain en un cadre serré la position inextricable où nous place le regard devant le réel. On ne sait pas si c’est nous qui regardons cet œil rond comme une bille bleue ou si c’est l’œil soudain qui nous voit. Et cela tient au sens que nous donnons à la psyché. De même qu’au déni que nous entretenons avec ce qui ne relève pas de notre maîtrise. Que voit cet œil de cheval qui semble troublé ? Est-ce l’objectif d’acier et de verre de la caméra ? Que pense l’animal ? Que pense le sujet à l’intérieur du sujet ?
C’est ineffable. L’on se trouve comme devant l’impression de devoir sonder quelque chose qui est insondable. On est face à une limite, un bord, une coupure. C’est ineffable. Ce qui nous tient, pourtant, c’est d’entretenir et de faire durer le mystère sous la forme d’une illusion qui fait rempart au vertige. Un semblant qui doit avoir une valeur qui nous dépasse, un critère au-dessus de nous. Ce qui tient est, au fond du mirage, une question d’éthique. Cette exposition, je l’ai voulue en trois parties (Marie Docher à la photographie, Guillaume Flageul à la peinture et moi-même au dessin) comme un dialogue éclairé par la complexité de restituer cette part de réel au cœur du vivant.
Clémentine Feuillet, Arles, le 5 mai 2021

Dates

5 Juillet 2021 14 h 30 min - 10 Juillet 2021 18 h 00 min(GMT-11:00)

Lieu

Galerie Joseph Antonin

40 rue Émile Barrère 13200 Arles

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