Novembre, 2022

Balzac face à la Photographie

mar08nov(nov 8)10 h 00 min2023dim15jan(jan 15)18 h 00 minBalzac face à la PhotographieMaison de Balzac, 47, rue Raynouard, 75016 Paris

Détail de l'événement

«  Et celui qui y voyait le plus loin…. »

A la fin du discours qu’il prononça le 19 août 1839 à l’Académie des Sciences pour révéler au monde l’invention de la photographie, François Arago, astronome, physicien et homme d’état français s’interroge : «  On s’est demandé s’il serait possible d’arriver à obtenir un portrait. C’est ce dont M. Daguerre ne doute point aujourd’hui ». Déclaration prémonitoire, puisque le portrait deviendra vite un des genres majeurs de la photographie et que, trois années plus tard, en mai 1842, Balzac prendra aussi la pose devant l’objectif de Louis-Auguste Bisson en composant lui-même son personnage. Comme se plaît à le raconter Nadar (1), Balzac aurait exprimé des réticences face au procédé du daguerréotype, sensé lui voler une couche de son âme, mais cette crainte, poursuit Nadar avec une certaine malice,  «  était-elle sincère ou jouée ? ». Balzac avait été en fait fasciné par cette invention et dès 1822, il fait part de son admiration pour le Diorama de ce « polisson » de Daguerre. Dans une lettre à Madame Hanska, il écrit : «  Je suis ébaubi de la performance avec laquelle agit la lumière » pour ajouter «  Ce qui est admirable, c’est la vérité, la précision » (2). Balzac fait ainsi preuve bien en avance sur certains d’un jugement très clairvoyant face à la photographie. Celle-ci, sur un autre mode que l’écriture, n’est pas sans répondre à l’exigence de son regard et de son talent d’observateur et qui sait ce qu’il serait advenu si il n’avait pas quitté la vie trop rapidement. Balzac, en effet, mourra en 1850 sans avoir bénéficié, comme il en était vite devenu la coutume, d’un portrait post-mortem, mais celui réalisé en1842, et qui constitue le fleuron de la collection de photographies du Musée, deviendra vite une icône. Ce portrait connaîtra de nombreux avatars sous forme de reproductions exécutées notamment par Gustave Le Gray, Camille Silvy et Pierre Petit (3). Quant à la photographie spirite du spectre de Balzac réalisée par Jean Buguet en 1873-1875 (4) elle vient à point nommé ouvrir la boite des images de l’imagination et des doutes.

Que peut la photographie face à la littérature ?

La Maison de Balzac possède un ensemble de photographies qui offre, à plusieurs titres, beaucoup d’intérêt. Mais ce fonds, si on met de côté dans un premier temps les œuvres des artistes contemporains, est en grande partie, documentaire et constitué d’images réalisées après la mort de l’auteur : de rares portraits de proches, des vues de lieux habités par Balzac, des captations de mises en scène de théâtre ou de réalisations cinématographiques. Cet ensemble est précieux et répond à une responsabilité muséale. Mais comment regarder ces photographies et quel rôle peuvent-elles avoir face à une œuvre littéraire ? D’un côté on peut regretter que la photographie, avec cette « ressemblance garantie » (5) qui la caractérise, «  restreint le potentiel d’imaginaire du discours littéraire et renvoie le lecteur à une réalité dont l’authenticité ne peut être mise en doute » (6). Mais de l’autre, si la photographie bloque le regard et s’empare de cette réalité, elle entretient aussi avec celui qui la regarde cette « pulsion scopique » définie par Sigmund Freud comme le plaisir de posséder l’autre par le regard. Dans Nadja, André Breton écrit : «  A une description, je préfère une photographie ». Rodin de son côté ne cache pas avoir consulté de nombreux portraits de Balzac pour finalement garder celui en daguerréotype, « la seule effigie fidèle et vraiment ressemblante », pour ajouter « longuement j’ai étudié ce document, aujourd’hui je le tiens, je connais Balzac comme si j’avais passé des années avec lui » (7). Si un simple portrait photographique peut ainsi donner chair à l’imagination d’un artiste, une simple vue, même documentaire, peut-elle nourrir aussi l’imagination de celui qui la regarde et  amplifier le texte dans sa fiction ?

De l’image littéraire à l’image photographique.

Le même François Arago évoque ainsi Honoré de Balzac qui habita en bordure des jardins de l’Observatoire entre 1828 et 1835 : « …de cette fenêtre de la terrasse, j’aperçois la lueur vacillante de ses bougies : nous étions ainsi deux veilleurs nocturnes, moi les yeux dirigés sur l’espace, lui le front penché sur son papier. Et celui qui y voyait le plus loin de nous deux, ce n’était peut-être pas l’astronome ». Il ne faut pas oublier que la richesse descriptive de l’œuvre de Balzac repose également sur un profond travail d’observation qui nourrit ses romans de toute une dimension visuelle. « Balzac ne saura rendre l’air, l’atmosphère, le vivant coloris du paysage que s’il compare sa vision, peut-être trop brillante, avec la réalité »,   écrit Stefan Zweig dans la remarquable biographie qu’il lui a consacrée. D’un autre côté, à l’époque de Balzac, la photographie, toute nouvelle arrivée, est encore loin d’avoir acquis son autonomie pour devenir un langage à part entière, un langage qui lui donne la possibilité de dépasser la réalité, de ne pas se restreindre au statut de preuve ou de simple matériel descriptif. Le photographe René-Jacques qui a « illustré » avec ses photographies plusieurs romans explique dans une conférence ce que doit être une photographie face à une œuvre littéraire : « il ne faut pas trahir l’auteur, ne pas lui faire une cage même dorée, dans laquelle l’imagination du lecteur resterait contrainte et captive » (8). C’est ainsi que les jeunes photographes de l’Elmad Auguste Renoir sous la conduite de leur professeur Aurore Le Maître et à la suite d’artistes contemporains précédemment exposés au Musée, se sont personnellement engagés dans l’œuvre de Balzac pour créer des images qui nous en livrent des équivalences visuelles. On dit souvent qu’une photographie vaut mille mots, pourquoi ne pas se demander si cette même photographie peut remplacer une phrase, car c’est bien là que peut aussi se jouer toute l’ambiguïté et la richesse de cette relation.

Françoise Paviot octobre 2022

Nadar : Quand j’étais photographe. Paris – 1900.
Cité par Nicolas Derville dans Etudes photographiques n°6 , Honoré de Balzac, une autre image. Mai 1999.
Il existe en fait deux daguerréotypes, le second fait partie des collections de l’Institut de France.
Publiée par Clément Chéroux -Bulletin trimestriel de la Société française de photographie n°7.
Mention manuscrite figurant au dos d’un daguerréotype non identifié.
Hubertus von Amelunxen : Quand la photographie se fit lectrice. Revue du XIXème siècle – 1985. CDU-SEDES.
Hélène Pinet : Le Balzac de Rodin – Paris -Musée Rodin 1998.
René-Jacques : Cahiers français d’information -1951 -Documentation française.

Dates

8 Novembre 2022 10 h 00 min - 15 Janvier 2023 18 h 00 min(GMT-11:00)

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