Juillet, 2021

Arrêt sur Image

ven16jul15 h 00 minlun16aou18 h 00 minArrêt sur ImageLaurence Philomène / Marie RougeLa Chambrée, 3, rue Victor Hugo 35000 Rennes

Détail de l'événement

On connaît le scénario cishétéronormatif : en 24 images par seconde, il déroule son film sur les écrans de télévision et de cinéma en vertu d’un scénario bien scripté, répété. Au male gaze théorisé par Laura Mulvey (1975), néologisme qui sert à décrire la façon dont l’économie visuelle des représentations nous installe systématiquement dans la posture de l’homme hétérosexuel, il faudrait sans doute ajouter le cis gaze, cette tendance qui vise à « présenter les personnes trans comme si elles existaient uniquement pour satisfaire le voyeurisme des personnes cis et pour les divertir » (Charlie Fabre, 2020). Des oeuvres telles que Some Faggy Gestures (Henrik Olesen) ou, plus récemment, A Thousand Cuts (B.G.-Osborne), montrent bien comment les représentations (de l’homosexualité, de la transidentité) font partie des pratiques régulatrices qui orientent nos conceptions partagées du genre et de la sexualité.

Dans ce flot quasi ininterrompu d’images, les photographies de Laurence Philomène semblent relever de l’arrêt sur image. D’abord parce qu’elles suspendent temporairement la succession effrénée de mises en scène normées du genre pour offrir, tout en couleurs acidulées, une alternative au regard. L’arrêt, pareil à un grain de sable dans l’engrenage, stoppe un temps la redondance des représentations conventionnelles de l’identité de genre.

Les images de Laurence Philomène sont comme autant de freeze frames piochés dans le récit alternatif de la transition : le corps y exécute diverses mises en scènes tirées du quotidien, où la banalité de l’ordinaire se revêt de couleurs vives. Elles sont de véritables scènes de genre, et doublement : d’abord, car les personnages y sont fixés dans l’exécution d’une activité, surpris en plein geste, tel que le veut cette tradition picturale. Ensuite, car dans l’œuvre de Philomène, ces activités (repas en sous-vêtement, échange d’un joint, prise hormonale, sieste au soleil, etc.) ont muté, qu’elles questionnent la binarité de l’identité de genre. Paradoxalement, en produisant un arrêt, un hoquet, Laurence Philomène engendre une fluidification de la représentation : c’est que la série Puberty donne à voir une transition, sans que l’on sache précisément entre quels états. En produisant une profusion d’images qui suspendent la narration habituelle, Laurence Philomène construit un nouveau film, qui refuse d’avoir un début ou une fin ; un film qui, comme la puberté, trouve son sens dans le changement, la mutation, la désidentification.

Cette surabondance de l’image, nous avons voulu la mettre en correspondance avec les portraits de Marie Rouge. En dehors d’une affinité chromatique, ses photographies partagent avec celles de Laurence Philomène un goût pour le temps d’arrêt : les sujets, qui défient ici aussi la norme de genre avec une attitude qui varie de l’allégresse à l’indifférence, posent devant la photographe sur des fonds d’une sobriété qui contraste avec la profusion des détails caractérisant Puberty. Mais c’est le même soubresaut qui est à l’oeuvre : l’extraction des corps marginalisés de tout contexte, leur célébration par l’esthétique à la fois tendre et très léchée de Marie Rouge, constitue aussi

une façon de plus de refuser les interprétations pathologisantes ou pathétiques des vécus queer, les récits dramatiques auxquels ils sont trop souvent confinés (entre autres par le cinéma, la télévision, la littérature). En extrayant ses sujets de tout contexte, Marie Rouge leur redonne la mainmise sur leur propre récit, les dérobe à l’interprétation facile et questionne elle aussi, en l’interrompant, la narrativisation cishétéronormative de la marginalité. Moins scènes de genre que natures mortes en ce qu’elles montrent l’articulation de quelques éléments statiques selon une symbolique à la fois riche et hermétique, ces portraits sont cependant loin de manquer de vivacité. Nous voulons croire que les regards que nous jettent ou nous refusent les sujets à l’image sont peut-être tournés vers cet autre film, alternatif, que construise des pratiques telles que celles de Marie Rouge et Laurence Philomène.

Le travail de Marie Rouge s’articule autour du portrait et du reportage, s’intéressant particulièrement aux femmes et au milieu LGBTQI+, qu’elle sublime dans des clichés empreints de poésie et de détermination. Fortes, frontales, dans une mise en scène dépouillée, les modèles immortalisés par Marie Rouge s’apparentent à des icônes.

Laurence Philomène est un.e artiste non-binaire de Montréal, Canada. Iel crée des photographies colorées centrées autour des expériences trans et queer, souvent à travers des projets autobiographiques de longue durée. Sa pratique célèbre l’existence trans et étudie l’identité en tant qu’espace en flux constant à travers des images cinématiques et hautement saturées de la vulnérabilité. Par les vertus d’un processus de soin (mutuel et personnel), ses photographies humanisent des identités qui ont été historiquement marginalisées dans un acte qui s’apparente à une lettre d’amour adressée à sa communauté.

Dates

16 Juillet 2021 15 h 00 min - 16 Août 2021 18 h 00 min(GMT-11:00)

Lieu

La Chambrée

3, rue Victor Hugo 35000 Rennes

Other Events

La Chambrée

3, rue Victor Hugo 35000 Rennesvendredi 15h00-18h00 samedi 15h00-18h00

La Chambrée

Get Directions