Février, 2025

Anne Favret & Patrick Manez

mer26fev(fev 26)14 h 00 minven06jui(jui 6)18 h 00 minAnne Favret & Patrick ManezAlimentation générale, une traversée photographiqueForum d’Urbanisme et d’Architecture, 89 Rte de Turin, 06300 Nice

Détail de l'événement

EXPOSER L’ARCHITECTURE PAR LA PHOTOGRAPHIE
Yves Nocher, directeur du Forum d’Urbanisme et d’Architecture

Pourquoi (et comment) montrer l’architecture par la photographie?
Nous ne sommes pas les premiers à nous poser cette question tant il existe un compagnonnage ancien entre la photographie, l’architecture et la ville. En 1858, une prise de vue de Nadar depuis un ballon survolant Paris offrait le premier cliché aérien d’un espace urbain, une représentation jusqu’alors impensée. Comme en écho, une photographie du chantier de la cité de la Muette à Dranclj dans les années trente cadrait celle-ci, également vue de haut, dans l’aile d’un biplan, l’ossature métallique à l’américaine de ce qui était alors les premiers gratte-ciels de France apparaissant visuellement comme un écho de la structure de l’avion. Le plus remarquable était pourtant ailleurs: dans le fait que le pilote n’était autre que l’un des deux architectes de ce programme, Marcel Lods, qui tenait ainsi à la fois le craljon pour le projet, l’appareil photo pour l’immortalisation par l’image et le manche à balai – soit toute une chaine allant de production de l’architecture elle-même à sa représentation (la photographie) et à la construction d’un récit (l’architecte aviateur).

Dans la même veine, on n’avait pas attendu l’avènement de la photographie pour que les images dramatisent l’architecture, la ville ou le paysage. Au XVIIIe siècle, les gravures des prisons imaginaires de Piranèse firent date au point que, lorsqu’il présenta son projet pour Euralille dans les années quatre-vingt, l’architecte Rem Koolhaas revendiqua le terme d’espace piranésien pour le grand puits de lumière plongeant de la surface vers les profondeurs du métro. Un siècle plus tard, c’est une représentation romanesque de l’architecture qu’offrent les lavis de châteaux médiévaux par Victor Hugo, qui donnait à son trait le même souffle narratif qu’à ses mots.
L’emphase des formes fonctionne également dans la représentation du paysage, pour lequel le xrxe siècle des Romantiques a marqué une bascule entre la crainte ancienne d’une nature vue comme une somme d’éléments hostiles (la mer déchainée, les précipices des montagnes) et l’émergence nouvelle de l’idée de paysage comme construction esthétique1. C’est en 1834 justement que Viollet-le-Duc (dont on connaît l’appétence pour la mise en récit de l’architecture dans un roman historique en grande partie fictionnel) s’aventure dans une théorie picturale du paysage par des huiles saisissantes d’un Etna confinant sur la toile à l’abstraction géométrique.

Pourquoi évoquer ces oeuvres s’agissant de parler de notre utilisation de la photographie pour rendre l’architecture intelligible au grand public? En fait, il s’agit de la même chose.
L’architecture est une expérience à vivre; nous sommes entourés de formes sensibles qui ont été pensées, dessinées, assemblées, et qui sont par là-même une expression de la culture 2.
Pour autant, nous avons peu conscience de cela: l’art, la musique, la littérature, le cinéma peuvent intéresser tout un chacun (nous parlons entre nous des livres que nous avons lus ou des films que nous avons vus), mais l’architecture (qui est pourtant une expérience vécue tout aussi collectivement) n’a pas cette même présence dans les esprits. Les spécialistes parlent d’architecture, mais les gens qui vivent dedans n’y pensent pas 3. Là est le paradoxe de notre mission comme lieu de débat sur l’architecture: susciter l’intérêt pour une chose à laquelle il est facile de ne pas penser.

J’eus un jour une conversation avec un architecte en vue, qui me disait que sa concurrence la plus directe était la télévision (Internet était alors encore balbutiant) et que, pour rendre ses bâtiments visibles dans la ville, il était contraint de leur donner un impact aussi fort que le prime time. Notre impératif, comme centre d’architecture, est le même: susciter l’intérêt. De fait, comme les écrans, nous cherchons à capter l’attention du public en l’entrainant dans une histoire pour (mine de rien) lui parler en fait d’architecture. Il ne s’agit pas d’un dévoiement – il y a même une cohérence à raconter une histoire pour faire entrer les gens dans l’architecture puisque celle-ci est par elle-même un récit, dans lequel peuvent se croiser la découverte, l’étonnement, la poésie et la réflexion esthétique. La question est de savoir comment s’y prendre. Quand nous pensons une exposition, le choix que nous faisons de nous appuyer sur tel ou tel support n’est pas neutre: il se fonde sur des techniques disponibles, il se lit en rapport à un état du débat d’idées, il exprime les choix d’un commissaire. Il se trouve qu’au Forum nous misons aussi sur la photographie. Nous le faisons précisément parce qu’elle est un véhicule complexe, parce qu’elle peut faire beaucoup plus que donner à voir l’architecture, la ville ou le paysage de façon simplement documentaire (une photographie d’illustration). Elle est un véritable champ de création avec des démarches d’auteurs, avec une densité narrative qui fait entrer le spectateur dans le cadre, en lui donnant à comprendre et à vivre une architecture alors enrichie d’un véritable point de vue. C’est en « surfant » sur cette capacité d’une photographie de création à nous entraîner dans des récits que nous offrons à nos visiteurs une expérience sensible qui révèle intensément les formes qui nous entourent.

Lorsque l’on s’adresse à un public, il faut se rappeler que les autres ne pensent pas nécessairement comme nous, et se placer dans la logique de l’autre pour pouvoir proposer ses propres idées (sinon au minimum on parle dans le vide, et le plus souvent on agace). Si, pour espérer intéresser à l’architecture, nous parlions uniquement de plans, de coupes, d’élévations, d’axonométries ou d’isométries, si nous ne savions pas sortir de nos codes parfois abscons pour des profanes, nous perdrions très vite notre public en cours de route. C’est en cela qu’un Victor Hugo nous montre une voie: son art consiste à proposer des récits littéraires mais, chemin faisant, il donne à vivre « de l’architecture » comme en ayant l’air de ne pas y toucher. Il nous fait vibrer avec les emportements d’Esmeralda et les dépits de Quasimodo, mais en fait il nous rend Notre-Dame incroyablement réelle: mieux que Monsieur Jourdain disant de la prose sans le savoir, il nous parle d’architecture en nous entraînant dans une autre narration apparente. C’est bien car nous avons aussi le goût des récits que nous nous entêtons à raconter l’architecture comme on déroule une histoire, que nous faisons du Victor Hugo en conviant nos visiteurs dans une narration de laquelle sort en creux une « pédagogie » de l’architecture – avec un faible assumé pour la puissance discursive de la photographie 4.

Ainsi s’explique notre choix de montrer à nouveau le travail photographique de Patrick Manet, et Anne Favret5, cette fois avec une tout autre ampleur et sous les regards éclairés d’un commissaire au croisement de la critique architecturale et de la théorie de la photographie et de trois essayistes non moins engagés dans le débat autour de l’art, de la ville et du paysage 6. Après dix ans comme photographes d’architecture à documenter des bâtiments pour la presse et l’édition, ils sont tous deux devenus, par une évolution délibérée de leur pratique, des photographes d’architectures – dans le sens où ils font entrer les formes construites dans des images complexes et scénarisées au gramme près. Avec celles-ci, il est question de topographie, d’histoire des lieux, de paljsages humains; par celles-ci il est proposé des représentations qualifiées et engagées de lieux, en pleine conscience des réalités composites de l’époque, qui nous aident à. comprendre notre société en questionnant la notion d’objectivité (celle de la photographie autant que la nôtre). En cela, les vues qu’ils composent sont autant des images à. regarder que des images qui nous regardent, nous interrogent et nous situent dans le temps et dans le monde.

1 par ailleurs détachée du religieux, en ne considérant plus la nature comme une construction divine révélée et intangible (et par là même non sujette à l’appréciation critique), mais bien comme une donnée profane que l’on peut saisir autant par les sens que par la raison et représenter sans plus de soumission aux dogmes de la spiritualité
2 Ce sont même là les tout premiers mots de de la loi de 1977 sur l’architecture : « L’architecture est une expression de la culture. »
3 Dans un texte portant justement sur le travail de Patrick Manez et Anne Favret, l’historien de la photographie Michel Poivert le formulait ainsi: « Nous faisons de l’architecture et de la ville toute entière un usage distrait ».
4 Cette puissance discursive est devenue plus patente encore au tournant des années 2000 s’agissant de ce que l’on a pu qualifier alors de pratique du tableau photographique, notamment avec des figures iconiques comme Jeff Wall ou Thomas Demand, qui propulsaient la relation au cadre bâti ou au paysage dans le registre de la fiction.
5 Avant la présente exposition monographique, leur travail a déjà été montré dans les expositions « Arboretum » en 2022 (avec arc en rêve centre d’architecture) et « Californie d’A0ur » en 2024; ils avaient par ailleurs donné au Forum un cours public en 2020, significativement intitulé « Nous ne sommes pas photographes d’architecture ».
6 Respectivement: Marc Donnadieu, Nathalie Amae, Bruce Bégout et Philippe Poullaouec-Gonidec

Dates

26 Février 2025 14 h 00 min - 6 Juin 2025 18 h 00 min(GMT+00:00)

Lieu

Forum d’Urbanisme et d’Architecture

89 Rte de Turin, 06300 Nice

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