La France est le seul pays au monde à avoir un département de la photographie au sein de son ministère de la Culture. Depuis 2018, sous l’impulsion de la ministre de la Culture de l’époque, Françoise Nyssen, la photographie fait figure d’exception. Rencontre avec Fannie Escoulen, la cheffe de ce département singulier qui oeuvre au quotidien pour la défense d’un médium et de tous ses acteurs. Une rencontre que nous publions à quelques jours de l’ouverture de la cinquième édition du Parlement de la Photographie.
Pouvez-vous revenir sur le rôle du Département de la photographie au sein du ministère ?
Le rôle du Département de la photographie est très transversal au ministère de la Culture. Il est situé au sein de la Délégation aux arts visuels de la Direction générale de la création artistique (DGCA), mais la photographie est concernée par des problématiques plus larges liées aux questions des médias, du patrimoine ou encore de la transmission et de l’éducation qui dépendent d’autres directions. Nous devons donc travailler en étroite collaboration avec la Direction générale des médias et des industries culturelles, la Direction des patrimoines et de l’architecture, la Délégation générale à la transmission, aux territoires et à la démocratie culturelle ou encore le Secrétariat général. Notre rôle est également de dialoguer étroitement avec les Directions régionales des affaires culturelles (Drac), dans une dimension territoriale qui est fondamentale puisqu’elles sont en lien direct avec les acteurs culturels et les réseaux en région. Nous avons cinq grands axes sur lesquels nous oeuvrons au quotidien, qui sont la question du statut des photographes et du droit d’auteur, le soutien à la création, l’accompagnement de l’ensemble de l’écosystème de la photographie et de ses réseaux, le patrimoine photographique et enfin l’éducation à l’image. Ces axes ont été mis en exergue dans le rapport de Laurence Franceschini, publié en mars 2022, un travail complet qui a permis de dessiner les enjeux de notre département à l’aune des problématiques observées grâce à la concertation qu’elle a effectuée auprès de cinquante acteurs de la photographie. Nous avons pu ainsi ancrer notre feuille de route à la suite de ce rapport, qui a beaucoup compté pour la profession, et ainsi avancer sur différentes situations (les statuts, le droit d’auteur, les aides à la création, les questions d’égalité femmes-hommes…).
L’étude du Comité de liaison et d’action pour la photographie (CLAP) sur la rémunération des photographes vient de sortir : qu’avez-vous pensé des chiffres publiés ?
Je pense qu’il faut être prudent par rapport à ces données, car il s’agit d’un échantillon observé de 1 000 photographes. Il y a une dizaine d’années, le nombre de photographes était de 25 000, aujourd’hui, on est peut-être plus proche des 30 000. Ces chiffres ne reflètent pas l’entièreté de la profession et ne donnent pas une vision complète de la situation. Nous espérons qu’une prochaine étude du ministère de la Culture puisse être réalisée pour mettre à jour ces chiffres et avoir une vision plus exhaustive, particulièrement sur la provenance des revenus des photographes. L’arrivée du numérique a été fracassante pour la profession, et nous aimerions avoir une évaluation de cet impact sur leur carrière, notamment à l’heure de l’intelligence artificielle. Nous aimerions aussi connaître la progression des revenus en fonction de l’âge, notamment chez les femmes qui sont particulièrement touchées au milieu de leur carrière. Autant de données manquantes aujourd’hui pour pouvoir analyser pleinement la situation. Maintenant, en effet, les chiffres de l’enquête du CLAP sont très préoccupants.
L’étude révèle également les principales difficultés rencontrées par les photographes, comme la baisse des tarifs ou encore le non-respect du droit d’auteur, est-ce que le ministère a les moyens d’agir sur ces points ?
C’est toute la question de la valeur de l’image qui nous préoccupe. Avec la Direction générale des médias et des industries culturelles, nous avons mené une étude, fin 2022, sur les crédits photographiques dans la presse écrite, portant par exemple sur l’utilisation du droit réservé (DR), qui était l’un des points du rapport Franceschini. Ce travail nous a permis de nous rendre compte que l’utilisation de la mention “DR” était plutôt faible, mais qu’il y avait encore trop d’images non (ou mal) créditées. Nous menons une seconde étude sur les crédits des images dans la presse numérique. Alors comment redonne-t-on de la valeur à l’image, là où on a réussi dans d’autres domaines (musique, audiovisuel ou cinéma) à imposer des réglementations strictes d’utilisation des contenus ? Nous devons agir sur une réglementation et sur une surveillance beaucoup plus importante. C’est pour cela que les études que nous menons sont fondamentales, afin d’avoir une observation très précise de la situation. Nous avons lancé des concertations avec les acteurs de la photographie, en vue de travailler en faveur d’une meilleure pédagogie et de cadres plus réglementaires, que ce soit auprès des éditeurs de presse, des plateformes numériques, et plus largement de tous les publics qui utilisent la photographie. Chacun d’entre nous doit intégrer que l’utilisation d’une photographie doit être rémunérée.
Le ministère de la Culture avait communiqué sur la différence de rémunération entre les femmes et les hommes photographes, avec respectivement 1 000 € contre 1 400 € de revenus mensuels. Des résultats qui se confirment dans cette étude. Le ministère est très investi sur ces questions, pouvez-vous nous parler de vos actions ?
Une feuille de route sur la parité femmes-hommes dans tous les secteurs de la culture a été mise en place au sein du ministère de la Culture. Elle est portée depuis des années par Agnès Saal, haute fonctionnaire à l’égalité et la diversité au sein du Secrétariat général. La photographie s’y est insérée très activement grâce au travail de Marion Hislen, mon prédécesseur. Des associations, des réseaux se sont aussi mobilisés, comme celui du collectif La Part des femmes mené par Marie Docher, qui a livré des chiffres complets sur l’invisibilité des femmes dans les programmations, sur le marché ou encore dans les acquisitions.
Devant de tels écarts de visibilité, nous avons compris que le problème était sérieux, et le ministère a été très proactif en mettant en place de nombreux dispositifs. Aujourd’hui, dans les conventions d’objectifs, la parité est devenue un indicateur incontournable, et les chiffres ne sont plus du tout les mêmes qu’en 2018. On atteint une quasi-parité dans les programmations, les acquisitions et dans les prix et résidences notamment. C’est primordial puisque, à partir du moment où les femmes seront représentées à parts égales des hommes, leurs revenus progresseront nécessairement. Pour les femmes qui ont des enfants, on observe aussi qu’elles ont, davantage que les hommes, des ruptures dans leur carrière. La sociologue et photographe Irène Jonas avait écrit dans son rapport Et pourtant, elles photographient…, paru en 2020, que la progression des carrières pour les salariés se fait de manière verticale et qu’un congé maternité ne vient pas interrompre les progressions de rémunération des femmes. Pour les artistes, c’est différent : quand on interrompt ou ralentit sa carrière et que l’on se retire d’un réseau, il est difficile ensuite de retrouver la même rémunération. C’est pour cela, entre autres raisons, que la situation des femmes photographes et des artistes en milieu de carrière est préoccupante.
Nous avons mis en place au sein de la Direction générale de la création artistique un programme de résidences avec la Cité internationale des arts, Elles & Cité, à destination de femmes photographes ayant une dizaine d’années d’expérience, résidant hors Île-de-France. Évidemment, cela peut paraître insuffisant, mais cela permet à six photographes par an d’être rémunérées pendant trois mois, avec une bourse de production, et de recevoir un accompagnement professionnel avec un mentor, en plus d’avoir accès à tout un réseau professionnel. Elles sont logées à la Cité internationale des arts et peuvent venir avec leurs enfants. Au sein du Conseil national des professions des arts visuels, la Délégation aux arts visuels a constitué un groupe de travail spécifique sur l’égalité et la parité, autour de la question de la rémunération des artistes auteurs et des différences entre les femmes et les hommes.
La précédente étude du CLAP pointait la difficulté pour les grandes institutions et grands festivals d’exposer les photographes de la scène française. Comment les inciter à leur donner plus de visibilité ?
Il est vrai que la France ne représentait pas assez sa scène photographique ces dernières années, notamment au sein des grandes institutions et festivals, mais il y a de belles choses à retenir de cette étude. Les centres d’art en région exposent majoritairement cette scène française si dynamique. Cet objectif de valorisation de la scène photographique française est inscrit dans les conventions d’objectifs pluriannuelles, avec des indicateurs de suivi : les responsables d’institutions ont des obligations très mesurables. On ne dit pas qu’il faut faire 100 % de scène française, mais au moins entre 40 et 50 %. Soutenir la scène photographique française est primordial, parce qu’on sait qu’une exposition dans une grande institution va avoir des répercussions économiques indéniables pour les photographes. Ce n’est pas seulement une question de notoriété ou de visibilité, c’est la possibilité par la suite d’être publié, d’obtenir des commandes ou des campagnes publicitaires, voire de trouver une galerie, et l’on sait que le marché de la photographie, malgré tout, aide aussi un certain nombre de photographes à vivre. Un photographe n’a pas qu’une seule source de revenus. C’est donc tout un système très vertueux qui s’opère par la suite.
INFORMATIONS PRATIQUES
À LIRE
Est-ce encore possible de vivre de la photographie ?
Cet entretien a été publié dans le numéro #368 Réponses Photo du mois d’avril.