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Si la question des frontières est plus que jamais d’actualité, celle des drapeaux en est l’une des occurrences au gré de l’imaginaire collectif, régulièrement convoqué par des mouvements de contestation ou d’appartenance. Puissant vecteur, le drapeau n’a cessé d’inspirer les artistes entre appropriation, défiance ou possible confrontation. Le conservateur et historien d’art Alfred Pacquement en réponse à l’invitation de La Fondation Boghossian propose avec l’exposition collective FLAGS, 50 interprétations modernes et contemporaines de ce symbole, la Villa Empain devenant le théâtre de ces déclinaisons à la fois politiques, esthétiques, identitaires, intimes et universelles.

Une polyphonie de sens que traduit bien le parcours. L’installation in situ spécialement conçue par Daniel Buren pour la piscine de la Villa est l’une des belles surprises, comme un miroir cinétique tendu au regardeur, de même que l’intervention inédite de KIMSOOJA pour l’entrée. Alfred Pacquement revient sur la genèse de cet ambitieux projet mené avec Louma Salamé, directrice de la Fondation qui trouve un écho immédiat dans la ville de Bruxelles, capitale de l’Europe où le nombre de drapeaux participe de l’imposant appareillage politique. C’est le drapeau des réfugiés (The Refugee Nation Flag) de l’artiste Yara Saïd qui accueille les visiteurs, un signal fort. Alfred Pacquement a répondu à mes questions.

Quelle est la genèse de ce projet ?

Dans le prolongement de l’exposition Mappa Mundi organisée en 2020 et ayant particulièrement apprécié travailler ici avec Louma Salamé, je lui ai soumis l’idée de ce nouveau projet qu’elle a accepté. Peu à peu j’ai pu rassembler des œuvres autour de cette notion à la fois symbolique, formelle et politique en termes de sens et d’usages. Concevoir une exposition est le fruit de longues réflexions autour d’artistes que l’on estime, sans chercher à tomber dans certaines thématiques, la dimension internationale étant d’autant plus cohérente au regard du rayonnement de la Fondation.

En ce qui concerne l’organisation du parcours, ma volonté était que chaque salle dégage un climat particulier si bien que d’une salle à l’autre l’étonnement soit de mise. Une pluralité de générations et mediums est proposée avec une dominante de peinture, video et photographie, la sculpture de drapeaux étant beaucoup moins fréquente.


Photo-souvenir: Daniel Buren 1312 Flammes sur l’eau, travail in situ, 2022. Détail © Lola Pertsowsky Fondation Boghossian

La création in situ de Daniel Buren pour la piscine de la Villa Empain

Daniel Buren ayant réalisé plusieurs œuvres in situ à Bruxelles et dans l’espace public en général, son nom faisait partie de ma liste première. De plus il avait déjà exposé à la Fondation. Il a accepté tout en demandant à être exposé en extérieur. Il a suggéré l’idée de la piscine pour un résultat tout à fait convaincant.

Autre création inédite de KIMSOOJA

Cette installation in situ varie selon les espaces. Elle était intéressante pour l’entrée qui reste un défi en termes de scénographie. Pour Mappa Mundi, j’avais choisi une œuvre de Mona Hatoum, une carte du monde flottante et j’avais l’intuition que cette série de drapeaux allait tout à fait fonctionner dans l’espace avec une opportunité nouvelle de montrer le travail.

L’artiste Alighiero Boetti est de nouveau convoqué

Il est l’artiste qui fait le lien entre les deux expositions avec une œuvre différente mais de la même série suggérant l’évolution géopolitique de toutes ces frontières, une thématique que l’on retrouve d’ailleurs dans plusieurs œuvres du parcours.

Marina Abramovic The Hero, 2001

Beaucoup d’œuvres investissent le champ politique, est-ce une constante ?

La plupart des artistes à travers le choix du drapeau tiennent un discours sur les conflits et la marche du monde, l’un des exemples les plus spectaculaires étant Mounir Fatmi autour des printemps arabes qui se trouvent balayés – au sens propre- par l’ironie de l’histoire.

Mais ce n’est pas majoritairement le cas et certaines restent plus neutres comme avec Thomas Schütte avec sa série des Fake Flags dans des jeux de couleurs interchangeables et qui ne ressemblent pas tout à fait à l’iconographie originelle du drapeau. De même avec Claes Oldenbourg et ses sculptures beaucoup moins connues dont j’avais encouragé l’acquisition au Centre Pompidou. Des drapeaux faits de morceaux de bois flotté échoués sur la plage ne comportant ni étoile ni bande.

Les drapeaux américains et français sont très présents

Si l’on réfléchit à l’image du drapeau, le drapeau américain et français sont majoritaires. Cela s’explique par l’omniprésence du drapeau américain dans l’espace public et privé, d’un bâtiment administratif au jardin d’une maison en passant par un autocollant sur une voiture. Le drapeau français est une sorte d’emblème également, très lié à l’histoire, à la Révolution française. De plus son schéma tricolore à bandes verticales a été source d’inspiration pour d’autres pays comme la Belgique, l’Italie ou certains pays africains.

C’est pourquoi j’ai tenu à commencer le parcours par des références historiques avec une petite sélection autour de Picasso, Dufy, Gustave de Smet, Léon Cogniet et Roger de la Fresnaye avec La Conquête de l’air dont l’original est au MoMA de New York.

La publication qui accompagne le catalogue

L’historien français Jean-Noël Jeanneney à qui j’ai proposé de contribuer a choisi un épisode particulier dans l’histoire au moment de la Restauration à la chute du Second Empire autour d’un retour éventuel à la royauté symbolisé par un drapeau blanc. Une menace finalement écartée.

En termes de prêts, quelle a été votre politique ?

Nous avons tendu à nous inscrire dans une démarche écologiquement responsable en renonçant notamment à l’Asie même si les Etats-Unis avec notamment Jasper Johns ou Andy Warhol restent incontournables.

© Jasper Johns

Avec : Marina Abramovic, Saâdane Afif, Gordana Andjelic-Galic, Diane Arbus, Micha Bar-Am, Bruno Barbey, Nú Barreto, Pierre Bismuth, Alighiero Boetti, Marcel Broodthaers, Zoulikha Bouabdellah, Daniel Buren, René Burri, Mircea Cantor, Léon Cogniet, Roger de La Fresnaye, Wim Delvoye, Edith Dekyndt, Gustave de Smet, Raoul Dufy, Mounir Fatmi, Michel François, Stuart Franklin, Gérard Fromanger, John Gerrard, Gilbert & George, David Hammons, Keith Haring, Childe Hassam, Thomas Hoepker, Jonathan Horowitz, Jasper Johns, Nikita Kadan, Evgueni Khaldeï, Kimsooja, Robert Longo, George Maciunias, Peter Marlow, Susan Meiselas, Jonathan Monk, Adolphe Mouilleron, Claes Oldenburg, Martin Parr, Peybak, Pablo Picasso, Sara Rahbar, Jean-Pierre Raynaud, Marc Riboud, Faith Ringgold, Joe Rosenthal, Yara Said, Franck Scurti, Thomas Schütte, Andres Serrano, Sturtevant, Rirkrit Tiravanija, Larry Towell, Danh Vo, Gustave Wappers, Andy Warhol.

INFOS PRATIQUES :
FLAGS
Jusqu’au 22 janvier 2023
Fondation Boghossian
Villa Empain, Centre d’art et de recherche entre les cultures d’Orient et d’Occident
Avenue Franklin Roosevelt, 67, Bruxelles
Du mardi au dimanche de 11 à 18h
Friday Late: ouverture en nocturne tous les derniers vendredis du mois (30 septembre, 28 octobre, 25 novembre 2022)
Visites guidées gratuites: tous les premiers dimanches du mois (2 octobre, 6 novembre, 4 décembre 2022)
Fondation Boghossian – Fondation Boghossian (villaempain.com)
Egalement à découvrir lors de votre venue :
Le solo show de Myriam Mihindou à la Verrière -Fondation Hermès par Guillaume Désanges, Invader Rubikcubist au MIMA Museum, Mathieu Kleyebe Abonnenc à La Loge, On the Lookout à la Fondation CAB…
https://www.visit.brussels/fr
https://www.thalys.com/fr/

Marie-Elisabeth De La Fresnaye
Après une formation en littérature et histoire de l'art, Marie de la Fresnaye intègre le marché de l'art à Drouot et se lance dans l'événementiel. En parallèle à plusieurs années en entreprise dans le domaine de la communication éditoriale, elle créé son blog pour partager au plus grand nombre sa passion et expertise du monde de l'art contemporain et participe au lancement du magazine Artaïssime.

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