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Dans le cadre de sa carte blanche éditoriale, notre invitée de la semaine, Catherine Poncin, photographe et invitée d’honneur du festival ManifestO – qui inaugure sa 19ème édition vendredi prochain – a choisi de nous raconter six histoires. Chacune est composée d’une photographie et d’un texte rédigé par Catherine elle-même. Pour cette troisième carte blanche, elle nous présente « A cœur ouvert », une œuvre réalisée en février 2013.

À cœur ouvert

A cœur ouvert © Catherine Poncin – février 2013

Elle était dotée d’un décolleté assez profond mais pas trop… d’une forme ronde à la bordure bien finie. Le dessin de son échancrure semblait accompagner mon cou, presque… porter ma tête. Ses manches accompagnaient le dessin de mes gestes que décrivaient mes bras longs et fins enserrées jusqu’aux limites extrêmes des poignets. La ligne dessinée par son ultime ourlet, laissait mes jambes s’étirer. Durant les mois qui suivirent son acquisition, elle m’accompagna lors de ‘sorties’ diurnes et nocturnes …

Nous devenions si intimes qu’elle découvrait souvent à point nommé, l’une de mes épaules, l’ébauche de ma poitrine, la commissure de l’un de mes genoux. Elle se fondait avec la trame de ma peau en une douce souplesse allant jusqu’à la protéger de néfastes frissons, soutenait mon corps, le bandait, exhortait les battements de mon coeur, jusqu’à le laisser apparaître. Un soir elle alla jusqu’à l’arborer à hauteur du mon sein gauche ; le coeur était là ; battant sur l’endroit de ma robe… Il était d’un très beau rouge, pratiquement identique au ‘Chanel’ qui maquillait mes lèvres. Palpitait selon la fonction qui lui appartenait, mais en outre, luisait, laissant s’échapper de petites perles de sang qui glissaient le long de l’étoffe en y dessinant un mince filet sombre. Puis, les perles devinrent gouttes tatouant le galbe de mes jambes nues. Les fragiles lanières de satin qui fermaient mes sandales ne firent pas longtemps barrage à ce flux qui alla teinter de brun les ongles de mes orteils. Je ne me souviens plus très bien si ‘l’objet’ qui avait provoqué ainsi mes sens fit volte-face ou m’entraîna sous une porte cochère.
Ma petite robe noire était une vraie robe, une robe que l’on enfile,  qui file sous les ongles impatients, une robe faite pour être défaite, mouillée, souillée, étirée, enroulée, fripée, égarée. Elle était une nuit dans laquelle mon corps entier s’enroulait, maculée d’une tourbe de printemps.

Un matin, au sortir de la moiteur d’une chambre louée,  j’aperçus juste sous mon aisselle une plaie béante. Je dus la suturer puis reprendre son ourlet dont la tonicité du fil affichait des ruptures. Puis ce fut une cuisse qu’elle ne cessait de découvrir, l’apparition d’un bourrelet à hauteur de la taille, d’un ventre qu’elle pointait telle une monstrueuse nature.
Elle se mit à bailler, pelucher, continuait à accompagner mon corps mais insidieusement ne le portait plus. Son odeur s’effaçait ; emportant le secret de l’alchimie qui avait su confondre son parfum aux exaltations de mes chairs. Elle s’usait, sa teinte noire ternissait, les fils qui l’avaient construite s’effilochaient la sillonnant de rides profondes, son image se réduisait en une apparence grotesque. Elle me contraignait à me rendre, m’obligeait à ‘m’en séparer’, rompre. Ne pouvant m’y résoudre, entre pulsion et répulsion sa métamorphose venait troubler ma compréhension du monde et l’ordre des astres.

Un temps silencieux guida ma préférence ; je me posais dans l’invisible de ses plis, de ses trous, épousant sa monstrueuse difformité.

C’est là, lovée chaque nuit dans la douceur de ce cocon originel,  que mon corps désormais s’épandrait.  Par un hiver de forte lune, elle m’embauma de jasmin – lorsque l’aube pointa, nous nous laissâmes enrober d’un drap blanc.

A cœur ouvert, © Catherine Poncin – février 2013

INFORMATIONS PRATIQUES

ven17sep(sep 17)10 h 00 minsam02oct(oct 2)19 h 00 minFestival ManifestO 2021 OrganisateurManifestO

ven17sep(sep 17)10 h 00 minsam02oct(oct 2)19 h 00 minCatherine Poncin, invitée d'honneur du festival ManifestoAtelier Galerie L'Imagerie, 33 bis Rue Arago, 31500 Toulouse OrganisateurManifestO

ven09jul(jul 9)10 h 30 mindim19sep(sep 19)18 h 30 minMémoires et ruralités du Champ des ImpossiblesExposition collectiveMoulin Blanchard, 11 Rue de Courboyer 61340 Perche-en-Nocé

La Rédaction
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