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Partager Partager Temps de lecture estimé : 5minsPour sa quatrième et ultime carte blanche, notre invité Luc Debraine, directeur du Musée Suisse de l’appareil photographique de Vevey, nous présente l’exposition qui est actuellement proposée au public du Musée. « Infrarouge » rassemble des portraits thermiques réalisés par l’architecte Philippe Rham. Il tire parti d’une caméra thermique dans sa pratique, soucieuse de développement durable. Il utilise aussi la technique infrarouge pour prendre des portraits ou des scènes urbaines. L’image utilitaire est détournée vers un but artistique, surtout empathique. Naguère cantonnée à des applications spécifiques, l’image thermique apparaît désormais souvent sur les écrans. Elle montre combien les bâtiments mal isolés perdent de la chaleur, donc de l’énergie. Elle indique la température corporelle d’individus qui vivent en temps de pandémie. Elle surveille de nuit les mouvements suspects, incorpore au besoin des logiciels de reconnaissance faciale. Cette image-là est anxiogène : elle est la signature de l’inquiétude climatique autant que de la peur de la contamination ou de l’intrusion. Elle est outil de surveillance et de dénonciation. La thermographie concentre les qualificatifs accolés à notre époque. Elle est complexe, ambiguë, instable, inquiétante. Elle est numérique et algorithmique, accumulant une quantité de données à chaque prise de vue. Avec ses couleurs trop fausses, trop vives, sa faible résolution qui brouille les contours, son rendu apparaît comme irréel. Elle est pourtant de notre temps. Celui-ci aime les filtres, les pixels saturés, les halos et les fluos. Cette imagerie est pourtant ancrée dans le réel, enregistrant les ondes calorifiques du dérèglement climatique ou de la fièvre dans un organisme contaminé. Marc-Olivier Wahler, directeur du Musée d’art et d’histoire de Genève. Photo Philippe Rahm Philippe Rham expose actuellement ses portraits thermiques au Musée suisse de l’appareil photographique, à Vevey. L’architecte suisse, établi de longue date à Paris, inverse la polarité symbolique de la thermographie. D’une charge négative, l’image prend une charge positive, amicale, chaleureuse dans le sens le plus aimable du terme. Comme elle conserve son inquiétante étrangeté, son pouvoir de séduction n’en est que renforcé. Habile stratégie : l’architecte prend l’un des outils de sa pratique professionnelle, axée sur le développement durable, et en mésuse à dessein. Il retourne la machine contre elle-même, désactivant ses fonctions utilitaires au profit de l’émotion. Un jardin tropical. Photo Philippe Rahm Dans le même temps, Philippe Rahm reste fidèle à son propos architectural. Celui-ci incorpore les dimensions du climat, de la météorologie, de la physiologie. Il tient compte des pouvoirs réfléchissants ou absorbants des matières, intègre les gradients de lumière et de température dans l’aménagement de ses espaces. Exactement comme l’image thermique enregistre des gradients de chaleur. Prendre un appareil, en l’occurrence la caméra thermique, puis le détourner de son application initiale : c’est une constante dans l’histoire de l’image infrarouge, à laquelle appartient la thermographie. Lorsque Kodak a commercialisé sa pellicule 35 mm infrarouge couleur dans les années 1960, des photographes et artistes s’en sont emparés. Les fausses couleurs propres au film, le vert étant par exemple rendu dans un spectaculaire rose violacé, surfaient sur la vague psychédélique. Le film avait été développé pour une utilisation militaire : le voilà qui était mis au service de l’esthétique Peace & Love, avec son goût pour le graphisme sous acide. L’inversion de couleurs était doublée par une inversion de valeurs, la paix se substituant à la guerre. Jimmy Hendrix, Donavan, Cream, Frank Zappa, Black Sabbath : les couvertures de disques de l’époque avaient grâce au film infrarouge des vertus hallucinatoires. Philippe Rahm dans son exposition au Musée suisse de l’appareil photographique. Photo Luc Debraine Plus récemment, dans sa série Infra, l’artiste irlandais Richard Mosse a utilisé les dernières boîtes disponibles du film Kodak Aerochrome moyen format 120. La production de la pellicule a cessé en 2009. Aerochrome : le nom du film infrarouge trahissait le but de surveillance aérienne pour lequel il avait été conçu. Richard Mosse a tiré parti de l’émulsion pour photographier le Congo en guerre. En particulier les soldats immergés dans la végétation tropicale, rendue ici dans un rose flamboyant. Cette couleur pimpante entrait ici en tension contradictoire avec une situation de guerre. Une fois encore, la photographie infrarouge était utilisée de manière réflexive par un artiste. « Red tulips, green leaves », vers 1937, une photo infrarouge de Raoul Hausmann. Crédit: MDAC Rochechouart. Richard Mosse était aussi intéressé par la capacité de l’image infrarouge à élargir le spectre électromagnétique vers un rayonnement invisible à l’œil humain. Elle lui permettait de repousser les limites de la perception aussi bien que de la représentation. Telle était également l’intention de Raoul Hausmann dans les années 1930. L’artiste dadaïste utilisait les premiers films infrarouges mis sur le marché. Il photographiait des paysages aussi bien que des objets ou des fleurs. Son but était de suggérer, en phase avec les préceptes modernistes, que la vision humaine pouvait être augmentée grâce à la technique. Mieux voir, voir différemment, tenter de tout voir : voilà une définition acceptable de la création artistique. INFORMATIONS PRATIQUES Musée suisse de l’appareil photographiqueGrande Place 99 1800 Vevey mer10mar10 h 23 minmer10 h 23 minInfrarougeMusée suisse de l’appareil photographique, Grande Place 99 1800 Vevey Détail de l'événementL’image infrarouge est l’une des signatures visuelles de notre époque. Elle est inquiétante, étrange, hyper-technologique. Elle repère les cas de fièvre dans une pandémie ou constate si un bâtiment est Détail de l'événement L’image infrarouge est l’une des signatures visuelles de notre époque. Elle est inquiétante, étrange, hyper-technologique. Elle repère les cas de fièvre dans une pandémie ou constate si un bâtiment est bien isolé. Elle est outil de surveillance autant que de diagnostic. Ses couleurs trop vives n’ont rien de réel. Ses rouges, bleus ou jaunes stridents révèlent pourtant une réalité qui échappe à l’œil humain. L’architecte Philippe Rahm tire parti d’une caméra thermique dans sa pratique, soucieuse de développement durable. Il utilise aussi l’appareil pour prendre des portraits de proches, collègues, artistes, personnalités, anonymes. Il saisit également des scènes urbaines ou naturelles. L’image utilitaire est détournée vers un but créatif, esthétique, résolument empathique. Les ondes de chaleur qui sont à la source de la technique infrarouge se font, pour le coup, chaleureuses. L’appareil de Philippe Rahm superpose une image thermographique à une image réelle. La première est dépendante du rayonnement infrarouge émit par les corps et les objets photographiés. Elle montre des gradients de température incarnés par des couleurs symboliques : le plus froid est traduit en bleu foncé, le plus chaud en rouge, puis blanc. A l’origine, l’image thermique est monochrome. Mais l’œil humain est ainsi conçu qu’il distingue mieux les différences d’intensités avec des couleurs qu’avec des gris. L’image obtenue reste compréhensible grâce à la photo réelle prise par l’appareil, en parallèle à la thermographie. Cette image visible donne des contours reconnaissables aux visages, aux objets, aux architectures. Elle cerne les silhouettes, surligne des accessoires comme des lunettes ou des masques, préserve des regards et des traits physiques. Une tension s’instaure entre la photo traditionnelle et l’image infrarouge, entre le visible et l’invisible, la présence et l’absence, le langage des émotions et les capacités de calcul de l’imagerie numérique. Architecte lausannois formé à l’EPFL, Philippe Rahm (1967) est docteur en architecture de l’Université de Paris-Saclay. Son agence Philippe Rahm architectes est établie depuis 2008 à Paris avec l’urbaniste Irene D’Agostino. Son travail, internationalement reconnu, s’inscrit dans le contexte du développement durable. Sa pratique étend le champ de l’architecture à la physiologie et à la météorologie. Philippe Rahm a conçu avec Catherine Mosbach & Ricky Liu le Parc Central de Taichung à Taiwan, espace vert de 70 hectares inauguré en décembre 2020. Il a remporté en 2017 avec Nicolas DorvalBory le concours de l’aménagement de l’Agora de la Maison de Radio-France à Paris. Il est lauréat en 2019 du projet de réaménagement urbain du quartier de Farini (62 hectares) à Milan avec OMA (Rem Koolhaas) et Laboratorio Permanente. Philippe Rahm a enseigné à Princeton, Harvard, Columbia University et Cornell. Il est maître de conférences à l’Ecole nationale supérieure d’architecture de Versailles et professeur associé à la HEAD-Genève. Philippe Rahm a participé à de nombreuses biennales d’architecture et d’art. Il a signé la scénographie de l’exposition Systematically Open ? à la Fondation Luma pendant les Rencontres internationales de la photographie d’Arles en 2016. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages, dont Météorologie des sentiments (éd. Les Petits Matins) paru en 2015, réédité en 2020. Philippe Rahm a publié en 2020 Le jardin météorologique (éd. B2) et Ecrits climatiques (éd. B2). L’exposition Histoire naturelle de l’architecture au Pavillon de l’Arsenal à Paris (24 octobre 2020 – 11 avril 2021) est l’adaptation de sa thèse de doctorat, soutenue en 2019. L’exposition est sous-titrée Comment le climat, les épidémies et l’énergie ont façonné la ville et les bâtiments. Un catalogue, édité par le Pavillon de l’Arsenal, est paru à cette occasion. L’infrarouge est un rayonnement électromagnétique de même nature que la lumière visible. Il se situe en deçà du rouge dans le spectre solaire, d’où son nom (infra-rouge = en dessous du rouge). Ce rayonnement a une longueur d’onde supérieure à celle de la lumière visible, si bien que l’œil humain n’est pas capable de le voir. Mais l’être humain peut le ressentir sur sa peau : l’infrarouge est une énergie thermique, un rayonnement calorifique. La chaleur est émise par tous les corps dont la température est supérieure au zéro absolu (0° Kelvin ou – 273° Celsius). Ainsi, même une banquise produit des rayons infrarouges. L’infrarouge a une longueur d’onde plus courte que celle des micro-ondes ou des ondes radio. Il est divisé en infrarouge proche, moyen et lointain. La photo infrarouge tire parti du proche, alors que les caméras thermiques tirent plutôt profit du lointain. Isaac Newton pressent au XVIIe siècle l’existence d’un rayonnement en deçà du spectre visible, à côté du rouge. L’infrarouge est découvert en 1800 par William Herschel. L’astronome anglais veut savoir si la lumière a des températures différentes selon telle ou telle couleur du spectre visible, entre le violet et le rouge. Il utilise un prisme pour diviser les rayons lumineux, puis place un thermomètre sur chaque couleur pour mesurer sa température. William Herschel constate que la chaleur reçue est la plus élevée du côté du rouge. Mais -surprise- elle est encore plus élevée à côté du rouge, dans une zone où aucune lumière est visible. L’astronome conclut à l’existence de « rayons calorifiques ». En d’autres termes, son expérience montre que la chaleur se transmet par un rayonnement de même nature que la lumière visible. Notons que le fils de William Herschel, John Herschel, également astronome et physicien, a popularisé l’emploi du mot « photographie », ainsi que les termes « négatif » et « positif ». PHOTOGRAPHIE INFRAROUGE L’une des principales fonctions de la photographie a toujours été de voir ce que l’œil ne voit pas. Comme l’infiniment petit, l’infiniment grand ou les quatre fers d’un cheval au galop. La photographie a une sensibilité spectrale bien plus étendue que l’œil. Cette capacité lui permet de saisir des images en utilisant d’autres ondes électromagnétiques que celles de la lumière visible : les rayons X, les ultraviolets ou les infrarouges. Ces radiations invisibles donnent des informations visuelles que l’on ne pourrait pas obtenir autrement. Les progrès des émulsions photosensibles dans la seconde moitié du XIXe siècle permettent de capter le rayonnement infrarouge. William de Wiveleslie Abney photographie en 1877 le spectre infrarouge du Soleil. En 1910, Robert Wood prend les premières photos infrarouges de paysages diurnes. Sur les images en noir et blanc, les ciels apparaissent noirs, les nuages et la végétation d’un blanc laiteux. C’est l’effet « Wood ». Cet étrange effet a une explication : les infrarouges proches ne sont pas absorbés ou réfléchis par les substances de la même façon que les ondes lumineuses visibles. Les premières pellicules commerciales infrarouges en noir et blanc apparaissent dans les années 1930. La technologie est vite soutenue par l’industrie militaire, laquelle saisit le potentiel de ces pellicules pour les missions de reconnaissance, en particulier aériennes. Les infrarouges permettent de mieux voir à travers les brumes atmosphériques et d’améliorer le rendu des détails au sol. Pendant la guerre du Vietnam, Kodak développe un film infrarouge en couleur pour l’armée américaine : la pellicule est capable de distinguer des troupes camouflées sous la végétation tropicale. Les couleurs obtenues sont transposées, non naturelles. Grâce à l’emploi d’un filtre, le vert de la végétation est transformé en un rose-rouge vif. Quantités de photographes et d’artistes, dès la vague psychédélique des années 1960, tirent parti de cette intrigante transposition de couleurs. La photographie infrarouge est à l’époque communément utilisée dans un but scientifique ou documentaire. Elle est capable de saisir des images dans l’obscurité pour des missions de surveillance. Dans une enquête policière, elle repère des traces de poudre sur un habit, des empreintes digitales sur une surface ou une écriture effacée par un faussaire. Elle repère sous une peau un réseau veineux mal oxygéné, distingue dans une culture agricole les végétations saines des malades ou discerne un repentir dans une peinture à l’huile. Les applications de l’image infrarouge sont encore plus nombreuses aujourd’hui grâce aux capteurs numériques. Dans un appareil photo digital, les capteurs sont adaptés à notre vision limitée au spectre visible (de 400 à 800 nanomètres). Ils sont en effet capables d’enregistrer le rayonnement infrarouge, mais un filtre bloque ces mêmes rayons thermiques. Quelques modèles professionnels sont encore proposés sans filtre anti-infrarouge pour des utilisations astronomiques ou médicales. LA CAMERA THERMIQUE Un appareil photo traditionnel capte la lumière visible. La caméra thermique étend cette capacité aux infrarouges proches et lointains. Elle est ainsi capable d’enregistrer la chaleur émise par un objet ou un être vivant. Les premières images thermiques électroniques datent de l’entre-deux-guerres, surtout pour des applications militaires de surveillance aérienne et de vision nocturne. Le système se développe pendant la guerre froide, plus encore dans les années 1980 avec l’apparition des capteurs numériques. Aujourd’hui, une caméra thermique est dotée d’un capteur dont chaque pixel enregistre une température en place d’une couleur. Il est précédé d’un détecteur infrarouge et suivi d’un processeur qui convertit les données en une image. Celle-ci déploie une gamme de fausses couleurs symboliques, du plus froid (bleu foncé) au plus chaud (rouge, puis blanc). Les applications de la caméra thermique sont aujourd’hui innombrables. De nouvelles utilisations apparaissent continuellement. Elles vont de la défense à la surveillance, de l’industrie à la sécurité, de la science à l’agriculture, de la marine à l’automobile, de la téléphonie aux drones et aux loisirs. Dans le diagnostic des bâtiments, par exemple, la caméra thermique sait presque tout faire. A commencer par visualiser les déperditions d’énergie. Elle identifie aussi l’absence de bonne isolation, repère les fuites d’air, d’eau ou de gaz, les défauts de canalisation et de climatisation, ainsi que des problèmes d’électricité et de construction. La méthode est non-invasive, sans contact, souvent préventive. Elle donne une image globale ou ponctuelle d’une situation. Voire précoce dans le cas d’un départ d’incendie. Elle est quasi surnaturelle dans sa capacité à voir dans l’obscurité totale, par mauvais temps, à travers le brouillard et la fumée. En raison de sa technique, et même si son rendu s’améliore constamment, la thermographie numérique produit une image en basse résolution. L’appareil fusionne en général deux images : une photo conventionnelle et une photo thermique. La caméra thermique représente aujourd’hui un marché de plusieurs milliards de francs. Celui-ci est dominé par Flir. La société américaine propose une gamme étendue d’appareils pour diverses utilisations, corps de métiers ou domaines de recherche. Il existe désormais des modèles bon marché proposés par plusieurs marques. Des modèles miniatures se branchent sur des smartphones. Des modèles de téléphones portables intègrent d’office une fonction thermographique. Philippe Rahm se sert d’une petite caméra Flir C3 dans sa pratique architecturale comme dans sa série de portraits exposée au Musée suisse de l’appareil photographique. Dates10 Mars 2021 10 h 23 min - 10 h 23 min(GMT-11:00) LieuMusée suisse de l’appareil photographiqueGrande Place 99 1800 VeveyOther Events Musée suisse de l’appareil photographiqueGrande Place 99 1800 VeveyDu mardi au dimanche et les lundis fériés : 11H00 - 17H30 Musée suisse de l’appareil photographique Get Directions CalendrierGoogleCal Marque-page1
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