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En janvier 1950, Pierre Gassmann inaugure Pictorial Service, un laboratoire photographique établi dans le 14ᵉ arrondissement de Paris. Aujourd’hui, cette entreprise familiale s’apprête à célébrer son 75ᵉ anniversaire à travers plusieurs événements. J’ai rencontré Victor Gassmann, arrière-petit-fils du fondateur de Picto et responsable du pôle photographes, qui représente 30 % de l’activité du laboratoire pour revenir sur l’histoire de cette entreprise familiale et sur les projets à venir.

Portrait de Victor Gassmann © Flaminia Reposi

Pouvez-vous revenir sur la naissance de PICTO et nous parler des grandes étapes de ce laboratoire depuis sa création ?

Mon arrière-grand-père, Pierre Gassmann, était photographe d’origine Allemande. Il a fui l’Allemagne nazie, et s’est réfugié à Paris, capitale mondiale de la photographie. Avec quelques amis, ils se retrouvaient dans des cafés de Montparnasse pour échanger autour de la photographie. Grâce à ces discussions, Pierre prit conscience que le tirage représentait une contrainte pour de nombreux photographes. C’est alors qu’il décida de mettre son savoir-faire au service de grands noms, tels qu’Henri Cartier-Bresson, en réalisant leurs tirages. Il comprit rapidement qu’un regard extérieur, posé sur l’image, pouvait lui conférer une profondeur et une valeur supplémentaires. C’est ainsi qu’est né ce nouveau métier : celui de tireur.

Installation rue de la Comète © Archives Picto

PICTO vit le jour en 1950 et devint rapidement le laboratoire de l’agence Magnum. S’ensuivirent des années fastes, marquées par une croissance rapide et l’ouverture de plusieurs établissements à Paris.
PICTO est une entreprise familiale. Mon grand père Edy a rejoint l’entreprise et a pris en charge le département couleur dès le début des années 60, qui a marqué une nouvelle ère du laboratoire avec l’arrivée d’une nouvelle gamme de services innovants pour les photographes. Par la suite, l’avènement du numérique transforma profondément l’activité. C’est mon père, Philippe, accompagné de Michel Vaissaud, qui en assura le développement. Ce fut un bouleversement majeur pour les laboratoires, qui passèrent d’un savoir-faire artisanal, centré sur la chambre noire, à des pratiques reposant sur des technologies modernes.
Au début des années 2000, la question de l’avenir des laboratoires s’est posée : les photographes auraient-ils encore besoin de tireurs dans un contexte où les outils évoluent si rapidement ? Plus de vingt ans plus tard, il apparaît clairement que, malgré ces transformations, la vision de Pierre Gassmann — celle de voir avec le regard de l’autre — demeure essentielle. Les photographes ont toujours besoin d’être accompagnés dans leurs projets et de pouvoir compter sur l’expertise technique de professionnels pour la réalisation de leurs expositions.

Laboratoire Picto Bastille © Flaminia Reposi

Nous avons poursuivi notre développement en restant fidèles à la vision initiale de l’entreprise et à ses valeurs fondatrices.
Il y a quinze ans, nous avons lancé PictoOnline, une véritable révolution sur le marché. L’objectif de cette plateforme en ligne est de proposer des tarifs compétitifs, en contrepartie d’une plus grande autonomie laissée à nos clients lors de leur prise de commandes. La plateforme continue de se développer, tout comme l’Atelier Picto qui continue sa progression. Picto Bastille est resté un laboratoire de proximité, où les photographes confient leurs images à de véritables experts. Plus que jamais, l’accompagnement par des artisans qualifiés s’avère indispensable. Nombre de nos clients ne recherchent pas de simples prestataires de tirage ou d’impression, mais des interlocuteurs capables de les conseiller et de les guider dans la concrétisation de leurs projets.

Vous êtes de la quatrième génération. À quel moment avez-vous su que vous alliez rejoindre l’entreprise familiale ?

Ce n’était pas une évidence pour moi, je n’ai pas été élevé avec cette obligation de reprendre l’entreprise. Et c’est d’ailleurs ce qui m’a permis de faire mon parcours en toute autonomie. Par contre, j’ai depuis toujours en moi ce lien avec le paysage photographique et culturel.
C’est en fait initialement grâce à ma passion pour le théâtre que j’ai nourri mon désir de travailler au contact de la création artistique. J’ai fondé une troupe de théâtre, avant de faire un Master de Management des Industries Culturelles à HEC. Quelques années plus tard et après différentes expériences professionnelles, je me suis interrogé sur l’opportunité d’intégrer PICTO. J’ai eu cette chance de pouvoir me questionner et j’ai compris que PICTO correspondait en tout point à ce que je voulais faire de ma carrière professionnelle.
Et quatre ans après, je me réjouis d’avoir fait ce choix.

Chaque génération a joué un rôle dans l’évolution du métier, quel sera le vôtre ?

C’est la grande question : quelle sera la grande révolution pour le laboratoire à l’échelle de cette génération ? Je commence à entrevoir quelques pistes…

Le premier enjeu consiste à pérenniser le savoir-faire historique imaginé par Pierre Gassmann, ainsi que l’ensemble des métiers qui font PICTO. Cette année, nous avons renouvelé notre label Entreprise du Patrimoine Vivant, une reconnaissance de l’État pour notre utilité dans la préservation des métiers du tirage photographique. J’insiste sur le pluriel, car il ne s’agit pas uniquement des tireurs. Nous comptons toute une génération de techniciens et d’artisans qui s’apprêtent à partir à la retraite. C’est pourquoi nous avons mis en place des formations afin de transmettre et de perpétuer ces savoir-faire.
PICTO est sans doute le laboratoire français le mieux positionné pour garantir cette continuité, car nous avons conservé tous les procédés de tirage (argentique à l’agrandisseur, tirage au platine, tirage pigmentaire ou des procédés beaucoup plus modernes comme l’impression directe, etc.) Je crois profondément que faire perdurer ces métiers est possible, et continuera d’être utile pour les générations de photographes actuelles et futures. 
Le deuxième enjeu concerne l’intelligence artificielle, qui va probablement gagner du terrain. Et un peu à l’image de l’arrivée du numérique, je pense que le besoin d’interprétation et d’accompagnement dans les projets photographiques ne va pas disparaître. Notre responsabilité est d’acquérir une expertise approfondie de ces outils d’intelligence artificielle afin de pouvoir accompagner nos clients en tirant parti de toutes les technologies disponibles. C’est quelque chose que l’on met déjà en place chez PICTO.
On aurait pu penser qu’avec Photoshop, le rôle des tireurs allait être diminué. Pourtant, c’est presque l’inverse qui s’est produit : le tirage jet d’encre requiert des compétences techniques très précises pour révéler sur le support toute la réflexion de l’artiste. De la même manière, l’IA peut être envisagée comme une palette d’outils complémentaires, au service des besoins des photographes et des créateurs d’images. Nous utilisons déjà l’intelligence artificielle, notamment pour la restauration d’œuvres, mais il reste à voir comment ces technologies évolueront et nous permettront d’accompagner encore mieux les photographes à l’avenir.

En 2025, vous célébrer les 75 ans de PICTO, quels événements allez-vous organiser pour cet anniversaire ?

Jun san, Osaka, 2016 © Chloé Jafé

On travaille actuellement sur un événement à Arles. Nous présenterons notamment les réalisations de trois photographes, anciens lauréats de la Bourse du talent (Grégoire Eloy, Chloé Jafé et Kamila K Stanley), qui ont carte blanche pour partager leur vision du laboratoire et mettre en valeur nos métiers, et plus généralement PICTO, entreprise familiale, à la fois historique et moderne. Cet événement arlésien, sera accompagné d’un live Vision(s) pour un échange sur les enjeux de la photo au micro d’Aliocha Boi. 
D’autres événements seront annoncés prochainement, comme la publication d’un livre à venir en 2026.

Quelles projections pour PICTO dans le futur ?

Picto Diderot © Flaminia Reposi

Je l’imagine solidement ancré sur les trois continents. En plus des 75 ans de PICTO PARIS, nous fêtons cette année les 10 ans de PICTO New York, et nous sommes déjà une équipe de 6 personnes à PICTO Hong Kong. En France, PICTO s’organise autour de trois pôles principaux répartis sur trois sites. Picto Bastille, le laboratoire photographique qui cultive l’excellence du savoir-faire historique de PICTO, en réunissant des experts des projets photographiques. Picto Grand Paris, notre atelier grand format basé à Gennevilliers, spécialisé dans le tirage de grandes dimensions sur supports souples ou rigides, l’encadrement, la PLV et la théâtralisation, où interviennent des experts de ces domaines. Enfin, Picto Diderot, notre nouveau site : une agence de production à 360° dédiée au traitement de l’image, regroupant des experts de l’univers des annonceurs.
Par ailleurs, nous poursuivons le développement de notre démarche RSE. Cela fait déjà plusieurs années que nous travaillons sur les questions liées à l’impact environnemental. Dans l’avenir, conformément aux objectifs que nous nous sommes fixés, nous devrions avoir profondément revu nos modes de production afin de réduire les émissions associées à nos activités. Nous aurons intégré des énergies renouvelables, privilégié des matériaux recyclés et recyclables, voire naturels, et accompli des progrès significatifs avec nos partenaires, fournisseurs et industriels sur ces enjeux.

https://www.picto.fr/

Entretien publié dans le numéro #378 de Réponses Photo.

Ericka Weidmann
Après des études d'Arts Appliqués et de photographie, elle rejoint un magazine en ligne consacré à la photo en tant que directeur artistique, poste qu'elle occupera pendant 10 ans. En 2010, elle s'installe comme DA en indépendant. En parallèle, elle devient responsable éditorial pour Le Journal de la Photographie et c'est en septembre 2013 qu'elle co-fonde le quotidien L’Oeil de la Photographie pour lequel elle est rédactrice en chef jusqu'en septembre 2016 avant de fonder 9 Lives magazine ! Ericka Weidmann est également journaliste pigiste pour d'autres médias.

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