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Rencontre avec Muriel Enjalran à l’occasion des expositions d’Eléonore False « Le Fil de chaîne » et du récit de collection « Ce que pense la main », les deux projets se répondant autour du geste et de l’attention aux savoir-faire. Muriel Enjalran revient sur cette volonté de dévoiler au public des acquisitions récentes ou plus historiques en lien avec le projet artistique qu’elle défend « Faire Société » qu’elle nous avait présenté lors d’un précédent entretien. Un second récit de collection sera déroulé autour de Claire Dantzer début mai. De plus, à la suite d’un voyage d’étude au Japon organisé par la Japan Art Foundation en 2023, Muriel Enjalran prépare une double exposition à la Maison du Japon au printemps 2025 et au Frac Sud-Cité de l’art contemporain à l’hiver 2026 autour de l’attention au vivant et à la nature.

Elle a répondu à mes questions.

Portrait de Muriel Enjalran, directrice Frac Sud – Cité de l’art contemporain photo Laurent Lecat

Marie de la Fresnaye. Vous proposez un récit de collection en deux temps autour du geste de l’artiste avec quelles visées ?

Muriel Enjalran. Alors que les collections des Frac ont quarante ans, il est important de porter un regard réflexif et rétrospectif sur les ensembles qui ont été formés au fil de ces décennies et de montrer l’actualité et la pertinence des choix qui ont été opérés.

Montrer aussi dans les murs du Frac Sud, une collection qui se donne habituellement à voir de façon fragmentaire au gré des prêts et projets hors les murs qu’il mène sur son territoire.

Depuis mon arrivée, j’ai choisi de montrer régulièrement des ensembles au travers de thématiques qui sont à la fois liés aux axes du projet artistique que j’ai l’honneur de porter pour le Frac Sud, mais aussi aux réflexions et recherches partagées par un certain nombre d’artistes. Les relations de l’art à l’artisanat m’intéressent car c’est une entrée qui permet d’explorer l’historicité de la collection et de croiser différentes générations d’artistes. L’exposition Ce que pense la main offre la possibilité aux visiteurs et visiteuses de découvrir et redécouvrir des œuvres acquises en 1983 à la création des Frac, et de toutes récentes acquisitions de plus jeunes artistes. Cette mise en regard permet de mesurer à la fois la résurgence mais aussi l’importance de la relation des artistes aux savoir-faire, leurs intérêts pour des techniques et matériaux variés, avec une affirmation très libre du geste. Ainsi sont proposées des œuvres d’artistes explorant la céramique ou la forge, les arts du textile ou la tannerie, l’art de l’ébénisterie ou la terre cuite ; ceux-ci déplaçant par leur recherche plastique ces techniques, produisant des formes très singulières et engagées.

Éléonore False ,Tulipe #2, 2024, verre, LED, plexiglas et métal, 65 x 20 x 20 cm. Production Frac Sud – Cité de l’art contemporain, Marseille © Éléonore False, ADAGP Paris 2024 – Photo : Nicolas Brasseur

MdF. Quelle politique d’acquisition défendez-vous ?

ME. La politique d’acquisition du Frac Sud s’articule d’abord aux axes de son projet artistique et culturel Faire société, elle tient compte bien sûr aussi des lignes de forces qui se sont formées autour de certains mediums au fil des années et des directions artistiques qui se sont succédées ; en l’occurrence pour le Frac Sud, il y a un ensemble important autour de l’image photographique et du film d’artistes engagé dans les années 90 et 2000, mais aussi plus récemment autour du dessin, même si cette collection reste très généraliste et représentative de toutes les formes de recherches. Nous sommes avec le comité d’experts qui annuellement se réunit pour étudier les propositions d’œuvres à l’acquisition, très attentifs à la représentation des artistes femmes dans la collection et à une forme de parité qu’il nous faut essayer de rattraper. Si les collections des Frac sont internationales avec de nombreux artistes étrangers représentés, il s’agit aussi de défendre la scène artistique française avec une attention portée aux scènes artistiques régionales qui à l’exemple de la région Sud sont extrêmement foisonnantes avec de nombreux.ses artistes travaillant sur le territoire. Ce qui permet de collectionner des artistes à différents moments de leur carrière : généralement les Frac réalisent les premiers achats en collection publique d’un artiste au début de son parcours avant leur entrée dans les collections des musées. C’est aussi pour cela que les Frac sont détenteurs d’œuvres remarquables devenues aujourd’hui historiques d’artistes au parcours international, qu’ils ne seraient plus en mesure d’acheter aujourd’hui au regard de leur cote sur le marché de l’art. Le Frac Sud possède par exemple des œuvres de Joan Mitchell ou de Nan Goldin.

Vue exposition « Ce que pense la main », une exposition de la collection du Frac Sud – Cité de l’art contemporain photo Marc Domage

MdF. Pouvez-vous nous parler du projet à venir que vous développez au Frac Sud – Cité de l’art contemporain en lien avec le Japon ?

ME. Le Frac Sud par son architecture est lié au Japon et à la culture japonaise. C’est le grand architecte Kengo Kuma qui a imaginé son bâtiment à la Joliette, nous avons fêté en 2023 ses dix ans. J’avais envie de rendre plus visible cette connexion et étais curieuse de découvrir cette scène artistique et son histoire que je connaissais mal.

C’est à la faveur d’un voyage d’étude au Japon à l’invitation de la Japan Art Foundation et de la Maison de la Culture du Japon à Paris en janvier 2023 que j’ai pu découvrir cette scène accompagnée d’autres professionnels et curateurs français.

Au retour nous avons décidé de prolonger ce voyage par un double projet en partenariat avec la Maison de la Culture du Japon à Paris prenant la forme d’une exposition à Paris en avril 2025 dans leur lieu et à Marseille au Frac Sud – Cité de l’art contemporain en février 2026. Nous avons construit un projet avec la commissaire Elodie Royer, qui travaille depuis plusieurs années sur cette scène, et Alexandre Quoi pour le MAMC+ Saint-Étienne Métropole, qui possède un ensemble remarquable d’œuvres d’artistes japonais historiques des années 60-70.

Nous avons imaginé une exposition pour la Maison de la Culture du Japon à Paris valorisant le mouvement historique Mono-ha, peu connu en France, en regard d’une plus jeune scène artistique japonaise sur le thème de l’attention au vivant et à la nature, sujet qui a irrigué et continue d’irriguer de nombreuses recherches artistiques au Japon, et de façon très forte chez les générations d’artistes qui ont vécu la catastrophe de Fukushima. Le Frac Sud- Cité de l’art contemporain a aussi prêté pour l’occasion des œuvres d’artistes japonais de sa collection acquis ces dernières années.

Cette exposition se prolonge par une exposition au Frac Sud- Cité de l’art contemporain sur le même thème, curatée par Elodie Royer, où l’on retrouve des artistes contemporains présenté·es à la Maison de la Culture du Japon à Paris mais aussi d’autres artistes exposé·es pour certains et certaines pour la première fois en France.

L’exposition « L’Écologie des choses – Regards sur les artistes japonais et leurs environnements de 1970 à nos jours » ouvre le 30 avril prochain à la Maison de la Culture du Japon à Paris et « L’Écologie des relations, la Forêt aimante de la mer » le 6 février 2026 au Frac Sud- cité de l’art contemporain.

Vue exposition « Ce que pense la main », une exposition de la collection du Frac Sud – Cité de l’art contemporain photo Marc Domage

MdF. Est-ce que Marseille correspondait à l’idée que vous vous en étiez faite ? et comment définiriez- vous cette scène ?

ME. Oui tout à fait, je l’avais envisagé à l’image de la ville très multiculturelle, vivante, cosmopolite. Elle s’est confirmée très prospective, inventive avec beaucoup d’initiatives collectives qui soutiennent une véritable émulation et des formats de projets très innovants. Au regard du nombre d’artistes installés ou qui arrivent encore à Marseille, de la vitalité des écoles d’art sur le territoire régional, je pense qu’on peut dire que c’est la seconde scène artistique après Paris par son importance. Diriger une structure culturelle sur ce territoire régional et dans ce contexte est extrêmement stimulant et nourrissant.

INFOS PRATIQUES :
Eléonore False, Le Fil de chaîne
Jusqu’au 23 novembre 2025
Ce que pense la main, une exposition de la collection du Frac Sud :
Partie 1, Jusqu’au 15 juin 2025
Partie 2 du 20 juin au 23 novembre 2025

À venir :
Claire Dantzer, Le cheval de paille
Du 3 mai au 7 septembre 2025
(plateau expérimental)

Frac Sud – Cité de l’art contemporain
20 Bd de Dunkerque, Marseille
du mercredi au samedi de 12h à 19h,
le dimanche de 14h à 18h.
https://fracsud.org

À venir :
« L’Écologie des choses – Regards sur les artistes japonais et leurs environnements de 1970 à nos jours » ouverture le 30 avril prochain à la Maison de la Culture du Japon à Paris
&
« L’Écologie des relations, la Forêt aimante de la mer »
ouverture le 6 février 2026 au Frac Sud- Cité de l’art contemporain.

Marie-Elisabeth De La Fresnaye
Après une formation en littérature et histoire de l'art, Marie de la Fresnaye intègre le marché de l'art à Drouot et se lance dans l'événementiel. En parallèle à plusieurs années en entreprise dans le domaine de la communication éditoriale, elle créé son blog pour partager au plus grand nombre sa passion et expertise du monde de l'art contemporain et participe au lancement du magazine Artaïssime.

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