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Pour sa troisième carte blanche, notre invité de la semaine, le photographe reporter, Pierre Ciot revient sur ses 50 ans de carrière. Il nous raconte comment la photographie est venue à lui, il se rêvait journaliste, mais préférant l’image aux mots, il commence à raconter le monde à travers l’objectif de son appareil photo. Grâce à ses premières parutions, Pierre obtient le « sésame de la profession » : la carte de Presse. Durant une décennie, il collabore avec le bureau de l’AFP à Marseille en tant que pigiste régulier avant de rejoindre la rédaction de Viva / magazine. Aujourd’hui, les photographies de Pierre sont diffusées par Divergence – Images.

Mon rapport à la photographie est un peu le fait du hasard, je ne suis pas de ceux qui ONT eu un instamatic à leur 1ère communion.
Durant mon enfance je garde deux souvenirs concernant la photographie.
Le premier, j’avais dix ans lorsqu’avec ma grand-mère, sur la promenade des Anglais à Nice, on nous avait proposé de nous photographier, moyennant finance, avec un polaroid.

© Pierre Ciot.

Et le deuxième mon portrait qui trônait sur le buffet de la salle à manger. J’ai été élevé dans un milieu populaire, pauvre intellectuellement, pas de livres, pas de disques, juste la télé avec une seule chaine.

© Pierre Ciot.

La photographie, c’était quelque chose de complètement inexistant.

Scolairement, je n’étais pas quelqu’un de très brillant. J’avais des difficultés, notamment de dysorthographie. Je me suis retrouvé dans un lycée agricole où j’ai découvert le cinéma, la culture, le journal Le Monde et Libération lors des deux heures d’éducation culturelle. Avec un de mes professeurs, on a mené un projet photographique pendant deux ans dans les rues d’Aix en Provence, du Street art avant l’heure. C’était en 1975/76. Je n’avais même pas d’appareil photo. C’est la professeure de français qui m’avait prêté le sien.

Le vieux marché d’Aix en Provence en juin 1976 © Pierre Ciot.

C’est comme ça que j’ai appréhendé la photographie sans aucune connaissance technique, me focalisant uniquement sur la prise de vue.

J’avais envie d’être journaliste.

Comme j’avais des difficultés d’écriture, je me suis dit : « puisque je ne peux pas écrire, je vais faire des photos. »

J’ai intégré un programme de formation continue « Photographie et Audio-visuel »  à l’université de Provence à Marseille.

Cela m’a permis de suivre les cours de Jean-Pierre Sudre, Denis Brihat et Lucien Clergue. C’était passionnant, bien que la photographie qu’il proposait, était loin de mes préoccupations. Je voulais faire de la photo de presse et rien d’autre.

J’ai surtout appris à développer et faire des tirages noir et blanc avec Yann Legoff, ce qui me sera indispensable pour ma carrière même si je n’ai jamais rien compris au zone system.

En 1978 avec mes premières parutions j’obtiens le sésame de la profession « La carte de Presse ». Je me souviens encore avoir fait des bonds de cabri dans mon lit après la réception du courrier m’attribuant celle-ci.

Marseille le 8 juillet 1979 – Cité Bassens © Pierre Ciot.

Marseille le 10 septembre 1978- Au fond de la forme 9 de réparation navale sur le port de commerce © Pierre Ciot.

En 1980 je suis lauréat du prix « Air France/Ville de Paris » créé par Jean Luc Monterrosso de l’association Paris Audio-visuel, l’ancêtre de la Mep.
Aujourd’hui les prix photographiques sont dotés financièrement et représentent une économie non négligeable pour les lauréats. A cette époque, pour ce prix, je gagne un séjour à Varsovie et quarante films noir et blanc offerts par Kodak. Je pars avec Gladys et Jean-Philippe Charbonnier, personnage hors du commun, qui m’a fait découvrir sa vision particulière de la photographie de presse.

Varsovie juillet 1980 Jean Philippe Charbonnier sur le pont de la Vistule. © Pierre Ciot.

Cette semaine de reportage à Varsovie, quelques jours avant la naissance de Solidarnosc, reste pour moi une expérience unique. Jean Philippe partait à la recherche de ses souvenirs et Gladys s’ennuyait à photographier des tasses à café sur le bord de la fenêtre du maire de Varsovie qui nous avait reçu dans son bureau. J’arpentais dès le matin les rues de la ville en quête d’images qui allaient être exposées à la Maison de l’Europe à Paris.

Varsovie juillet 1980 Laveur de vitre. © Pierre Ciot.

Par la suite je me rapproche du bureau de l’AFP à Marseille et après une période d’incertitude, j’obtiens un poste de pigiste régulier.
Pendant dix ans je réalise des photographies d’actualité avec ses joies, ses contraintes et ses servitudes.

Je me souviens de ce 31 décembre 1984, où a eu lieu un attentat terroriste à la gare Saint-Charles de Marseille. Alerté par la radio de la police, je me retrouve rapidement sur les lieux pour faire des photographies d’une rare violence.

Photo 3/8 Légende photo : Marseille 31 décembre 1983- Explosion d’une bombe à la gare Saint Charles. © Pierre Ciot.

Durant cette période je photographie dans tous les domaines de la presse, la politique, les faits divers, le sport, la culture. Je suis au centre de l’actualité lorsque mes photographies sont publiées dans tous les quotidiens et puis le lendemain je retourne dans l’anonymat du photographe de province.

Marseille le 24 novembre 1987- Concert de Miles Davis. © Pierre Ciot.

Marseille le 21 juin 1983- Fête des enfants de l’école dans le quartier de Saint Victor.  © Pierre Ciot.

Marseille le 22 février 1983- Visite d’un marché du président Valérie Giscard d’Estaing et de Jean Claude Gaudin lors des élections municipale. © Pierre Ciot.

Cette collaboration avec l’AFP a été très formatrice et m’a permis de m’affirmer comme un journaliste pouvant intervenir sur tous les sujets de l’actualité en région. Bien que ce travail soit passionnant il est très difficile mentalement et physiquement.

Je me suis constitué un classeur avec une quarantaine de tirages 24×30 argentiques, fait le tour des services photos des rédactions parisiennes dirigées par des photographes. Les iconographes n’existaient pas encore.
La présentation des photographies n’avait rien à voir avec aujourd’hui. Tu pouvais être jugé sur une photo. J’ai toujours présenté mes photographies de cette manière pour apporter une preuve de mon savoir-faire. Ensuite je retournais à Marseille et au gré des besoins des rédactions j’avais des commandes pour des reportages qui n’avaient strictement rien à voir avec ce que j’avais présenté, cela m’a permis de travailler avec l’ensemble de la presse magazine.

Avec le Monde j’ai une histoire singulière car j’ai eu une photographie à la une de ce journal en 1979 ! En fait il s’agissait d’une photographie de Jean et Nina Kehayan pour une publicité sur leur livre parue au Seuil. J’ai découvert celle-ci en achetant le journal. Celle-ci avait été publiée sans mon autorisation et ce fut mon premier contentieux pour faire respecter mes droits.
Puis plus tard alors que le Monde publiait très peu de photographies, j’ai obtenu un rendez-vous avec un rédacteur en chef responsable d’un supplément de fin de semaine. Après avoir arpenté les méandres du journal, boulevard des Italiens, je me suis retrouvé dans son bureau au dernier étage proche du grenier… Il m’a fait une petite place dans cet espace surchargé de pile de dossiers je lui ai montré mon fameux classeur avec mes photographies. On échange un peu sur celles-ci et je le vois sélectionner mes précieux tirages argentiques, les sortir de leur protection pour aller faire des photocopies…
Une semaine plus tard une de ces photographies sera publié au format demi page dans ce supplément de fin de semaine.

Plateau de Valensole le 28 juin 1984- Champs de lavande. © Pierre Ciot.

Compte tenu de ma situation précaire j’ai essayé toutes les possibilités pour diffuser mes photographies, j’ai fait un temps très rapide et décevant à Sygma, puis chez de multiples collectifs, Rush, Sunset, Atelier, Collectif Presse ou encore Imapress.
Avec Jean Desaunois le patron d’Imapress, la première rencontre fut plutôt originale.
Arrivé vers 11 heures à l’agence pour un entretien, je fus surpris d’être embarqué dans un avion de tourisme pour aller déjeuner à Deauville. Lors de ce repas j’ai montré mes photographies à Jean, il a très vite parcouru mon book et avant de boire le café j’étais embauché pour suivre l’actualité à Marseille.
Je dois avouer que passé la stupeur de cette embauche insolite, j’ai vite compris que je n’avais pas ma place dans cette agence.

Je vais ensuite intégrer toujours comme pigiste Viva / magazine. Ce mensuel atypique de la presse sociale avec un tirage de près d’un million d’exemplaires dont 400 000 dans ma région représente une opportunité que je ne peux refuser.
Je découvre une rédaction locale avec plusieurs journalistes de très grande qualité qui me permet d’avoir une nouvelle dimension dans l’exercice de mon métier avec des moyens financiers irréprochables et surtout le temps de réaliser les reportages.
Une approche moins news de l’information, moins sensationnelle. Du reportage de proximité plus réaliste. Dans le domaine de la santé, je crois avoir couvert à peu près toutes les maladies, avec beaucoup d’humanisme et des relations privilégiées avec tous les acteurs (les professeurs de médecine, les malades, les représentants des associations et de l’institution).
Comparé à mon expérience à l’Afp, ce n’était plus du tout le même rapport au métier. Il n’y avait plus cette sensation d’agresser les gens, une période riche en photographies et en rencontres.

Marseille le 8 novembre 2002- Séance d’ostéopathie sur un nouveau née à l’hôpital Nord de la ville. © Pierre Ciot.

Marseille 19 aout 1997-Plage de Corbière à l’Estaque. © Pierre Ciot.

La Bréole dans le département des Hautes alpes- Centre pour les personnes atteinte de la maladie d’Alzheimer. © Pierre Ciot.

En 2007 après mon licenciement de Viva le retour auprès des magazines parisiens fut particulièrement douloureux, je n’étais pas attendu et il a été très difficile d’obtenir des piges pour pouvoir continuer dans ce métier.
Je vais devoir me diversifier, faire de la photographie pour des entreprises ou institution et jongler sur l’équilibre piges journaliste et droit d’Auteur type agessa pour conserver la carte de presse.

Marseille le 16 janvier 2010-Campagne de publicité pour la Région Paca. © Pierre Ciot.

Le salut viendra de Fédephoto / Divergence et de l’utilisation du numérique.
L’arrivée du numérique a, certes bouleversé le monde de la photographie, mais pour un indépendant de province comme moi cela m’a permis de continuer le métier à moindre coût et surtout de pouvoir faire un reportage le matin et avoir une parution dans le Monde l’après-midi.

Marseille le 3 octobre 2015- Élection régionale. © Pierre Ciot.

Le site Divergence permet cette diffusion immédiate, alors que dans le passé il fallait faire son reportage, le développer, faire les tirages en noir et blanc ou sélectionner les diapositives et ensuite faire un envoi postal ou trouver un passager à l’aéroport ou à la gare.

Marseille 25 mars 2023-Jeunes majeurs lors d’une manifestation. © Pierre Ciot.

Pelissanne dans les Bouches du Rhône le 25 juin 2011- Fête au village. © Pierre Ciot.

Marseille le 5 octobre 2011- Baletti dans la salle Copacabana. © Pierre Ciot.

Marseille 14 mars 2012- Meeting du PS lors des présidentielles © Pierre Ciot.

Ayant toujours la volonté de garder mon indépendance et en parallèle de mon activité militante au sein de l’Upp et de la Saif, je vais entreprendre deux projets photographiques d’envergure en 2000 et 2013.

En 2000 projet “Nés à Marseille”

Pour l’an 2000, je vais faire 2 000 photographies de personnes qui sont nées à Marseille. J’ai décidé de faire ces images en négatif couleur au format 6×6. J’avais toujours travaillé en 24×36, pour réaliser ce projet j’achète un Hasseblad sur les conseils de mon ami photographe Claude Almodovar.
Le soir je prends mes rendez-vous par téléphone et ensuite je sillonne Marseille à scooter pour aller à la rencontre des marseillais, au total sur les 2000 portraits je vais réaliser 11880 prises de vue, avec 990 pellicules, de 3319 personnes photographiées.

J’avais l’idée de montrer une ville cosmopolite, ce projet a été concrétisé par une exposition monumentale dans le hall de l’Hôtel de Région à Marseille en juin 2001et a eu un succès local incontestable.

Les couvertures presse ont été importantes, notamment un très bel article de François Grano dans Télérama. Par contre je fus déçu, par la suite, de n’avoir pas pu montrer ce projet ailleurs. J’ai fait des demandes auprès de tous les festivals, tous les lieux qui exposent de la photographie dans les différentes institutions.
Ça n’a pas marché.
Avec des réponses surprenantes et contradictoires, comme celle de Visa pour l’Image, qui trouvait le projet trop conceptuel ou à l’inverse un festival d’art plastique qui m’avait dit que le projet était trop journalistique.
La publication d’un livre avec la complicité des Editions Parenthèses permet de conserver une mémoire de cette exposition.

Aujourd’hui j’ai toujours le rêve de pouvoir faire une nouvelle présentation de ce projet avec une exposition sous la forme d’un tableau unique de 144 mètres carré, à la manière de l’exposition d’August Sander au Grand Palais à Paris Photo 2024.

© Pierre Ciot.

En 2013 projet Humanités, portrait de famille,
Lors de l’année 2013, Marseille est capitale de la culture, ce sera pour moi l’occasion de présenter une exposition de 2013 portrait de famille dans un parc de la ville sur dix containers maritimes.
Une aventure sur cinq ans avec l’installation d’un studio mobile dans 45 lieux différents de la ville. 15427 prises de vues en numérique et 7045 personnes photographiées.
Et comme pour l’an 2000 mes fidèles compagnons des Editions Parenthèses éditeront un ouvrage regroupant l’ensemble des portraits ainsi que le périple Marseillais de mon fauteuil Louis XV présent sur l’ensemble des portraits.

© Pierre Ciot.

Aujourd’hui à mon rythme l’aventure continue, étant journaliste honoraire je suis dégagé de toutes contraintes financières. Cela me permet de faire les photographies dont j’ai envie à la manière d’un photographe amateur.
Photo 3/24 Légende photo : Marseille le 1 novembre 2015- Iles du Frioul. Projet sur le littoral.
Mon projet prioritaire est de réaliser une monographie sur mon travail, celui que je viens de vous raconter mais avec des images…

https://www.divergence-images.com/pierre-ciot/

La Rédaction
9 Lives magazine vous accompagne au quotidien dans le monde de la photographie et de l'Image.

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