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Tout au long du mois de mars, à l’occasion de la journée internationale des droits des femmes, nous partagerons avec vous une sélection d’ouvrages de femmes photographes réalisée par des éditrices françaises. Pour poursuivre ce dossier éditorial, c’est au tour de Samantha Millar-Hoppe des éditions Rue du Bouquet de nous présenter l’un de ses derniers ouvrages publiés « Revêtir » d’Aurélie Scouarnec. Une immersion dans les traditions à travers les costumes bretons, capturant les gestes d’habillage et les instants suspendus des préparatifs. Ce livre mêle images, textes et archives familiales pour révéler les liens entre étoffes, corps et traditions.

Ce qui relie une éditrice à une photographie, c’est parfois un détail, un geste, une lumière — ou, comme ici, un cheval. À travers deux livres conçus ensemble, Ferae puis Revêtir, Aurélie Scouarnec et moi avons tissé un dialogue de confiance et de création. Un travail à quatre mains, fait d’échos sensibles, de choix éditoriaux précis, et d’une volonté commune de faire résonner les images dans des livres pensés comme des espaces de récit et de transmission.

Anaon © Aurélie Scouarnec

Je crois que ce que je préfère en étant éditrice, c’est ce moment où une image vous attrape sans prévenir, vous happe, vous donne envie d’aller plus loin. C’est exactement ce qui s’est passé avec le travail d’Aurélie Scouarnec.
J’ai d’abord vu l’une de ses photographies — une image de cheval tirée de sa série Anaon — et elle m’a littéralement arrêtée.
(Il faut dire que j’ai une petite obsession pour les chevaux… C’est déjà à cause d’un cheval que j’ai contacté Letizia Le Fur, avec qui j’ai fait deux livres.)

À partir de là, j’ai proposé à Aurélie que nous nous rencontrions, et j’ai pris beaucoup de plaisir à faire sa connaissance. Elle a une vraie passion pour les livres de photographie, elle en achète beaucoup — et ça, c’est généralement un bon signe. Les photographes qui lisent et collectionnent des livres sont souvent ceux avec qui nous pouvons vraiment construire un projet éditorial.
Aurélie a un regard très clair sur ce qu’elle aime ou pas. Et en même temps, elle s’est aussi laissé porter par mon regard, et cela a posé les bases d’une collaboration fluide et respectueuse. C’est ainsi qu’est né Ferae, notre premier projet commun, avec le graphiste Odilon Coutarel.

Ferae est un livre très organique, presque instinctif. Il explore une forme de lien physique entre les êtres — humains, animaux — à travers les gestes, les matières, les corps. Le livre est silencieux, mais très habité. Un très beau texte de Thomas Giraud sur le sauvage l’ouvre, imprimé sur un papier différent, comme une respiration avant les images.
Nous y avons cherché un équilibre entre force et douceur, tension et retenue. Le travail d’Odilon Coutarel vient soutenir ce souffle sans l’alourdir.
Le livre a été bien accueilli, ce qui nous a beaucoup touchées, et il a souvent été perçu comme une manière sensible de parler du lien au sauvage.

Je savais qu’Aurélie travaillait sur une nouvelle série. Je voyais passer quelques images pendant que nous finalisions Ferae. Nous avons même glissé un clin d’œil à ce futur livre dans la dernière image : une femme de dos, blouse bleue, cheveux nattés, mains jointes — un passage, un fil tendu entre deux ouvrages.

Gwiskan © Aurélie Scouarnec

Gwiskan © Aurélie Scouarnec

Gwiskan © Aurélie Scouarnec

Gwiskan © Aurélie Scouarnec

Revêtir est donc notre deuxième collaboration. Il s’inscrit dans une relation de confiance, de respect mutuel, d’échanges très vivants — souvent ponctués de citations, d’idées de lectures, ou de films que nous nous envoyons. À chaque fois, nous essayons de penser le livre comme une extension de son regard de photographe : chaque détail d’édition — le papier, la reliure, le rythme, l’impression — est pensé comme une part du récit.

« Vêtir une autre femme, c’est la mettre au mieux dans le monde, la placer non pas comme la plus belle, mais comme la plus nantie du capital symbolique qu’est le vêtement. Être parée est de l’ordre de l’ornement, certes, mais il s’agit aussi d’éviter un coup, de se prémunir du mauvais sort« . – Jane Sautière 

Pour Revêtir, l’idée d’un livre porté uniquement par des femmes s’est imposée peu à peu. Elle s’est cristallisée quand Jane Sautière — une autrice qu’Aurélie et moi admirons énormément — a accepté d’écrire un texte pour accompagner les images.
À ce moment-là, j’ai pris conscience que nous étions trois générations de femmes à faire ce livre ensemble. Cette conscience du collectif féminin m’a poussée à prolonger cette dynamique : j’ai choisi de confier le graphisme à Valentine Thébaut, avec qui c’est notre deuxième collaboration. J’apprécie beaucoup son travail, très fin, très attentif au contenu. Elle sait construire des mises en page sensibles, sans jamais surligner les images. C’était une manière d’ancrer encore plus le projet dans ce dialogue féminin, à la fois sensible et politique.

« Il y avait un silence dans la pièce, une attention parfaite aux gestes. […] On me plaçait aussi dans la ronde des femmes de ce pays, une des leurs, je ne le percevais pas clairement, mais j’en ressentais toute la gravité ». – Jane Sautière

« Les photos d’Aurélie ne sont pas vides. Elles viennent dire le geste d’habiller, elles montrent le sacré du geste, oui, sacré, je le maintiens. Même lorsque l’habillage n’est pas le fait d’autres femmes, il y a ici quelque chose qui renvoie à celles qui ont précédé, elles se réincarnent dans la nouvelle qui, devant son miroir, ajuste, comme l’ancienne, les pièces du vêtement dans le même ordre, le même soin, la même attention à ce qui se raconte aussi d’un pays. » – Jane Sautière

Nous avons donc imaginé Revêtir comme un livre entièrement porté par des regards féminins — dans les textes, dans le graphisme, dans le geste éditorial. Ce n’était pas un positionnement purement symbolique, mais une manière cohérente de faire écho au sujet même du livre.

Il nous semblait aussi important d’ancrer Revêtir dans un territoire : celui de la Bretagne, qui est au cœur du travail d’Aurélie. C’est un territoire fort, chargé d’histoires, de gestes, de voix. Nous avons souhaité que le livre puisse exister aussi dans ses langues : il contient donc des traductions en breton et en gallo. Cette dimension locale, profondément enracinée, participe aussi de ce que nous avons voulu transmettre. Le livre a d’ailleurs été imprimé à Rennes, avec une équipe qui nous a accueilli et accompagné dans toutes les étapes avec beaucoup de plaisir, nous avons passé à l’imprimerie une très belle journée de calage.

Cette présence féminine, à toutes les étapes du projet, dit quelque chose de notre manière de faire, de raconter autrement. C’est peut-être aussi là que la notion de matrimoine prend tout son sens. On parle beaucoup de patrimoine — ce qu’on hérite des figures masculines — mais il y a aussi un matrimoine, qu’on a longtemps mis de côté. Ce sont d’autres récits, d’autres gestes, d’autres regards.
Ce livre, à sa manière, en garde la trace. Il s’inscrit dans une filiation où les femmes racontent, transmettent, tissent des mémoires sensibles.

Dans Revêtir, Aurélie capte ce qui échappe souvent au regard : une mémoire des corps, des tissus, des gestes discrets. Elle donne à voir ce qui se transmet sans faire de bruit, mais avec force.
Le livre devient ainsi un espace de résonance, entre les images, les mots, les voix, les matières. Une manière de faire mémoire ensemble, autrement.

À PROPOS DE RUE DU BOUQUET :
Maison d’édition indépendante dédiée à la photographie. Chaque livre est une rencontre : avec un regard, une démarche, une manière singulière d’habiter le monde. Mon rôle, c’est d’entrer dans cet univers, de comprendre ce que l’artiste cherche à dire, à faire sentir — et de l’accompagner dans la construction d’un objet qui prolonge ce regard. Les livres sont toujours pensés sur mesure, en dialogue étroit avec le photographe et le graphiste. Rien n’est standardisé. Chaque détail compte : le choix du papier, le rythme des images, la manière dont le texte vient s’inscrire dans l’ensemble. Il y a une vraie attention portée à l’esthétique, mais aussi à la fabrication, au soin qu’on apporte à l’objet-livre, à sa matérialité. Ce qui m’importe, c’est de faire exister des livres justes, sensibles, qui ne surlignent pas les images mais les accompagnent avec respect.
https://www.ruedubouquet.fr/

INFORMATIONS PRATIQUES
Revêtir
Aurélie Scouarnec
Rue du Bouquet
Parution : novembre 2024
144 pages, 22 x 31,5 cm, français, breton, gallo, anglais
ISBN : 979-10-97416-27-0
45€
> Version collector avec tirage de tête à 150€
https://www.ruedubouquet.fr/product/revetir-aurelie-scouarnec

EN EXPOSITION

mar11mar(mar 11)13 h 00 mindim26oct(oct 26)19 h 00 minAurélie ScouarnecGwiskañMusée de Bretagne aux Champs Libres, 10 Cours des Alliés, 35000 Rennes


ET BIENTÔT

sam17mai(mai 17)11 h 00 mindim07sep(sep 7)19 h 00 minFestival Mondes en commun – Poursuivre l’inventaire d’Albert KahnMusée départemental Albert-Kahn, 2, rue du Port, 92100 Boulogne-Billancourt

La Rédaction
9 Lives magazine vous accompagne au quotidien dans le monde de la photographie et de l'Image.

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