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A l’occasion des expositions La Relève 7 (festival Parallèle) et Rouvrir le monde (DRAC Paca), Martine Robin revient sur la vocation du Château de Servières au cœur de Marseille à travers ces dispositifs de soutien à l’émergence dans les contextes du champ social et de la transmission artistique. Par ailleurs elle nous dévoile les contours de la prochaine édition de PAREIDOLIE et d’une Saison du dessin élargie à tout l’arc méditerranéen. Mutualiser les synergies et les temps forts entre structures du territoire est inscrit dans l’ADN de cet espace devenu incontournable et il est aujourd’hui face à la crise, encore plus essentiel de se regrouper, comme elle le rappelle.

Des convictions et un investissement qui portent ses fruits alors que Marseille ne cesse d’aimanter les regards et les artistes. Martine a répondu à mes questions.

Vue de l’exposition La Relève 7, Notre part belle, Château de Servières, 2025 photo Jean-Christophe Lett et Louise Lett

PAREIDOLIE 2025, les actualités

Nous avons le plaisir d’accueillir notre nouvelle présidente, Fanny Robin, directrice artistique de la Fondation Bullukian à Lyon. Partenaire de longue date, Karima Celestin, entrepreneuse culturelle, rejoint le comité de sélection. Sa galerie située sur la Canebière, en plein cœur de la ville , proposait une programmation exigeante , elle a été invitée à la 2ème édition de Paréidolie en carte blanche avec une proposition de Massinissa Selmani.

Vue de l’exposition Jérémie Setton, Si Didon rêvait là-haut, Théo la verrait donc d’ici, Château de Servières, photo Jean-Christophe

L’artiste invité 2025 est…

Notre projet dès le départ est ancré sur le territoire autour de galeries qui viennent de France et de l’international. Nous voulons faire la part belle aux structures implantées dans le sud, par le biais de cartes blanches et d’un artiste invité. Chaque année, le comité de pilotage sélectionne un travail fort qu’il nous semble important de présenter au public et aux professionnels, d’un artiste qui n’est pas encore représenté en galerie. Il s’agit cette année de Jérémie Setton. Il a réalisé sa première exposition au Château de Servières en 2010 reproduisant notre bureau avec tout son mobilier, selon une technique qu’il a encore développée par la suite. Coloriste, avec une formation de restaurateur, il effaçait, en travaillant sur la subtilité de toutes les nuances, l’ombre des objets. Le spectateur, lors de sa déambulation, intercalé entre l’objet et sa source lumineuse, révélait les ombres par sa présence. Depuis il a intégré de nombreuses collections et enseigne la peinture à l’École des Beaux-Arts d’Aix. Il a bénéficié d’un atelier de la Ville de Marseille et beaucoup de nos invités de PARÉIDOLIE l’ont repéré et collectionné à cette occasion. Notre volonté est de pouvoir poursuivre ce cheminement et surtout de proposer un accompagnement sur du long terme ! Pour que ce processus soit effectif, cela comprend d’une part, la présentation du travail en août sur le salon avec une très belle visibilité, puisqu’elle s’inscrit dans la rentrée de l’art contemporain aux côtés des foires Art-o-rama et Polyptyque, suivie d’une exposition personnelle dans le cadre du PAC, Printemps de l’art contemporain en mai, autre moment fort à Marseille avec la programmation de près de 80 structures. Une dynamique devenue magnétique pour les artistes et le public !

Vue de l’exposition Mayura Torii, Domestique, Château de Servières, photo Jean-Christophe Lett

Les artistes invité.es au long court

Cet accompagnement sur du long terme a déjà fait ses preuves notamment avec Mayura Torii, artiste invitée en 2023. Selon ces mêmes modalités Mayura Torii, présente d’abord sur la salon, a participé au projet de résidence croisée avec le Frac Picardie soutenu par la Métropole d’Amiens, dans le cadre de la Saison du dessin Nord/SUD . Une première exposition personnelle à la galerie Totem, lui a offert une visibilité au-delà du territoire. S’inspirant du Tableau Portrait de femme avec sa fille de Francesco Traballesi, découvert dans le musée des Beaux-Arts d’Amiens à l’occasion de cette résidence, Mayura en propose une version qui a depuis été acquise par le musée d’Amiens. Son exposition personnelle, Domestique pour le PAC dans la galerie principale de Servières s’est accompagnée comme toujours d’une reconfiguration de l’ensemble de l’espace et d’un soutien à la production. La force du travail à séduit Didier Webre qui l’a ensuite invitée pour initier le programme du « Code a changé » Ce nouveau projet, sous forme de commande lancée à une dizaine d’artistes, propose à chacun un accrochage personnel dans un appartement offrant un panorama exceptionnel sur le vieux port. La rétrospective de ce cycle d’exposition sera présentée au Château de Serrières en 2027.

De même pour Madely Schott, artiste invitée 2024, après son très beau projet à Amiens pour la résidence croisée, elle travaille actuellement sur l’exposition du PAC, Venus Tour . Son approche pluridisciplinaire l’amène à expérimenter divers médiums et techniques qui requièrent de nouveaux savoir-faire. Aujourd’hui Madely envisage un projet immersif dans lequel le public est invité à circuler et interagir avec un ensemble de pièces, les Vénus, réalisées en feutre. Elle est par ailleurs l’artiste sélectionnée pour bénéficier d’un atelier par la Fondation Vacances Bleues.

Les cartes blanches

Nous poursuivons cette année notre partenariat avec les Musées de Marseille et avec une présentation dans le cadre de cette carte blanche d’un projet en lien avec l’exposition sur le tatouage à la Vieille Charité.

L’appel à projets

Nous avons déjà de belles candidatures à la fois nouvelles et de galeries fidèles qui candidatent pour chacune des éditions, ce qui nous réjouit et montre l’attachement à notre salon si particulier. Nous veillons à renouveler chaque année la selection et avons repoussé la date de la clôture au 12 mars, le comité se réunissant fin mars à l’occasion de la foire Drawing Now à Paris.

Une Saison du dessin élargie

PAREIDOLIE a initié dès sa création la Saison du dessin en fédérant de nombreuses structures : institutionnelles, associatives, privées et publiques, qui toutes se mettent à l’heure du dessin. Elles bénéficient d’un accompagnement par le Château des collectionneurs dans leurs différents lieux. Partie de Marseille, la Saison s’est étendue au département pour couvrir à présent un large territoire, puisqu’elle s’étend sur tout l’arc méditerranéen. Un vrai festival du dessin avec le lancement du salon fin août et la saison qui se poursuit jusqu’en décembre autour d’une trentaine de partenaires toujours très enthousiastes. A partir du vernissage de l’exposition de Massinissa Selmani au Château de Servières, un temps fort avec un voyage de presse qui sera proposé autour du week-end du 11 octobre afin de mettre encore davantage en synergie une programmation de vernissages, workshops, rencontres, performances, proposées par tous les partenaires de cette nouvelle saison du dessin !

Vue de l’exposition La Relève 7, Notre part belle, Château de Servières, 2025 photo Jean-Christophe Lett et Louise Lett

La Relève 7 : quels enjeux ?

Le projet est porté par Parallèle, festival de pratiques émergentes et internationales avec une incursion dans le champ des arts visuels. Il s’est appuyé sur différents partenaires identifiés dans la ville de Marseille, plus particulièrement sur Art-cade, galerie des grands bains douche de la Plaine et le Château de Servières. Nous accueillons pour la 4ème année les artistes diplômés des écoles depuis moins de 3 ans qui répondent à un appel à projets. Nous avons des propositions qui viennent de toute la France avec un accent porté sur l’arc méditerranéen qui regroupe les écoles de la région. Une dizaine de personnalités du monde de l’art (institutionnels, critiques,artistes..) favorise une pluralité de regards face à ces nombreux dossiers (+ 200) et sélectionne une vingtaine d’artistes présentés dans cette double exposition. Nouveauté cette année, Aurélie Berthaut , directrice de art-cade et Lou Colombani, directrice du festival, ont fait le choix de lancer un autre appel à projets, ce qui est tout à fait pertinent étant donné la configuration et la temporalité d’art-cade, pour accueillir le collectif Mastic. Nous recevons donc ici tous les artistes sélectionnés. Cela confère une plus grande densité mais aussi une nouvelle dynamique et permet d’avoir un panorama complet des artistes sélectionnés.

Vue de l’exposition La Relève 7, Notre part belle, Château de Servières, 2025 photo Jean-Christophe Lett et Louise Lett

Comment avez-vous pensé le parcours ?

L’enjeu a été pour moi de rendre le parcours fluide tout en créant des échos entre les pratiques comme j’ai l’habitude de le faire, autour d’un fil conducteur. Grâce au temps imparti, j’ai pu étudier les dossiers en amont en tant que membre du jury et penser la mise en espace pour que chacun puisse y trouver sa place. Trois grands ensembles se dégagent : le premier basé sur des récits fictionnels avec une approche quasi archéologique qui a recours à l’archive, parfois imaginée de toute pièce … Le 2e avec une dimension plus engagée, traite de la question de l’environnement et du paysage et enfin un 3e ensemble davantage attaché à la question des nouvelles valeurs partagées en jeu dans les rapports et revendications sociales autour de la question du genre, du soin et de la force du collectif.

L’artiste Simon Pastoors basé à Marseille, qui ouvre le parcours, a proposé une performance « Footing » le soir du vernissage et a également été invité à performer au Mac dans le cadre d’une journée spéciale. Faisant face à son avatar vidéo, l’artiste se livre à une séance d’échauffement qui, avec humour, questionne les injonctions autour du culte de la performance et de la beauté viriliste. Le fait d’être implantée depuis des années sur le territoire me permet d’avoir une connaissance de la scène artistique et en tant que commissaire indépendante, d’inviter des artistes comme ce fut le cas avec Simon pour le festival Marcel Longchamp en 2023.

Vue de l’exposition La Relève 7, Notre part belle, Château de Servières, 2025 photo Jean-Christophe Lett et Louise Lett

Qu’est-ce qui ressort de ce panorama ?

L’on remarque également le travail d’Hutarr Von Yug autour de ce qui ressemble à un chantier de fouille a partir d’un lieu disparu : « Irde Sinya était un village pastoral » reprenant les codes de l’archéologie dans une narration muette et spéculative.

Marie Lafaille à partir d’une pratique de la marche et de la collecte, interroge les différentes strates de la mémoire d’un paysage dans un dispositif proche également de l’archéologie. A partir de fragments prélevés lors des crues de la Charente dans les rues d’Angoulême, elle se livre à un arpentage des sols dans une esthétique qui convoque à la ruine.

Louise Lett mêle photographie et gravure laser sur un support en carton alvéolé pour poser un regard sur l’effondrement de la rue d’Aubagne et l’urbanisme à Marseille révélant les cicatrices et une précarité toujours palpable.

Romain Ravera, propose sous forme de maquette un ensemble de fragments autoroutiers, tunnel, bretelles d’autoroute et autre viaduc issus d’observations faites en Italie d’ouvrages inachevés dont aucun architecte ni commanditaire ne revendique la paternité. Trop onéreuses pour être détruites, ces ruines avant d’etre achevées, incarnent une sorte de sculpture orpheline, révélant les malversations de ces chantiers colossaux.

Iris Millot se penche sur le parcours de sa grande tante, Hélène, ancienne militante MLF qui vit retranchée dans la ferme de sa famille. Ce travail d’enquête a été exposé au studio de la MEP à Paris en 2024.

Enfin Leonard Contramestre se penche sur la pratique populaire de la chenille, un lâcher-prise collectif de « mauvais goût », dont les racines remontent au Moyen-Âge européen. Il propose de dresser une anthropologie de la queuleuleu depuis sa dimension militaire et stratégique jusqu’aux défilés et manifestations collectives modernes dans une installation immersive au multiples écrans (vidéo-projection, projecteur de diapositives….).

Vue de l’exposition La Relève 7, Notre part belle, Château de Servières, 2025 photo Jean-Christophe Lett et Louise Lett

En termes de soutien qu’est-ce-qui est proposé aux artistes ?

Nous proposons des espaces reconfigurés pour le projet, une aide à la production,, le commissariat, les équipes de régie, la mise à disposition de matériel, la prise en charge du transport… Chaque partenaire apporte sa contribution et c’est comme cela que l’on arrive malgré des moyens limités, à proposer un projet de cette envergure.

Avec : Hutarr Von Yug, Maymouna Baradji, Léonard Contramestre, Evangeline Font, Simon Gabourg, Liv Jordan, Marie Lafaille, Fanette lambey, Louise Lett, Titouan Makeeff, Marguerite Maréchal, Iris Millot, Simon Pastoors, Chloé Poey-Lafrance, Alexis Puget, Romain Ravera, Anais Robertou, Sébastien Schnyder, lila schpilberg, Baptiste Thiebault Jacquel .

« Rouvrir le monde », la restitution (un été culturel) : quels enjeux ? quel rôle pour le Château Servières ?

Ce dispositif a été mis en place par la DRAC PACA-Ministère de la culture au lendemain du confinement afin de soutenir les artistes dans ce contexte. Le Château Servières de par son expérience auprès des centres socioculturels, coordonne les résidences. Les artistes sélectionnés passent 15 jours dans un dispositif de transmission auprès de publics très divers (centres aérés, centres sociaux et familiaux, assistance publique-hôpitaux de Marseille, Ehpad, ..) et proposent un atelier. Ils sont rémunérés à hauteur de 2000 euros, ce qui est rare et reflète enfin la prise en compte et la reconnaissance du travail de l’artiste plasticien. C’est un dispositif gagnant-gagnant pour tout le monde et qui est monté en puissance depuis 4 ans. Nous assurons toute la gestion des projets au niveau administratif et accompagnement des artistes, du mois de janvier à mars. Nous avons tenu à proposer en accord avec Hélène Lorson qui était alors notre interlocutrice, une restitution en fin de processus, que nous poursuivons toujours avec ferveur. Nous avons accueilli cette année 15 dossiers de 18 artistes en comptant les binômes. Un véritable investissement pour nous mais qui a du sens, et encore plus en parallèle de la Relève, certains artistes faisant partie des deux dispositifs.

Des artistes émergents pour la plupart qui n’hésitent pas à se confronter à des contextes parfois difficiles.

Ce projet essentiel à nos yeux pour l’éco système des artistes dont l’avenir semble malheureusement compromis, nous désole d’autant que ce désengagement auprès des artistes s’ajoute à l’incertitude du renouvellement des crédits du Pass Culture. Il est regrettable que toute la colonne vertébrale revendiquée par le Ministère sur ce volet de la transmission auprès de la jeunesse et de l’ensemble des publics soit aujourd’hui si fortement remise en cause.

Avec : Emilie Allais, Nina Almberg & Margaux Sirven, Hélène Bellenger, Sophie Bueno-Boutellier, Gabrielle Fribourg, Gerlinde Frommherz, Juliette Iturralde, Alexandre-Takuya Kato, Aman Le Goff & Ariane Keller, Anastasia Simonin & Kazuo Marsden, Aurélien Meimaris, Elvire Ménétrier, Adrien Menu, Jacques Sorrentini Zibjan, Lula Turbé.

Merci à Geoffrey Chautard pour la visite et médiation.

INFOS PRATIQUES :
« La relève, notre part belle »
Exposition collective
Dans le cadre du festival parallèle 15
« Rouvrir le monde » la restitution -un été culturel-
Jusqu’au 22 mars 2025
Château de Servières
11-19 Boulevard Boisson
13004 Marseille
www.chateauservieres.org

PAREIDOLIE – 12e édition du Salon International du Dessin Contemporain La Saison du Dessin
Appel à candidatures 2025
https://pareidolie.net

 

Marie-Elisabeth De La Fresnaye
Après une formation en littérature et histoire de l'art, Marie de la Fresnaye intègre le marché de l'art à Drouot et se lance dans l'événementiel. En parallèle à plusieurs années en entreprise dans le domaine de la communication éditoriale, elle créé son blog pour partager au plus grand nombre sa passion et expertise du monde de l'art contemporain et participe au lancement du magazine Artaïssime.

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