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C’est la question que beaucoup de photographes (professionnels ou amateurs) se posent au moment de sortir leur appareil photo. Tout d’abord, il convient de préciser que vous pouvez photographier à peu près tout ce que vous voulez dans la mesure où les images en question n’ont pas vocation à être publiées ou diffusées publiquement pour rester dans la sphère privée. Attention cependant, certains lieux interdisent formellement de prendre des photos, comme dans certains musées ou à l’occasion de certains événements comme les spectacles ou les concerts dans le but de protéger les droits des auteurs. Ces interdictions sont affichées de manière claire et visible. Mais qu’en est-il pour le reste ?

C’est la crainte de tout photographe, celui d’être poursuivi pour la publication d’une image. Et est-ce que la signature d’une décharge vous protège de tout ? Cela dépend de nombreux paramètres. Pour vous aider à aborder plus sereinement votre pratique et votre activité de photographe, dans cet article nous faisons le point sur ce que vous pouvez photographier et les situations qui nécessitent des autorisations afin de respecter le droit à l’image, mais aussi le droit d’auteur, trop souvent négligé.
La pratique photographique est dans la majorité des cas un acte spontané, ne vous censurez pas lors de la prise de vue, les problématiques de droit à l’image peuvent se poser mais uniquement lors de la diffusion.

1 – Que dit le droit en matière de prise de vue photographique ?

Il convient en premier lieu, de s’intéresser à ce que prévoit la loi concernant le droit à l’image, qui s’étend également aux biens, mais aussi de s’informer sur le droit d’auteur qui protège les créations originales. Ce sont ces aspects juridiques qui vont conditionner ou vous empêcher de diffuser une photographie sur laquelle apparaît une personne, un bien ou même une œuvre d’art…

Qu’est ce que le droit à l’image ?

Comme le détaille fondamentalement l’article 9 du Code civil français « chacun a droit au respect de sa vie privée. ». Dans le chapitre 3.4, il est spécifié que toute personne dispose d’un « droit exclusif sur son image et son utilisation. La publication ou l’utilisation de l’image d’une personne sans son consentement porte atteinte à sa vie privée »
Si vous êtes photographe amateur et que vous n’avez pas l’intention dans le présent ou dans l’avenir de diffuser vos photographies, vous n’êtes pas concernés, sinon il faudra vous assurez d’obtenir l’accord des personnes photographiées si elles sont reconnaissables, que ce soit dans l’espace public mais aussi dans l’espace privé. La diffusion en question peut être commerciale ou non, physique (comme la presse ou les livres) ou publiée en ligne, sur un site internet ou sur les réseaux sociaux par exemple. 

Il est important de signifier que ce n’est pas parce que la diffusion ne vous rapporte pas de rémunération, comme par exemple publier votre photo sur votre votre site internet ou sur les réseaux sociaux, qu’elle ne porte pas préjudice à la personne photographiée et que vous ne serez pas poursuivi et condamné.

Si la personne photographiée vous donne son accord, il est important qu’elle puisse signer une décharge datée et parfaitement détaillée sur les conditions de diffusion. Il n’est pas aisé d’avoir sur soi des décharges et de les faire signer à chaque personne photographiée. Il existe donc heureusement des exceptions au droit à l’image. Celles ci sont liées au droit à l’information, à la liberté d’expression et à la liberté artistique et culturelle. Mais quelle que soit l’exception, il ne faut pas que la photographie en question soit dégradante pour la personne photographiée.

D’où vient le droit à l’image ?

Si les procès contre les photographes ont explosé dans les années 90, les condamnant presque quasi systématiquement, il est important de rappeler que ce droit n’est pas récent. C’est sur le fondement du droit au respect de la vie privée que le droit d’auteur est né. On peut notamment citer le jugement Rachel de 1858, lorsque le tribunal civil de Seine a empêché la diffusion de dessins et de photographies de l’actrice Rachel Félix sur son lit de mort, sur le fait que « nul ne peut, sans le consentement formel de la famille, reproduire ou livrer à la publicité les traits d’une personne sur son lit de mort, quelle qu’ait été la célébrité de cette personne, et le plus ou moins de publicité qui se soit attaché aux actes de sa vie ». Un fait qui a contribué à l’édification de la jurisprudence sur le droit à l’image. Car le droit à l’image résulte bel et bien des analyses jurisprudentielles qui a beaucoup évolué ses deux dernières décennies.

2 – Photographier les personnes

Vous l’avez compris, photographier un groupe de personnes, ou une ou quelques personnes isolées n’aura pas la même incidence juridique. Si vous ne voulez pas user votre temps à « effacer » toutes les personnes photographiées sur Photoshop, même si cela peut-être un parti pris artistique tel que l’a très bien fait le duo de photographes Brodbeck & de Barbuat avec sa série « Silent World », il faut vous assurer que vos prises de vue respectent le droit à l’image et le respect à la vie privée.

Dans l’espace public

Vous devrez toujours faire signer une autorisation de la ou des personnes photographiées si elles sont identifiables, sauf si vous vous trouvez dans une exception au droit à l’image.
Par exemple, si vous souhaitez photographier une personne publique dans l’exercice de ses fonctions ou couvrir une manifestation, les autorisations ne sont pas nécessaires, par contre, si vous photographiez une personne de manière isolée dans la foule, et si elle est clairement reconnaissable, il faudra vous assurer d’avoir son autorisation. 
Attention au délais de diffusion, en particulier sur le droit à l’information, le temps de publication doit être cohérent, si vous publiez par exemple deux ans après l’événement photographié, il sera difficile de vous défendre avec l’exception au droit à l’information, qui n’est plus de fait une actualité et n’entretient plus de lien légitime entre l’événement et la personne photographiée. 

Si vous êtes un auteur et que vous photographiez une personne dans le cadre de votre pratique artistique, vous pouvez bénéficier de cette exception au droit l’image, mais uniquement dans le cadre d’un usage artistique : pour une exposition, pour la vente de tirages numérotés et signés (n’excédant pas les 30 exemplaires) ou pour la publication d’un livre d’art…
Qu’elle que soit l’exception au droit l’image, il est essentiel de veiller à ce que l’image diffusée en question ne porte pas atteinte à la dignité ou à l’intégrité de la personne photographiée. La preuve étant à la charge du plaignant.

En cas de litige, l’accord à l’amiable est toujours à privilégier, ainsi si une personne que vous avez photographiée vous demande le retrait de son image en cas de publication sur internet ou sur les réseaux sociaux, supprimez-la.
Car selon la loi, diffuser la photographie d’une personne sans son accord est passible d’un an d’emprisonnement et de 15 000 € d’amende, de 45 000€ si la personne est photographiée dans un lieu privé.

Les lieux privés

Généralement, dans le cas où vous êtes amené à photographier une personne dans un lieu privé, il ne sera généralement pas trop difficile d’obtenir une attestation signée. Il faut veiller à ce que le document soit le plus complet possible pour éviter les déconvenues futures (voir dernier chapitre de cet article).

Dans le cas d’un modèle pour des photographies de nus, il est essentiel d’avoir des décharges signées pour toute utilisation de diffusion. Exploiter et diffuser l’image d’une personne dénudée constitue une véritable atteinte à sa vie privée, les conséquences peuvent être importantes. 
Il est également très encouragé d’inviter vos modèles à venir accompagnés. Cela permet d’installer de la confiance et du professionnalisme entre vous et votre modèle.

Dans le même article 9 du code civil, les domiciles sont également protégés par le droit au respect de la vie privée. Il est donc impossible de publier les images du domicile d’une personne identifiée avec sa localisation sans son consentement, au risque de porter atteinte à sa vie privée. Vous pouvez photographier la personne à son domicile sans communiquer sur son adresse et en veillant à avoir une décharge.

Les personnes mineures

La diffusion de photographies d’enfants est un sujet particulièrement sensible et une nouvelle loi du 19 février 2024 vient d’être votée pour apporter un meilleur respect du droit à l’image des enfants. Cette loi détermine notamment que toutes les décisions relatives au droit à l’image sont prises en commun par les parents dans le respect du droit à la vie privée du mineur et en l’associant aux décisions le concernant. Si vous photographiez des personnes mineures, dans le but d’une diffusion ou d’une exploitation commerciale, vous devez obtenir l’accord des parents. S’il s’agit de votre enfant, veillez à ce que le second parent soit également d’accord pour l’utilisation de la photographie. 
Pour les personnes mineures, il n’existe aucune exception au droit à l’image.

Pour les personnes majeures, comme les personnes handicapées placées sous tutelle, il faut obtenir l’autorisation écrite de leurs représentants légaux. Il est important de rappeler que les photographies ne doivent en aucun cas nuire à la dignité de la personne photographiée.

Et les œuvres d’art originales ?

En tant que photographe, vous êtes sans doute déjà sensibilisé au respect des droits d’auteur, ainsi personne ne peut, sans votre accord (avec ou sans rémunération) exploiter vos photographies. Alors sachez que vous pouvez, parfois malgré vous, ne pas respecter ce droit. Si vous réalisez un portrait, il peut y avoir aux alentours de la personne photographiée une œuvre originale protégée par le droit d’auteur, comme du mobilier et des œuvres d’art (tableaux, photographies, sculptures…). Vous devrez faire des demandes d’autorisation et probablement devoir vous acquitter de droits.

3 – Photographier les lieux

Voici un petit tour d’horizon de ce que vous devez savoir lorsque vous photographiez des lieux, qu’ils soient publics ou privés, que ce soit en ville ou à la campagne, vous conformer pleinement au droit et ainsi éviter de possibles risques.

New York © Jo Wiggijo

Les biens ont-il un « droit à l’image » ?

Tout comme les personnes physiques, les biens sont également protégés. Le propriétaire d’un bien (immeubles, maisons…) peut s’opposer à l’exploitation et à la diffusion d’une photographie, mais il va devoir prouver que l’image en question crée un préjudice. C’est là toute la difficulté d’anticiper, car le préjudice est laissé à l’interprétation des tribunaux. 
Heureusement, il existe une exception, une jurisprudence appelée théorie de l’accessoire qui précise que si le bâtiment photographié est en arrière plan, cela ne constitue pas une violation de l’image du bien. Cela concerne également les sculptures ou œuvres d’art installées de manière permanente sur ou autour du site photographié avec l’exception au panorama, qui est une exception au droit d’auteur dans le code de la propriété intellectuelle. 
Pour les bâtiments publics, la reproduction est libre mais l’utilisation à des fins commerciales vous oblige à faire une demande d’autorisation pour son exploitation, comme l’édition de cartes postales, de posters ou de tirages à plus de 30 exemplaires. Une autorisation n’est pas forcement coûteuse, cela peut être gratuit, mais elle vous garantira de pouvoir utiliser vos photographies comme vous le souhaitez.

■ En ville

Vous êtes un adepte de la street photography et vous aimez photographier la ville, alors voici les différents éléments auxquels vous devez faire attention, qui se trouvent principalement dans le respect du droit d’auteur.

 – Dans votre champs de prise de vue, s’il y a une œuvre d’art installée de manière permanente (œuvres architecturales, sculpture, street art…) et à moins qu’elle soit dans le domaine public (soit 70 ans après l’année de la mort de son auteur), pour ne pas à avoir à demander une autorisation, vous devez vous assurez que l’élément fasse partie d’un ensemble et qu’il ne compte pas comme sujet principal (théorie de l’accessoire). Attention cependant, si l’utilisation se fait dans un cadre commercial, cette exception au droit d’auteur ne s’applique pas.
 – S’il y a un bâtiment public, la reproduction est libre mais dans le cadre d’une utilisation commerciale, une autorisation est exigée.
– Déterminez bien le sujet principal de votre photographie, s’il s’agit d’un bâtiment ou d’une œuvre protégés par le droit d’auteur, veillez à obtenir les autorisations nécessaires.
– Si une personne est reconnaissable, mais que la photographie n’engendre aucune conséquence d’une particulière gravité, vous n’êtes pas tenu d’avoir une autorisation écrite, dans le cadre de l’exception à la liberté d’expression artistique.
Si vous êtes photographe documentaire et photojournaliste, alors vous pouvez bénéficier de l’exception d’actualité et du droit à l’information. Veillez à ce que la publication de votre image en termes de délai reste dans la logique d’actualité.

La Tour Eiffel © Oliver Zühlke

Il existe de petites exceptions à connaître comme par exemple pour photographier la tour Eiffel. Vous pouvez diffuser une photographie de la célèbre tour de jour, qui est un monument libre de droit puisqu’entré dans le domaine public. Par contre, de nuit, il vous faudra demander l’autorisation et vous acquitter des droits concernant l’éclairage, qui lui est protégé par le droit d’auteur.

■ Hors des villes

Qu’en est-il de la campagne ? Peut-on photographier les paysages, les bords de mer ? Fin des années 90, toute la profession avait été secouée par l’affaire du puy du Pariou. Suite à la parution d’une photographie de leur volcan dans une publication, les propriétaires attaquaient « au nom de l’absence d’autorisation préalable et d’un trouble de jouissance ». Vous l’aurez donc compris, les paysages sont également soumis à des règles précises. Des procès, il y en a eu d’autres, mais heureusement aujourd’hui à moins de prouver que la diffusion de l’image crée un « un trouble anormal » entrainant un préjudice sur la jouissance des biens, les photographes ont la liberté de photographier ce qui les entoure. Certains lieux sont règlementés comme les parcs naturels par exemple, veillez donc à obtenir les autorisations nécessaires.

Urbex © Peter H

■ L’Urbex

Depuis les années 80, en France et en particulier en Ile-de-France, on a vu se développer toutes sortes d’expéditions dans des lieux abandonnés ou interdits pour réaliser des photographies toujours plus étonnantes : cette pratique s’appelle l’urbex, contraction de « urban » et « exploration ». Certains photographes se sont même spécialisés dans le genre, comme le photographe Thomas Jorion pour ne citer que lui. En termes de « droit » il est difficile de protéger la diffusion de vos images, dans la mesure où il est interdit de s’introduire dans ces lieux. Le problème principal dans cette pratique reste le fait de s’exposer à des poursuites pour violation de domicile dans le cas de lieux privés, puni de 2 ans de prison et 30 000 euros d’amende.
Dans ce type de procédés interdits, telles que les expéditions dans les catacombes de Paris, il existe des « codes » spécifiques à respecter, comme ne jamais divulguer l’endroit photographié, ne pas forcer l’entrée du bâtiment, ne rien casser et ne rien voler. Si vous publiez des photos qui permettent de localiser et d’identifier le lieu, vous vous exposez à des poursuites de la part du propriétaire.

■ À l’étranger

Tout ce qui est décrit dans cet article concerne uniquement le droit français, il s’applique uniquement sur notre territoire. Si vous devez réaliser des photographies à l’étranger, n’hésitez pas à vous renseigner auprès du pays de destination. Certaines règles peuvent changer. Le droit à l’image n’existe pas partout, mais en France nous bénéficions tout de même d’une certaine liberté de photographier. Dans certains pays, vous pourrez être amené à payer des droits pour photographier un lieu (sites touristiques ou religieux) de manière officielle ou officieuse. Soyez toujours respectueux des gens que vous photographiez et rangez votre appareil lorsque les sites précisent spécifiquement une interdiction de photographier.
Gardez en tête qu’une personne à l’étranger peut tout à fait engager une procédure contre vous, même si vous résidez en France et que la photographie y a été publiée.

4 – Modèle d’autorisation

Pour vous protéger au mieux et si vous ne rentrez pas dans les exceptions au droit à l’image, veillez à rédiger une décharge la plus détaillée possible. Voici une fiche pratique sur les éléments à clairement notifier dans votre document à faire signer.

Cette autorisation écrite est un contrat et doit être signée par les deux parties, la personne photographiée et le photographe. Concernant le droit fondamental lié à la vie privée, il est important de restreindre ce contrat, il serait abusif de faire signer une décharge pour des usages illimités, et illégal de le faire pour une durée indéterminée. Il est donc important de bien détailler tous les usages que vous souhaitez en faire. Gardez bien les coordonnées de chaque personne photographiée, au cas où vous auriez la nécessité de demander une nouvelle autorisation, pour un nouvel usage ou pour le prolongement du délais d’autorisation par exemple.


Exemple d’une autorisation de l’utilisation de l’image d’une personne photographiée

 :

Je soussigné(e)… Nom de la personne photographiée
Né(e) le … à ….
Demeurant au…
Téléphone et email …

Autorise (Nom du Photographe) à reproduire et à diffuser la ou les photographie(s) me représentant réalisée(s) le (date)… à …(lieu).
La ou les photographies pourront être reproduites pour les usages suivants (faire liste des utilisations prévues), sur les territoires (France, Europe, Monde…) pour une durée de (nombre années)… ans à compter du jour de la signature du présent contrat.

Fait à …
Le…
En deux exemplaires
Signature de la personne photographiée
Signature du photographe


Pour aller plus loin… 


L’avocate Joëlle Verbrugge met à jour régulièrement son guide depuis 2013 pour faire face aux évolutions juridiques autour du droit à l’image. En voici la dernière édition. 
Droit à l’image et droit de faire des images – 3e édition – le livre de Joëlle Verbrugge. Collection Les Guides Compétence Photo. 35€
https://www.joelle-verbrugge-avocat.com/publications/

A LIRE
Épisode V : Le droit à l’image et la photographie Entretien avec Lucie Tréguier, avocate associée cabinet Aœdé

Ericka Weidmann
Après des études d'Arts Appliqués et de photographie, elle rejoint un magazine en ligne consacré à la photo en tant que directeur artistique, poste qu'elle occupera pendant 10 ans. En 2010, elle s'installe comme DA en indépendant. En parallèle, elle devient responsable éditorial pour Le Journal de la Photographie et c'est en septembre 2013 qu'elle co-fonde le quotidien L’Oeil de la Photographie pour lequel elle est rédactrice en chef jusqu'en septembre 2016 avant de fonder 9 Lives magazine ! Ericka Weidmann est également journaliste pigiste pour d'autres médias.

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