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Partager Partager Temps de lecture estimé : 12minsLe Centre d’Art Contemporain de Genève qui a fêté ses 50 ans en 2024, va quitter l’emblématique Bâtiment d’Art Contemporain (BAC) du Quartier de Bains, tout comme le MAMCO et le Centre de la photographique et propose, le temps de cette rénovation, une large programmation hors-les-murs et numérique (future école d’art dans le cadre du 5ème étage) que nous détaille Andrea Bellini, directeur du CAC. Fidèle à ses missions, le centre va soutenir différents projets en lien avec des partenaires locaux (le Plaza) et internationaux comme pour la future Biennale de l’Image en Mouvement (BIM) qui se délocalise à Tunis avec la Fondation Kamel Lazaar. De plus, une grande exposition sur l’art italien des années 1960 à nos jours est prévue avec le MAXXI de Rome. Mais pour l’heure l’exposition de l’artiste afro-brésilien Antonio Obá qu’Andrea Bellini a découvert lors la Biennale de São Paulo, préfigure le futur projet avec l’association brésilienne Pivô. Andrea Bellini, qui signe par ailleurs un livre au vitriol sur l’art contemporain « Storie dell’ arte contemporana », a répondu à mes questions. Prefiguration and modelling of next BAC, Genève photo Kuenh Malvezzi Andrea Bellini, directeur Centre d’Art Contemporain Genève photo : Mathilde Agius Quelle a été la genèse de l’exposition d’Antonio Obá ? Comme souvent, cette exposition est née d’un voyage à l’étranger, d’une pérégrination à la recherche de l’art et de l’inspiration. J’ai été invité à São Paulo, au Brésil, pour voir la dernière biennale. J’ai visité des galeries d’art privées, des associations, des ateliers d’artistes et des musées. C’est à cette occasion que j’ai vu l’exposition personnelle d’Antonio Obá à la Pinacothèque de São Paulo. Je connaissais l’œuvre, mais seulement de manière superficielle. Ce fut une révélation ; en visitant l’exposition, je me suis dit qu’organiser une exposition personnelle d’Antonio Obá serait une belle manière de clôturer le programme du Centre d’Art Contemporain Genève au sein du bâtiment d’art contemporain (BAC). La dernière exposition avant une fermeture de 4 ans, si tout se passe bien, bien sûr. Les expositions de peinture que j’ai réalisées au cours des douze dernières années se comptent sur les doigts d’une main, non pas parce que je n’aime pas la peinture, mais au contraire parce que je respect profondément ce médium. Beaucoup d’artistes peignent aujourd’hui, mais ceux qui semblent avoir quelque chose à dire et qui ont une façon originale de le faire sont très rares. Exhibition view of Rituals of Care by Antonio Obá at Centre d’ArtContemporain Genève (October 30, 2024-February 16, 2025). © Centre d’Art Contemporain Genève. Photo: Annik Wetter Qu’est-ce qui se joue dans cet univers sacré qui, au-delà de sa poésie, traite de la représentation et de la mémoire de l’identité brésilienne ? Antonio Obá est un artiste afro-brésilien qui se sent investi de la responsabilité historique de représenter son peuple et, d’une certaine manière, de raconter son histoire. Il s’agit d’une histoire « tragique » liée à la traite des esclaves, organisée par les principales puissances européennes à l’époque moderne. Arrachés à leur pays d’origine, ils ont tout perdu : leur histoire, leur famille, leur langue, voire leur nom. Ce traumatisme collectif est profond dans la diaspora africaine : il est l’acte originel d’une violence inacceptable, d’une histoire qui suinte le sang et la douleur par tous les pores. Comment se réconcilier avec cette histoire tragique ? Quels souvenirs évoquer face à ce passé ? Et surtout, quelle place donner au présent et à l’avenir ? La mémoire personnelle ; la mémoire collective ; le rôle et les fonctions du corps noir dans la peinture ; la capacité à pardonner ; l’importance d’affirmer une dimension spirituelle, élevée, mystique de l’existence dans la perspective d’une religion syncrétiste qui associe le panthéon de la culture yoruba à des éléments du christianisme ; la fierté, la noblesse, la foi et le courage; le besoin de prendre les rênes et de devenir maître de son destin : tels sont les thèmes fondamentaux de la recherche picturale d’Antonio Obá. Ces thèmes, qui semblent si importants aujourd’hui, sont représentés avec un langage figuratif de grande qualité, capable de se mesurer courageusement à l’histoire de l’art du passé (l’art baroque du Minas Gerais avec les sculptures d’Aleijadinho et les peintures de Mestre Ataíde, ainsi que l’art traditionnel chinois), mais aussi à la peinture moderne européenne (Rubens, Rembrandt, Rousseau, Félix Vallotton), aux peintres nord-américains du XIXe siècle comme Horace Pippin et David Hockney, ainsi qu’à des artistes européens comme Gerard Richter. Bref, voilà un peintre unique, qui peint en percevant le sens moral – presque religieux – de sa mission. Exhibition view of Rituals of Care by Antonio Obá at Centre d’ArtContemporain Genève (October 30, 2024-February 16, 2025). © Centre d’Art Contemporain Genève. Photo: Annik Wetter Parmi les projets soutenus pendant la période du déménagement, une exposition collective “Jardins Défiants” est prévue Halle Nord automne 2025 : quels en sont les contours ? Nous avons décidé de soutenir ce projet à Halle Nord, car le jardin nous semble être un sujet très actuel. Aujourd’hui, quand on parle de l’avenir, tant celui de la planète que de notre espèce, il est certain que notre rapport à la nature est d’une importance capitale. De nombreux artistes se consacrent à ce thème, et l’exposition, conçue par Elise Lammer, est un point de vue intéressant sur cette vaste question. Avec quel état d’esprit envisagez-vous le nouveau chapitre du CAC ? Le bâtiment dans lequel j’ai réalisé des dizaines d’expositions ferme ses portes et, en même temps, un nouveau chapitre intéressant s’ouvre pour notre institution. Je pense qu’il est passionnant d’être confronté à de nouvelles limites, comme l’absence de nos espaces institutionnels, à condition que nous sachions nous réinventer. La plus grande erreur serait de continuer à faire ce que nous avons fait jusqu’à présent, évidemment dans une version réduite car nous ne pourrons jamais compenser (même économiquement) les espaces actuels de l’historique bâtiment d’art contemporain mis gracieusement à disposition par la Ville de Genève. Cette fermeture nous donne l’occasion d’expérimenter de nouvelles façons de faire des expositions, de faire de l’éducation, de faire de l’activité culturelle. Le Plaza Installation ChristianRobert Tissot © Raphaelle Mueller Parmi les expositions prévues avec des institutions partenaires pendant la période de fermeture il y a notamment une exposition collective sur l’art italien du 20e siècle en co-production avec le Musée MAXXI (Rome) : pouvez-vous nous en décrire les enjeux ? quelles œuvres sélectionnées ? C’est la première idée d’exposition que j’ai eue, au milieu des années 1990, alors que j’étais encore étudiant en philosophie. Je ne l’ai pas encore réalisée parce que j’attendais le bon moment. Il fallait collaborer avec une grande institution italienne. Lorsque j’ai proposé l’exposition à Francesco Stocchi, directeur du MAXXI à Rome, il a tout de suite été enthousiaste. « Hilarotragoedia, comique et anti-tragique dans l’art italien, des années 1960 à nos jours » (titre provisoire) est un vaste projet pluridisciplinaire dont l’objectif est de mettre en évidence ce que Giorgio Agamben appelle « l’intention anti-tragique tenace » de la tradition culturelle italienne. Entre 1974 et 1976, le philosophe italien a étudié, avec Italo Calvino et Claudio Rugafiori, un projet de revue dans laquelle une section devait être consacrée aux structures catégorielles de la culture italienne : comédie/tragédie, architecture/vagance, langue maternelle/langue morte, biographie/fable, style/matière. Dans l’essai « Comedia », publié plus tard dans le volume « Categorie Italiane » (1996), Agamben analyse la paire catégorielle comédie/tragédie en la condensant dans un cas exemplaire : les raisons pour lesquelles Dante a choisi d’intituler son poème « Divina Comedia ». Le titre comique a été, selon Agamben, mûrement réfléchi car il implique pour Dante une prise de position sur une question essentielle : la culpabilité ou l’innocence de l’homme devant la justice divine. L’histoire de la culture italienne, depuis le Moyen Âge, semble profondément imprégnée de la composante anti-tragique. Ce thème imprègne et détermine aussi profondément l’art du XXesiècle : les artistes italiens ont exprimé dans leurs œuvres non seulement une haute idée du comique, comme un ricanement moqueur face à la tragédie, mais aussi un dépassement de la nature tragique de la vie par la référence au comique et à l’ironie. À la lumière de ces considérations, notre intention est de souligner la spécificité et la particularité que revêtent les thèmes du comique et de l’autodérision également dans le contexte de la pensée féministe. En bref : avec ce projet, j’aimerais proposer une interprétation de l’art italien qui dépasse les catégories de l’Arte Povera et de la Trans-avant-garde. L’art italien est beaucoup plus complexe qu’il n’y paraît à travers ces deux mouvements, dans lesquels il n’y a – hélas – qu’une seule femme, Marisa Merz. Il est temps de réécrire l’histoire de l’art italien des 50 dernières années, et, d’une certaine manière, cette exposition en a l’ambition. Exhibition view BIM 2024, A Cosmic Movie Camera, at Centre d’Art Contemporain Genève.Photos: Mathilda Olmi© Centre d’Art contemporain Genève La Biennale de l’Image en Mouvement se délocalise à Tunis : comment avez-vous conçu le projet ? En 2022, à l’invitation de Lina Lazaar, directrice de la Fondation Kamel Lazaar, le Centre a montré à Tunis une sélection d’œuvres de la Biennale de l’Image en Mouvement de Genève. Réfléchissant à la fermeture de notre bâtiment (où se tient historiquement la Biennale), j’ai proposé à Lina d’organiser ensemble la prochaine édition de la Biennale à Tunis. Le pays est très intéressant, situé dans une zone géopolitique clé, et je pense que c’est un lieu extraordinaire pour cette manifestation. Nous nous entendons très bien avec Lina Lazaar, nous travaillons ensemble depuis un certain temps sur ce projet. Nous avons invité six commissaires à sélectionner les artistes avec nous. Il s’agira d’une biennale composée de jeunes artistes de la plus haute qualité. Je ne peux pas en dire plus pour le moment. Exhibition view BIM 2024, A Cosmic Movie Camera, at Centre d’Art Contemporain Genève.Photos: Mathilda Olmi© Centre d’Art contemporain Genève Une collaboration est envisagée avec l’association Pivô Sao Paulo, quelle forme prendra-t-elle ? Cette exposition est encore en construction, c’est pourquoi je préfère ne pas en parler pour le moment. L’automne prochain, je me rendrai à São Paulo pour voir la Biennale et travailler avec Fernanda Brenner (fondatrice et directrice de Pivô) sur cette exposition, prévue pour 2027. Autre nouveauté du volet éducation, le 5ème étage accueille une école d’art en ligne à partir de 2026 : comment cela est-il rendu possible ? L’idée est née d’une conversation que j’ai eue avec un ami, le jeune philosophe Federico Campagna, qui sera également le directeur de l’école. Ces dernières années, professeurs, artistes et universitaires ont beaucoup discuté de la nécessité de repenser l’enseignement de l’art. Jusqu’au siècle dernier, on allait à l’Académie des Beaux-Arts pour apprendre à dessiner, à graver ou à sculpter. Aujourd’hui, il semble plus complexe d’apprendre à devenir artiste. Est-il possible d’apprendre à être un artiste ? Quels sont les aspects importants à prendre en compte ? Que faut-il enseigner et pourquoi ? Ici, avec notre école d’art en ligne gratuite et ouverte à tous les publics, nous essayons de poser (aussi) ces questions, tout en sachant pertinemment que les réponses sont toujours limitées et temporaires. Mais poser de bonnes questions, avec l’aide de philosophes, d’anthropologues, de conservateurs, d’artistes, est déjà une manière intéressante de développer la pensée et de stimuler les artistes. Avec « Storie dell’ arte contemporana » satire du monde de l’art, quel message voulez-vous transmettre ? Je ne pense pas avoir eu un message particulier à transmettre. J’ai écrit ce livre par nécessité intérieure. Je suis heureux qu’il existe parce, car il rend ma position dans le monde de l’art plus complexe, il me donne une chance de vivre avec certaines des choses du monde de l’art que je trouve les plus indigestes : la vanité, l’arrogance, le snobisme, la superficialité, la fausse culture. Kundera a écrit un jour que les bons livres sont plus intelligents que leurs auteurs. Je pense qu’il avait raison, je pense que ce livre – dans sa complexité satirique et psychologique – est plus intelligent que moi. Je le laisse vivre dans le monde, je le laisse libre de représenter mes passions, mes idiosyncrasies, mes contradictions, mon désir constant d’être ailleurs et d’être autre chose. A noter pour celles et ceux qui ne peuvent faire le voyage à Genève que l’artiste Antonio Obá bénéficie à Paris d’une exposition à la galerie Mendes Wood DM qui le représente. INFOS PRATIQUES : Antonio Obá | Rituals of Care Expositions terminées Centre d’Art Contemporain de Genève Pendant le déménagement : les axes de la programmation Cinéma & évènements Automne (dates à venir) Les Anti-nymphs, une proposition de Giovanna Zapperi Un programme de projections, performances et conversation sur la mythologie ancienne révisée dans une perspective féministe. Lieu : Plaza Centre Expositions 2025-2028 : Bourses de la Ville de Genève, au Commun 2026 : Exposition au MAXXI, Rome 2026 : BIM à Tunis 2027 : Exposition au Musée Rath & plusieurs autres collaborations locales / internationales à venir Activité numérique : 5e étage The Cosmos Academy of Art & Philosophy : une école d’art en ligne gratuite https://centre.ch/fr Le livre d’Andrea Bellini (AnimaMundi) €20.00 https://www.animamundiedizioni.com/prodotto/storie-dellarte-contemporanea Marque-page0
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