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Pour sa troisième carte blanche, notre invité, Jean-Denis Walter, fondateur de la première galerie dédiée à la photographie de sport, nous dévoile sa photographie de sport préférée. Il s’agit du KO de Cleveland Williams par Mohamed Ali immortalisé le 14 novembre 1966 à Houston par le photographe américain Neil Leifer. Un cliché d’une rare intensité à la composition étonnante d’un des plus grands championnats du monde de poids lourds. Un tirage que propose la galerie en plusieurs formats pour les passionné·es de boxe et de photographie.

On me pose souvent la question :
Quelle est votre photographie préférée dans ce que vous proposez ? Si vous ne deviez en garder qu’une ? Celle que vous emmèneriez sur une île déserte pour la punaiser sur un palmier ?
Ma réponse est toujours la même :
Le Ali-Williams overhead de Neil Leifer.

Son auteur est une légende de la photographie de sport. Ce new-yorkais a fait toute sa carrière au magazine Sports Illustrated. Repéré à 16 ans, parce qu’il avait fait LA photographie du Superbowl 1958, le touch down victorieux des Baltimore Colts contre les Giants de New York.
Il en a retenu une leçon qui lui servira toujours. En photographie de sport, le placement du photographe est primordial.
Il avait réussi cette photographie parce qu’il était le seul photographe placé face et près du joueur des Colts, Alan Ameche, lorsque celui-ci a marqué.
Il avait obtenu cet emplacement par roublardise. Il n’avait que seize ans et ne pouvait évidemment pas être accrédité puisqu’il n’était pas photographe professionnel. Il en était encore à rêver de le devenir. Neil avait trouvé un stratagème. Il s’était inscrit sur les listes des bénévoles qui poussaient les fauteuils de gens handicapés au bord du terrain et il le faisait boitier autour du cou. Personne ne pouvait être mieux placé que lui sur cette action. Ameche avait marqué quasiment à ses pieds. C’est ainsi qu’a commencé sa carrière longue de soixante ans.

Mais revenons à notre mouton. Le 14 novembre 1966 à l’Astrodome de Houston, Mohamed Ali va affronter Cleveland Williams. Neil Leifer se souvient :
« Ce n’est pas un combat primordial, mais c’est la première fois que l’Astrodome accueille ce type d’événement. J’ai tout de suite constaté que la rampe d’éclairage n’était pas placée à la hauteur habituelle. Généralement suspendue à 6/7 mètres, elle était cette fois-ci installée à 25 mètres. Ça changeait tout ! Pour la première fois, il était possible de faire des photos non
seulement des boxeurs mais du ring tout entier et même des premiers rangs de spectateurs. J’ai mis plus d’une journée à installer mon appareil, à le coordonner avec les batteries et les flashs. J’ai utilisé un Hasselblad et la seule focale possible : un 50mm. J’avais une pédale à pied pour recharger les lumières. Dix secondes étaient nécessaires contre trois au bord du ring. J’ai bien sûr eu beaucoup de chance, je ne pouvais pas prévoir que le knock down du 2 ème round aboutirait à une telle géométrie des corps et des attitudes. »

Mais le défi ne s’arrête pas là. Il fallait trouver un moyen de déclencher à distance et même de faire avancer le film dans le boitier. Il a réussi à le faire avec un système basé sur fil creux dans lequel il envoyait de l’air comprimé. Mais c’est un Hasselblad, les pellicules font douze vues. Il lui faut rester calme, ne pas s’emballer, attendre…

Ali – Williams overhead © Neil Leifer / Galerie Jean-Denis Walter

L’image finale est incroyable. Ali les bras levés et son adversaire au sol avec une parfaite symétrie des bras. La diagonale parfaite… Ça il ne pouvait l’imaginer
Vous pouvez passer un temps fou à en fouler chaque détail et à découvrir des détails nouveaux. Les juges, la presse et les premiers rangs de spectateurs VIP. Rien ne vient polluer l’image : ni les micros, ni l’arbitre, parfaitement à sa place. Les couleurs sont irréprochables, le blanc immaculé du ring, vierge de toute publicité, domine. A l’époque, l’usage prévoyait même que le tenant
arbore un short blanc et le challenger un noir. Le tout fait une oeuvre extrêmement pure.

Une photographie magistrale, absolument parfaite dans sa construction graphique, un véritable miracle, où, cerise sur le gateau, son auteur apparait (en chemise bleue en haut à gauche).
C’est pour tout cela que cette photo est unique. Elle est pour moi, et je pèse mes mots, la plus extraordinaire image de l’histoire de la photographie de sport. Neil a toujours mesuré sa chance même s’il l’avait fortement provoquée. Il est toujours reste très humble par rapport à ça. Tu vois m’avait il dit un jour : « Si j’avais déclenché un dixième plus tard, Ali aurait fait un pas de plus et il serait masqué par le micro d’ambiance. La photographie n’existerait pas. »

https://www.jeandeniswalter.fr/

La Rédaction
9 Lives magazine vous accompagne au quotidien dans le monde de la photographie et de l'Image.

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