Temps de lecture estimé : 8mins

Après « Fata Morgana », la 2ème édition du festival du Jeu de Paume confiée cette année à la commissaire Jeanne Mercier propose de réinscrire nos imaginaires dans des paysages débarrassés d’un certain nombre de clichés et inscrits dans une réflexion sous-jacente autour d’enjeux environnements et politiques. « Paysages mouvants » se vit comme une traversée à la fois engagée et fictionnelle d’une histoire marquée par des réalités extractivistes et migratoires qui évolue vers le conte, la fable et le merveilleux, la nature devenant une métaphore à habiter. Ces multiples strates sensorielles repoussent toujours plus les limites de l’image et se poursuivent à l’occasion de trois week-ends festifs autour de performances et expériences multiples.

De nombreuses œuvres ont été conçues à l’occasion du festival. Jeanne Mercier revient sur les composantes de ce récit et les partis pris qui l’ont guidé pour réunir les 15 artistes et concevoir la programmation en résonance.

Jeanne Mercier photo Baptiste de Ville d’Avray

Co-fondatrice de la plateforme Afrique in visu, Jeanne Mercier est commissaire et critique depuis 2006, basée entre l’Europe et l’Afrique. Commissaire d’exposition, Jeanne Mercier, a co-fondé Afrique in visu, plateforme autour du métier de photographes en Afrique en 2006. A travers différentes collaborations, expositions, workshops, projets avec la presse ou l’édition, elle s’est attachée pendant 15 ans à réfléchir à la déconstruction des stéréotypes liés au continent africain avec différents artistes et photographes comme Baudouin Mouanda, Joana Choumali, Nicola Lo Calzo, Omar Victor Diop, Sammy Baloji ou encore Lebohang Kganye.
A travers des commissariats en solo ou en collectifs, elle s’attache à l’évolution de la pratique de l’image élargies, photographies, vidéos, installation. Elle a collaboré avec de nombreux festivals et institutions en France comme à l’étranger : l’ENSAD Paris, le 18 à Marrakech, l’Institut des Cultures d’Islam (ICI) à Paris, le Fotofestiwal à Lodz, la Fondation Zinsou à Cotonou, le Festival Kerkennah en Tunisie, le MACAAL à Marrakech… ou différents ouvrages, comme récemment, Une Histoire Mondiale des Femmes Photographes (Ed. Textuel, 2020).

Julien Lombardi
Planeta, installation : photographies et sculpture, 2025
© Julien Lombardi

Comment avez-vous accueilli cette proposition du Jeu de Paume ?

J’avoue avoir été surprise par la proposition de Quentin Bajac et flattée d’être invitée à imaginer une exposition dans tous les espaces du Jeu de Paume et une programmation festive sur 3 week-ends. J’étais alors dans un tunnel avant la naissance d’un bébé quelques mois après. J’ai donc accepté tout en spécifiant que je n’étais pas immédiatement disponible. Deux mois après tout s’est mis en place ! C’est bien parfois de ne pas trop réfléchir avant de se lancer.

Richard Pak
Soleil vert, tirage photographique, 2023, de la série L’île naufragée
© Richard Pak

Mónica De Miranda
Path to the Stars, installation vidéo, lumière, lettres métalliques, 2022
© Mónica De Miranda

Quels partis pris scénographiques pour imaginer le parcours ?

J’ai imaginé le parcours sur les 2 étages comme une traversée autour d’une histoire à partir d’éléments qui me paraissaient intéressants et de paysages naturels, comme la glace et le feu de l’œuvre de Julian Charrière à l’entrée de l’exposition. L’idée est de se laisser porter, traverser par ces paysages jusqu’à la dernière œuvre qui nous transporte au 26ème siècle. L’idée était d’offrir à chacun des artistes un mini solo show avec un espace défini pour pouvoir déployer des projets inédits pour 8 d’entre eux ou revisités entièrement pour les autres.

Nous basculons dans l’imaginaire autour du merveilleux avec notamment l’œuvre de Leonard Pongo : pouvez-vous nous la décrire ?

Leonard Pongo est belgo-congolais né en 1988, il basé entre Kinshasa et Bruxelles. Il travaille depuis 5 ans sur le sujet « Tales from the source ». A travers cette installation sous forme d’une projection, de voiles imprimées et d’un textile tissé à partir d’une de ces images, il nous entraine dans une boucle à la fois sonore à travers des musiques et rythmes kasaïens et de la tradition Luba, et sensorielle. L’idée est d’imaginer le Congo, mis en péril par des logiques extractivistes liées au cuivre notamment, non plus comme une ressource mais comme une source du monde. Il invite les spectateurs à imaginer ce lieu non pas uniquement comme une jungle mais avec des volcans, une forêt, des rivières, des cascades comme le nombril et le point de naissance de l’univers.

Eliza Levy. Les Hospitaliers, installation immersive : projection, son, fragrance, banc, masques, chêne, ombre, 2025 © Eliza Levy. Avec le soutien du Jeu de Paume et l’aimable contribution de ses Bienfaiteurs.

Eliza Lévy avec l’installation « Les Hospitaliers » propose un espace-conte : pouvez-vous nous le décrypter ?

L’œuvre s’inscrit dans les projets qui s’apparentent au registre du merveilleux comme avec Leonard Pongo, Yo-Yo Gonthier autour des nuages que l’on traverse pour arriver à ce paysage à habiter d’Eliza Levy. Réalisatrice, Eliza a conçu en 2014 le court métrage « Kairos » avec Reda Kateb dont on voit une image géante projetée. Cette image est composée de photographies prises dans les Cévennes associée avec des images de montagnes du géographe et explorateur allemand Humboldt. L’artiste convoque dans cette sorte de mythologie à la fois des odeurs comme celle du genévrier et ce chêne centenaire mort de sécheresse dans la région de l’artiste à Arles. Elle a vu dans cet arbre comme un dragon qu’elle met en lumière à travers tout un jeu d’ombres projetées au sol et sur les branches. Elle pose la question de notre relation au vivant et d’une possible reconnexion avec ce qui nous entoure. Eliza collabore depuis longtemps avec l’anthropologue Philippe Descola que l’on retrouve lors du week-end du 7-8-9 mars dans le cadre de la programmation festive.

Laila Hida
Le Voyage du Phoenix – Copie d’une Copie, installation : vidéos, sculptures et photographies, 2025
© Laila Hida

Mounir Ayache
The Scylla/Charybdis Temporal Rift Paradox, 2025.
Installation : soieries, bras robotisé, vidéo, lumières leds et Uvs (détail).
© Mounir Ayache

L’installation de Mounir Ayache clôt le parcours : qu’est-ce qui se joue au milieu de ces dunes ?

Artiste franco-marocain né en 1991 et basé à Marseille, Mounir Ayache revendique l’arabo futurisme. L’œuvre « the Scylla/Charybdis Temporal Rift Paradox » nous plonge au 26ème siècle en guise de conclusion de l’exposition pour imaginer un futur en l’occurrence désertique animé de deux forces contraires l’une progressiste, l’autre conservatrice qui débattent. Cette installation évolutive est constituée à la fois d’un bras de suspension qui sert à la fabrication de moteurs de voitures, de dunes réalisées en collaboration avec les ateliers de la maison Hermès, qui sont rétro éclairées et de tout un jeu avec l’intelligence artificielle. Mounir Ayache propose une performance en complément dans le cadre de la programmation festive.

Quels temps forts autour de ces trois week-ends festifs ?

Pour le week-end inaugural, le 7 février était notamment proposé : la performance de Mounir Ayache et les projections des films des artistes Driss Aroussi et Yo-Yo Gonthier.
Le week-end du 7 mars est organisé autour des sens avec des performances olfactives avec l’artiste Julie C Fortier et des performances culinaires entre l’artiste Prune Phi et la chef Céline Pham dans les salles d’exposition, tandis que le dernier week-end, le 21 mars, plus axé jeune public, propose des séances pour les adultes de mentalisme pour visualiser le paysage et un spectacle céleste pour les enfants.

Liste des artistes : Mounir Ayache – Julian Charrière – Edgar Cleijne – Ellen Gallagher – Yo-Yo Gonthier – Laila Hida – Eliza Levy – Julien Lombardi – Andrea Olga Mantovani – Mónica De Miranda – Richard Pak – Mathieu Pernot – Prune Phi – Léonard Pongo – Thomas Struth
Catalogue Édition Jeu de Paume
Prix de vente : 35 €
(disponible à la librairie)

Programmation
Week-end festifs :
De la Terre jusqu’au ciel
Éveillez vos sens
Nouveaux mythes
https://jeudepaume.org/evenement/festival-du-jeu-de-paume-paysages-mouvants

À LIRE
Jeanne Mercier est notre invitée de la semaine

INFORMATIONS PRATIQUES

ven07fev(fev 7)10 h 00 mindim23mar(mar 23)19 h 00 minPaysages mouvantsFestival du Jeu de Paume Jeu de Paume, 1, place de la Concorde 75008 Paris


AUSSI

ven07fev(fev 7)10 h 00 minven28(fev 28)19 h 00 minKourtney Roy et Mathias DelplanquePrix Swiss Life à 4 mainsJeu de Paume, 1, place de la Concorde 75008 Paris


BIENTÔT AU JEU DE PAUME

ven11avr(avr 11)10 h 00 mindim21sep(sep 21)19 h 00 minLe monde selon l’IAJeu de Paume, 1, place de la Concorde 75008 Paris

Marie-Elisabeth De La Fresnaye
Après une formation en littérature et histoire de l'art, Marie de la Fresnaye intègre le marché de l'art à Drouot et se lance dans l'événementiel. En parallèle à plusieurs années en entreprise dans le domaine de la communication éditoriale, elle créé son blog pour partager au plus grand nombre sa passion et expertise du monde de l'art contemporain et participe au lancement du magazine Artaïssime.

You may also like

En voir plus dans L'Interview