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Xavier Barral, au-delà de son amour pour la photographie et l’édition, était un passionné de sciences naturelles. Il n’était pas du genre à faire des collections, privilégiant toujours la singularité de l’auteur, et pourtant il décide en 2017 de faire une exception en créant Des Oiseaux, une collection qui nous raconte le monde des volatiles à travers le regard et l’univers d’un ou une artiste photographe. À l’occasion de la sortie du 16ème titre consacré à Sebastião Salgado, nous avons rencontré Nathalie Chapuis et Philippe Séclier, les co-directeurs de cette collection à succès dont la quasi totalité des titres ont été réimprimés.

À gauche : portrait de Nathalie Chapuis © Atelier EXB
À droite : Portrait de Philippe Séclier © Olivier Corsan

Ericka Weidmann : Peut-on revenir à l’initiative de ce projet ?

Nathalie Chapuis : En tant qu’éditeur photo, nous recevons beaucoup de photographes, celles et ceux qui sont proches de la maison mais aussi d’autres que nous découvrons. Xavier avait un goût personnel pour les sciences naturelles, et il s’était rendu compte que dans les images que l’on voyait, il y avait toujours un oiseau quelque part. L’idée de cette collection est partie de cette observation, d’aller chercher cette thématique un peu inconsciente, de la part de ces photographes qui ne sont ni paysagistes ni animaliers. On a donc demandé aux photographes proches de la maison d’édition de rechercher dans leurs travaux, des oiseaux. Ce qui les obligeait à regarder leurs images sous un autre angle. C’est comme ça que les deux premiers, Bernard Plossu et Penti Sammallathi ont été choisis. La collection a été mise en place en octobre 2018 pour une sortie au printemps, au départ nous en éditions quatre par an pour asseoir la collection, aujourd’hui, nous en publions deux. Malheureusement Xavier nous a quittés en février de l’année suivante. Il a pu suivre la production des premiers (avec Terri Weifenbach et Yoshinori Mizutani), mais il ne les as pas vu finalisés.

E.W. : Comment s’opère le choix des photographes ?

N.C. : Au départ nous appelions les photographes que nous connaissions, aujourd’hui, nous partons vraiment à la recherche de nouvelles signatures. 
Il est important d’avoir des variations, là nous venons d’éditer Sebastião Salgado, précédemment c’était Paolo Roversi, ce sont des grands noms, donc la prochaine sera plus confidentielle. Ce que l’on recherche avant tout c’est une démarche d’auteur, ce n’est pas une collection de photographies animalières.

Philippe Séclier : Et on se rend compte que ce n’est pas si facile que ça de faire de bonnes, des belles photos d’oiseaux. On essaye maintenant d’avoir des regards très singuliers. Parfois, il y a des hasards heureux. C’est le cas avec la photographe australienne Leila Jeffreys par exemple. Cela remonte à quelques années, j’étais sur un stand à Paris Photo, et j’ai été happé par une photo d’oiseau. La galerie m’a confirmé que l’artiste en question n’avait pas de série sur les oiseaux, mais m’a en revanche donner le nom de Leila qui, elle, travaille beaucoup sur ce thème-là. Et c’est comme ça qu’on a fait sa connaissance.

Michael Kenna, Quatre oiseaux, Saint-Nazaire, France, 2000. Épreuve gélatino-argentique, 20x20cm. Collection de l’artiste, 2005 © Michael Kenna

E.W. : Comment arrivez-vous à vous renouveler avec un thème si réduit ?

N.C. : C’est justement la précision du thème qui nous oblige à explorer toujours plus pour chercher la singularité. On a envie d’être le plus représentatif possible des territoires, s’ouvrir à de nouveaux continents. Veiller à ce qu’il y ait des pluralités de regards avec des photographes du Japon, d’Amérique latine, des États-Unis, d’Océanie ou encore d’Afrique du Sud, et ne pas se limiter à l’Europe.
Il faut que la signature photographique soit très forte, c’est fondamental. Quand on a travaillé avec Paolo Pellegrin par exemple, c’était vraiment surprenant puisque c’est un photographe de guerre. C’est l’agence Magnum qui nous a parlé de l’une de ses séries totalement inconnue, une série d’aigles qu’il a photographiés lors d’une résidence à Kyoto. Cela nous a en plus permis d’intégrer une espèce d’oiseau que nous n’avions pas.
On tente vraiment de croiser les sphères géographiques et les signatures photographiques pour raconter ce qu’est le monde des oiseaux et voir comment chacun nous le révèle.

Paolo Pellegrin, Kyoto, Japon, 2019. Tirage piezographie, 90x120cm. © Paolo Pellegrin / Magnum Photos

E.W. : Comment se déroule la réalisation d’un ouvrage de la collection ?

P.S. : C’est un échange qui se construit avec le photographe. On édite la sélection envoyée par le photographe, on essaye de construire des histoires. Parfois, on s’aperçoit qu’il peut y avoir parfois des manques, l’artiste intervient rapidement avec de nouvelles images et parfois certains produisent spécialement pour la collection, c’est le cas par exemple de la photographe japonaise, Rinko Kawauchi.

Rinko Kawauchi, Sans titre, de la série « Under the same sky », 2020. Tirage lambda, 80x120cm. © Rinko Kawauchi

N.C. : Nous avions déjà collaboré avec elle, la collection existait depuis quelques années déjà, elle l’a connaissait bien et nous a proposé de réaliser un sujet inédit en photographiant le spectacle offert par les hirondelles à Chiba, lors de la saison des naissances.
La collection a une charte précise, elle a toujours le même format, à peu près toujours le même nombre de pages, mais à chaque fois, la maquette change. Donc c’est une espèce de non-collection, car chaque ouvrage s’adapte à l’univers du photographe dans le choix des papiers, du type d’impression et dans la mise en place des images.

Manchots à jugulaire (Pygoscelis antarctica), détroit de Fridtjof, mer de Weddell, péninsule Antarctique, 2005 © Sebastião Salgado

E.W. : Vous venez de publier le 16ᵉ titre avec Sebastião Salgado, une première pour vous avec ce photographe. Comment s’est déroulé ce projet ?

N.C. : Cela faisait très longtemps que nous voulions travailler avec Sebastião Salgado. Il s’avère que nous sommes voisins, il est à deux rues de nos bureaux. La rencontre s’est formidablement bien passée, au début il nous avait dit qu’il n’avait pas beaucoup de photos d’oiseaux, finalement cette idée d’intégrer la collection l’a poussé à aller plus loin dans ses recherches, pour se rendre compte finalement qu’il avait plus de mille images ! Au début, il ne voyait pas les oiseaux dans ses photos, il a du reconsidérer ses images et nous a proposé un editing formidable. Nous sommes très heureux, car malgré sa carrière et sa reconnaissance, la moitié des images du livre sont inédites.

P.S. : Il n’y a pas que des photos d’oiseaux d’Amazonie, c’est même qu’une part infime de ses images. Il y a un effet boule de neige, comme si on tirait un fil à chaque fois. Et c’est le principe de cette collection pour arriver à un résultat inespéré et magnifique.
Salgado nous a confié une centaine d’images. On en a éliminé pour lui proposer une première sélection avec laquelle il a été quasiment d’accord à 100%. Il a ajouté une image qu’il avait réalisée plus récemment, et c’est celle qui fait la couverture.

Groupe de manchots royaux (Aptenodytes patagonicus), Géorgie du Sud, 2009 © Sebastião Salgado

E.W. : Quel public pour cette collection ?

N.C. : C’est une bonne question parce que cette collection est à entrée multiple, et on est d’ailleurs très heureux de cela, car c’est à la fois notre public habituel averti, mais aussi un public plus large, très curieux, que le thème touche. Ces livres abordent un sujet plutôt universel, à un prix abordable (longtemps resté à 35 € avant de passer à 39€ face à l’augmentation du coût du papier). On a profité d’une grande visibilité grâce à l’exposition itinérante que nous avons initiée qui a débuté à Toulouse et à Bruxelles en 2022 et qui s’est poursuivie en Suède et aux Pays-Bas en 2023. L’exposition s’apprête d’ailleurs à revenir en France l’année prochaine à Clermont-Ferrand, dans une version augmentée. Nous avons eu beaucoup de succès parce que le thème est assez facile, il faut le reconnaître, mais aussi parce que cela permet de diversifier les publics. Il y a à la fois le public érudit qui connait le travail des photographes, et puis ceux qui aiment la nature et qui découvrent le regard de ces artistes qui ne sont pas, il faut le rappeler, des photographes animaliers. Et c’est ça qui est étonnant. Et puis n’oublions pas le public de collectionneurs pour toutes nos éditions limitées vendues avec un tirage de tête signé et numéroté par les artistes.

E.W. : Pensez-vous à la fin de cette collection ?

P.S. : Ce n’est pas d’actualité, mais si un jour on décide d’arrêter, on sait avec qui on travaillera pour le dernier titre de la collection.

N.C. :
On ne peut pas vous dévoiler son nom, mais c’est une artiste avec qui on collabore souvent, qui connaît la collection et qui un jour nous dit qu’elle voulait faire le dernier, avec une idée très précise de ce qu’elle voulait faire.

Albarrán Cabrera, The Mouth of Krishna, #853, 2019. Tirage pigmentaire sur papier gampi et feuille d’or, 16x25cm. © Albarrán Cabrera

E.W. : Et pouvez-vous nous dévoiler les prochains noms de la collection ?

N.C. : Pour le prochain, on travaille avec Nathalie Baetens qui est une photographe un peu moins connue. Son ouvrage sort au printemps. C’est une série de nids récoltés notamment au Muséum d’histoire naturelle, et c’est très étonnant parce qu’en fonction de l’espèce, les oiseaux fabriquent leur nid de manière totalement différente. Quand elle nous a montré son sujet, nous étions totalement fascinés par ces petits habitats, on dirait réellement de l’architecture, c’est extrêmement beau. Et c’est un sujet qu’on n’avait pas encore dans la collection.

INFORMATIONS PRATIQUES
Sebastião Salgado
Des oiseaux
Atelier EXB
Relié, 20,5 x 26 cm
112 pages 47 photographies N&B
ISBN : 978-2-36511-418-9
39€
En savoir plus
https://exb.fr/fr/home/654-des-oiseaux-sebastiao-salgado.html

À VOIR ACTUELLEMENT PROCHAINEMENT

ven24jan(jan 24)15 h 00 minsam15mar(mar 15)17 h 00 minSebastião SalgadoGenesis PlatinumGalerie Polka, 12, rue Saint-Gilles 75003 Paris

sam01mar10 h 30 mindim01jui18 h 30 minSebastião SalgadoŒuvres de la collection de la MEPLes Franciscaines, 145B, avenue de la République 14800 Deauville

ven04avr(avr 4)10 h 00 mindim09nov(nov 9)18 h 00 minSebastião SalgadoAmazôniaTour & Taxis, 86C Avenue du Port, 1000 Bruxelles


ven11avr(avr 11)14 h 00 minsam07jui(jui 7)19 h 00 minDes OiseauxExposition collectiveHôtel Fontfreyde - Centre photographique, 34, rue des Gras 63000 Clermont-Ferrand

Cet entretien a été publié dans le numéro #376 de Réponses Photo.

Ericka Weidmann
Après des études d'Arts Appliqués et de photographie, elle rejoint un magazine en ligne consacré à la photo en tant que directeur artistique, poste qu'elle occupera pendant 10 ans. En 2010, elle s'installe comme DA en indépendant. En parallèle, elle devient responsable éditorial pour Le Journal de la Photographie et c'est en septembre 2013 qu'elle co-fonde le quotidien L’Oeil de la Photographie pour lequel elle est rédactrice en chef jusqu'en septembre 2016 avant de fonder 9 Lives magazine ! Ericka Weidmann est également journaliste pigiste pour d'autres médias.

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