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Pour la troisième carte blanche de notre invité·e singulière, la revue FemmesPHOTOgraphes, c’est Maud Veith qui prend la plume. Elle a choisi de retracer son parcours depuis ses débuts en photographie à l’âge de 17 ans et de nous parler des rencontres qui ont sont venues ponctuer sa carrière. Des rencontres qui orientent nos choix et nous ouvrent à de nouvelles perspectives. Il est ici question d’inspiration avec des femmes photographes, telles que Nan Goldin ou Diane Arbus. Après cette aventure éditoriale avec la revue FemmesPHOTOgraphes, Maud souhaite poursuivre à travailler en collectif…

Dix-sept ans. Une tante photographe m’initie au laboratoire. C’est mon premier contact avec la photographie et un amour immédiat pour cette pratique me suivra jusqu’à présent. Je découvre la force de la couleur avec Nan Goldin, lors d’une exposition à Beaubourg en 2003. Premier choc photographique. Je suis transportée par sa sincérité, la proximité avec laquelle elle photographie et rend hommage à sa famille choisie. Fenêtres, auto-portraits à deux, ami.es en toute intimité, images de mer à la tombée du jour… Beaucoup de ses images marqueront mon imaginaire et mon rapport à celleux que je photographie. L’acte photographique est pour moi un acte de douceur. Certaines amitiés me suivent depuis ma naissance et le travail de Nan Goldin m’a donné l’impulsion à photographier ces liens. Je suis heureuse d’avoir rencontré son travail si tôt.

Ces gamins là © Maud Veith

Des années plus tard, je suis invitée à réaliser cinquante-cinq portraits de rue pour la Maison de la Culture d’Amiens. Un mois de résidence in situ, travail que je réalise en argentique. Accompagnée du livre Une chronologie (journal de Diane Arbus aux édition La Martinière), que je relis une seconde fois. Edité à l’occasion de la rétrospective au Jeu de Paume en 2011, ce livre regroupe les correspondances qu’elle a entretenu avec son entourage. Elle se livre de façon intime sur son lien aux modèles, sur ce qui la pousse à photographier. Diane Arbus deviendra mon mentor, m’orientera dans mes déambulations et rencontres au quotidien. Elle répondra à certaines des questions que je me pose sur le rapport photographiant / photographié. Elle me donnera la force de consacrer du temps et un certain acharnement aux rencontres avec les personnes que je veux à tout prix approcher et photographier. Ce travail de portrait de rue, solitaire et obsédant se fera avec elle.

J’avais très envie de les approcher, il fallait donc que je leur demande de se laisser photographier.
On ne peut pas s’approcher si près d’une personne sans prononcer un mot, quoique je l’ai fait.

– Diane Arbus, 1972

Mathilde, Amiens © Maud Veith

Avec Marek Gressier nous allons voir l’exposition de Claudia Andujar à la fondation Cartier « La lutte Yanomami ». Ce travail a été réalisé auprès de communautés Yanomami en Amazonie au Brésil pendant plus de trente ans d’allers et retours. L’exposition présente de nombreux portraits noir et blanc serrés, mais aussi des scènes de chasses, des scènes de transe, des dessins réalisés par les habitant.es du village où elle a habité. Puis l’arrivée des pistes d’aéroport, des orpailleurs, de chantier de constructions des routes. La conséquence de l’arrivée des blancs dans la vie quotidienne des Yanomami : arrivée de l’alcool, des maladies, d’une violence nouvelle … On comprends au fil des photos que Claudia Andujar s’est choisi et a été choisi par ces familles. Ses portraits sont d’une profonde douceur. Cette délicatesse à la prise de vue adoucit la violence sous-jacente, une relation proche de celle que j’avais ressentie avec Nan Goldin et les photographié.es, celle qui m’avait vivement touché.
Après des mois au village des Yanomami, Claudia Andujar écrira Je ne comprends peut-être pas tout et je n’en ai pas la prétention. Je n’en ai pas besoin, il me suffit d’aimer. Je fais moi-même des allers retours depuis 2008 au Pérou. J’y ai aussi rencontré une famille, les habitant.es du quartier de Comas, à Lima, qui ont monté une compagnie de théâtre de rue communautaire. Les projets au très long cours me paraissent nécessaires pour atteindre la profondeur des personnes photographiées.

¡Rue Balanza! © Maud Veith

La chambre noire et les photographies noir et blanc m’accompagnent, toujours. Je découvre en 2012 le projet de la goélette Tara¹, bateau d’expédition scientifique, en développant des films pour un marin rencontré sur un défilé de mode. Pour rejoindre ce projet, je passe des diplômes de marin. A trente ans, j’embarque sur Tara pendant quatre ans. J’aime penser que sur la mer il y a la promesse d’un monde où chacun.e aurait sa place et où l’humanité, la solidarité, restent une évidence. Et qu’il n’y a pas de frontières en pleine mer.
Quelques années plus tard, je suis photographe à bord de l’Aquarius, bateau de sauvetage de l’ONG SOS MEDITERRANEE². J’embarque à deux reprises, et en 2018, nous sommes bloqué.es devant Malte pendant plus d’une semaine, en attente de la décision d’un port de débarquement. Une imprimante de poche m’accompagnant, j’imprime des portraits aux personnes rescapées du bord, des séances de pose s’improvisent sur le pont et nous aident à passer le temps. Marquer un temps en transition, entre deux continents, entre deux étapes de vies, et le tirage devient un outil de partage.

Sur la construction de la dernière revue FemmesPHOTOgraphes, je rencontre le très beau travail de Diana Markosian, et en particulier sa série « The big sea »³ dans laquelle elle photographie des enfants exilés qui, arrivés en Allemagne, prennent des cours en piscines pour vaincre leur peur de l’eau après les conditions de traversées traumatisantes.

N., Hussain et Waleed, Ils arrivent pieds nus par la mer © Maud Veith

La fin de huit ans de travail en collectif avec la revue FemmesPHOTOgraphes est un tournant, et me donne envie de continuer d’avancer à plusieurs. Avec deux photographes, Valentina Camu⁴ (publiée dans la revue FemmesPHOTOgraphes à trois reprises), et Nathalie Bardou⁵ nous décidons aujourd’hui de mettre en commun pour travailler sur les femmes et l’exil. Nous souhaitons contribuer à changer le regard patriarcal dominant porté sur ces femmes, dans un contexte actuel de durcissement des politiques migratoires. À travers nos trois approches, l’envie est de raconter l’histoire de femmes agissantes, “ni victimes, ni héroïnes”.

¹ https://fondationtaraocean.org/
² https://sosmediterranee.fr/
³ https://www.dianamarkosian.com/the-big-sea
https://www.valentinacamu.com/
https://nathaliebardou.com/

En savoir plus :
http://www.maudveith.com

La Rédaction
9 Lives magazine vous accompagne au quotidien dans le monde de la photographie et de l'Image.

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