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Cet architecte devenu photographe, Viktor Balaguer a fait de Saint-Pétersbourg son terrain d’exploration artistique. À travers des clichés mêlant poésie et réalisme, il immortalise l’ordinaire sous une lumière cinématographique, révélant les contrastes d’une ville où l’héritage impérial côtoie les vestiges soviétiques. Présentée à l’EST Galerie, cette première exposition en France dévoile des scènes urbaines saisissantes, oscillant entre ombres hivernales et reflets lumineux, et invite à redécouvrir le quotidien sous un angle profondément humain. À voir à Paris du 13 au 19 février prochain.

© Viktor Balaguer / Galerie EST

Pourquoi as-tu choisi de t’installer à Saint-Pétersbourg, et comment cette ville a-t-elle influencé ta vision artistique et ta pratique photographique ?

J’ai découvert la photographie à Saint-Pétersbourg, initialement pour montrer à mes parents la beauté et l’intérêt de cette ville. J’ai eu l’opportunité d’y travailler, et je suis immédiatement tombé amoureux de son atmosphère unique. Depuis ce moment, je n’avais qu’une idée en tête : m’y installer. Saint-Pétersbourg est devenue une véritable source d’inspiration pour moi. Sa richesse historique, combinée à ma passion pour l’histoire et la littérature russe classique, m’a poussé à explorer la ville sans relâche. Je passais mes journées à arpenter ses rues, à découvrir des lieux et à prendre des photos, d’abord sans prétention, juste pour le plaisir d’être là. C’est dans ses rues que j’ai véritablement appris la photographie. Cette ville m’a non seulement formé sur le plan artistique, mais elle m’a aussi profondément transformé. Elle occupe une place spéciale dans ma vie et dans ma démarche artistique.

Quels ont été les moments ou les expériences marquantes de ton parcours artistique ?

En 2021, j’ai réalisé un petit livre photo dans un style road trip, accompagné de textes, sur un voyage entre Mourmansk et Teriberka, un village situé sur les côtes de la mer de Barents, dans l’Arctique russe. Ce projet, entièrement personnel, m’a permis d’expérimenter toutes les étapes, de la création à la vente. À travers cette expérience, j’ai appris à organiser mes photos en série et à construire un récit visuel cohérent. J’ai également vécu plusieurs voyages marquants qui ont fait évoluer ma pratique photographique. Par exemple, au Daghestan, dans le sud de la Russie, j’ai sans le vouloir commencé à explorer le documentaire. Entre les paysages, les villes et les rencontres humaines, ce voyage a été à la fois fascinant et très formateur. En 2024, deux moments particulièrement importants ont marqué mon parcours. D’abord, j’ai eu l’immense honneur de voir certaines de mes photos exposées au musée de l’Ermitage, à Saint-Pétersbourg. Ces photos, réalisées autour du musée, ont trouvé leur place à l’intérieur, un fait que je n’aurais jamais imaginé. Je garde un souvenir très vif du moment où, juste avant de prononcer un discours en français dans le théâtre de l’Ermitage, j’ai regardé par la fenêtre et aperçu dans la rue l’endroit précis où j’avais pris l’une des photos exposées. Ce fut un véritable circuit court. Le deuxième moment marquant fut ma participation à un forum sur le dialogue entre les cultures, un sujet complexe et crucial en 2024. Cet événement m’a permis de rencontrer des personnes et des artistes extraordinaires, dont certains sont devenus de véritables amis.

Y a-t-il une photographie ou un instant précis où tu as décidé de devenir photographe ?

C’était bien avant que je ne commence à m’intéresser sérieusement à la photographie. Je me souviens d’un moment en Normandie, à Barneville-Carteret, où j’étais avec mes parents. J’ai pris une photo toute simple : mon père marchant au loin sur une digue, avec la mer en arrière-plan. Une image minimaliste, presque ordinaire, juste une silhouette sur une digue. Pourtant, en capturant cette scène, j’ai ressenti qu’il était possible de raconter quelque chose à travers une photo. Ce sentiment m’a traversé sans que je lui accorde vraiment d’importance. Puis, la photographie est sortie de ma vie, jusqu’à ce que je m’installe à Saint-Pétersbourg. En y repensant aujourd’hui, je crois que ce jour-là, sans en avoir conscience, un déclic s’est produit. Cette simplicité d’une image capable d’évoquer une histoire a planté une graine qui n’a germé que bien plus tard.

© Viktor Balaguer / Galerie EST

Pourquoi utilises-tu souvent des silhouettes anonymes ou des personnages de dos dans tes compositions, et que cherches-tu à transmettre lorsque tu composes une scène ?

En Russie, les espaces sont immenses, qu’il s’agisse des villes ou des villages. J’aime intégrer des silhouettes dans mescompositions pour souligner l’échelle et la grandeur des lieux. Ces figures anonymes, souvent vues de dos, permettent de mettre en perspective la scène tout en laissant au spectateur la liberté d’interpréter l’image. Lorsque je compose une scène, je ne cherche pas nécessairement à raconter une histoire. Pour moi, une scène peut exister par elle-même, dans sa pureté et sa simplicité. Cependant, lorsque je travaille sur des séries de photos, il y a un véritable travail narratif. Les images dialoguent alors entre elles pour construire une histoire ou transmettre une émotion globale, mais toujours en laissant place à l’imaginaire de celui qui les regarde.

© Viktor Balaguer / Galerie EST

Comment les artistes, qu’ils soient photographes, peintres ou cinéastes, influencent-ils ton approche de la photographie, et quelles sont les inspirations majeures qui nourrissent ton travail visuel ?

Mon approche de la photographie est profondément nourrie par une variété d’influences artistiques. En photographie, des maîtres comme Fan Ho, Saul Leiter, et William Klein m’inspirent particulièrement. J’admire la poésie de la composition de Fan Ho, toujours douce et subtile. Saul Leiter, un incontournable dans la photographie de rue, a ouvert des perspectives, mais si je devais choisir, je pencherais pour Elliott Erwitt ou Fred Herzog, dont le travail m’évoque une forme de simplicité brillante. William Klein, avec sa capacité à explorer différents styles photographiques, reste une référence majeure, tout comme Harry Gruyaert, dont j’apprécie énormément l’usage de la couleur. Robert Doisneau, surtout avec son travail pour la marque Renault, est aussi une grande influence, car j’aime la manière dont il marie l’automobile à la photographie, créant des compositions d’une intelligence rare.

Dans le monde de la peinture, Degas et Toulouse-Lautrec sont des sources essentielles pour ma pratique. Toulouse- Lautrec, par son point de vue unique, m’inspire un regard discret et immergé dans la scène sans s’impliquer pleinement, une approche que j’adopte souvent dans ma photographie de rue, où l’idée est de capturer « comme si je n’étais pas là ». Quant à Degas, ses oeuvres sur le ballet sont fascinantes, mais c’est « Place de la Concorde » exposée à l’Ermitage, qui résonne le plus en moi. Cette peinture d’un moment quotidien, presque banal, me semble être une photographie avant l’heure — ou plutôt une photographie réduite à sa plus simple expression. Enfin, le cinéma, avec des cinéastes comme Andrei Tarkovsky, m’apporte une dimension supplémentaire. Son univers visuel, lent et contemplatif, influence la manière dont je perçois le temps et la lumière dans mes images. La peinture, surtout, demeure une des meilleures sources d’inspiration pour moi. Elle m’apprend à voir au-delà de ce qui est immédiat, à appréhender les scènes avec une autre sensibilité et une attention particulière à la composition et à l’atmosphère. Ces influences, qu’elles viennent de la photographie, de la peinture ou du cinéma, nourrissent continuellement mon travail, créant une rencontre entre différentes formes d’art pour donner naissance à des images plus riches et plus complexes.

© Viktor Balaguer / Galerie EST

Quelle place l’imprévu occupe-t-il dans ton travail ?

En photographie de rue, l’imprévisible est la règle. Il est presque impossible de savoir ce qui va se passer dans les cinq prochaines minutes ou même juste de l’autre côté de la rue. C’est précisément cet aspect qui rend cette pratique si fascinante. Même lorsque je travaille pour des clients ou des marques, où il faut suivre un plan précis, je m’efforce toujours de réserver du temps pour l’imprévu. C’est souvent dans ces moments inattendus que surgissent les images les plus authentiques et les plus marquantes.

Qu’est-ce qui te fascine dans l’art de transformer l’ordinaire en extraordinaire ?

L’art de transformer l’ordinaire en extraordinaire m’a toujours fasciné, car j’ai toujours eu une imagination vive, parfois un peu rêveuse. Avec un peu de créativité, d’idées et de technique, il est possible de saisir un moment banal et d’y insuffler de la poésie, de la beauté, de l’humour, voire de l’extraordinaire. Ce processus de transformation me passionne, car chaque scène, chaque instant, offre une infinité de possibilités. Ce qui rend cette approche encore plus fascinante, c’est de voir comment d’autres photographes interprètent une même scène, une ville ou un moment. Nos perceptions sont influencées par notre histoire personnelle, nos cultures, nos goûts, et même ce que nous aimons écouter ou regarder. Ces éléments façonnent notre regard. D’ailleurs, en voyageant, on développe cette attention particulière aux détails que personne d’autre ne semble voir, ce qui rend chaque instant unique et chargé d’une signification propre à chacun.

© Viktor Balaguer / Galerie EST

Que représente pour toi cette première exposition en France et qu’espères-tu transmettre au public français à travers elle ?

Cette première exposition en France est pour moi une opportunité unique de relier deux villes qui occupent une place très spéciale dans ma vie : Paris, où j’ai grandi, et Saint-Pétersbourg, où je vis désormais. C’est un véritable privilège de pouvoir présenter mon travail dans un tel cadre, en faisant le pont entre ces deux mondes que j’aime profondément. À travers cette exposition, j’espère offrir au public français un aperçu plus nuancé et humain d’un pays souvent méconnu, mais pourtant si proche de la France dans son histoire, sa culture et ses paysages. Mon objectif est de créer une ouverture, une fenêtre sur la Russie qui dévoile ses multiples facettes, parfois méconnues mais d’une grande richesse. C’est une invitation à voir ce pays sous un angle différent, loin des clichés, pour mieux comprendre ses nuances.

© Viktor Balaguer / Galerie EST

Quels défis as-tu rencontrés en tant que photographe autodidacte ?

La photographie, surtout au début, est un terrain rempli de défis. D’un point de vue technique, il faut apprendre à transformer une scène de vie banale en une image de rue captivante, éviter le désordre visuel tout en trouvant un équilibre. Il s’agit aussi de capturer l’humeur et l’âme d’une ville inconnue, d’entrer en résonance avec un lieu pour en révéler l’atmosphère à travers l’objectif.Puis, il y a l’autre face de la photographie, celle du métier. Comprendre comment se vendre, évaluer le coût d’un tirageou d’un projet, gérer les contrats avec les marques… Tout cela demande autant de compétences que de créativité. Se faire une place dans ce milieu est loin d’être simple, d’autant plus quand on vient d’un univers non artistique et qu’on évolue à l’étranger, comme moi en Russie. C’est un apprentissage constant, parfois exigeant, mais toujours passionnant. Chaque défi surmonté enrichit le parcours et donne un sens plus profond à la pratique.

INFORMATIONS PRATIQUES

jeu13fev(fev 13)10 h 00 minmer19(fev 19)19 h 00 minViktor BalaguerSymphonie en blanc majeurEST Galerie, 76 rue st Maur 75011 Paris

La Rédaction
9 Lives magazine vous accompagne au quotidien dans le monde de la photographie et de l'Image.

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