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Deux ans après sa disparition, le Jeu de Paume consacre au Château de Tours, une importante exposition rétrospective consacrée à la photographe italienne Letizia Battaglia (1935-2022). Si on connait principalement son travail sur la Cosa Nostra, la mafia sicilienne, son œuvre est colossale puisque ses archives sont composées d’un demi million de photographies ! Cette rétrospective vise à retracer le parcours hors du commun de cette photographe et activiste sicilienne. À cette occasion, les éditions Actes Sud viennent de publier sa biographie « Je m’empare du monde où qu’il soit » sous la plume de la journaliste et amie de la photographe, Sabrina Pisu.

Née en 1935 à Palerme, Letizia Battaglia décide de se marier tôt, à l’âge de 16 ans, pour fuir un père trop autoritaire. Mais son mariage, au cours duquel elle aura trois enfants, la confine à l’unique rôle de mère et de femme au foyer. À la fin des années 1960, elle décide de reprendre sa liberté : elle divorce et s’installe à Milan avec ses enfants. Attirée par l’écriture, elle se lance dans le journalisme et collabore avec plusieurs revues italiennes. C’est à cette période qu’elle découvre la photographie, un art qui deviendra sa vocation.

Quartier Saint-Pierre.
Palerme, 1976. Letizia Battaglia © Archives Letizia Battaglia

En 1974, elle retourne à Palerme pour prendre la direction de la photographie du journal L’Ora, un quotidien de gauche. La Sicile est alors en proie à des affrontements violents entre clans mafieux, et Letizia Battaglia se lance dans un travail de documentation sans concession. Pendant près de deux décennies, ses clichés saisissants témoignent des ravages de la mafia, tout en exposant ses propres risques face à cette violence omniprésente.

Boris Giuliano, chef de la Squadra mobile [Brigade mobile], sur les lieux d’un meurtre à Piazza del Carmine. Palerme, 1978. Letizia Battaglia © Archives Letizia Battaglia

C’est à ce moment là qu’elle confie dans sa biographie “Je suis née à 39 ans et suis devenue une personne à part entière à cet âge-là. C’est la photographie qui m’a réinventée en tant que femme, qui m’a donné une identité, une autonomie, en m’aidant à surmonter les peurs et les épreuves de la vie. L’appareil photographique est arrivé dans mes mains un peu par hasard, un peu par besoin, et il a ouvert les portes de ma prison intérieure. Il m’a fait découvrir la liberté et qui je suis vraiment. »

Via Calderai.
Palerme, 1991. Letizia Battaglia © Archives Letizia Battaglia

Mais son objectif ne se limite pas à la brutalité de la Cosa Nostra. Letizia Battaglia capture aussi la vie quotidienne dans toute sa complexité : des familles des quartiers les plus pauvres aux classes sociales aisées, des traditions religieuses aux scènes de rue empreintes de poésie. Elle s’intéresse particulièrement aux femmes et aux enfants, qu’elle place au cœur de son œuvre.

Les mystères. La colombe. Trapani. 1989. Letizia Battaglia © Archives Letizia Battaglia

Le tournant de sa carrière survient au début des années 1990, lorsqu’elle décide d’arrêter de couvrir les affrontements entre clans mafieux après l’assassinat de deux figures majeures de la lutte anti-mafia, les juges Giovanni Falcone et Paolo Borsellino, avec qui elle entretenait une grande amitié. En 2017, lorsque Palerme inaugure son Centre international de la photographie, Letizia Battaglia pose définitivement son appareil photo, laissant derrière elle un héritage visuel inestimable.

Une rétrospective majeure

L’exposition consacrée à Letizia Battaglia retrace son parcours exceptionnel, depuis ses débuts à Milan jusqu’à son engagement en Sicile dans les années 1970 et 1980. Elle met en lumière ses photographies les plus emblématiques, qui révèlent à la fois la violence d’une île marquée par la mafia et la richesse de sa culture. Parmi ses thèmes de prédilection, on retrouve les traditions siciliennes, les fêtes religieuses ou encore la vie insulaire dans toute sa diversité.

Sabina et Pippo amoureux. Prizzi, 1983. Letizia Battaglia © Archives Letizia Battaglia

Famille aux funérailles du fils mort à l’hôpital. San Vito Lo Capo, 1980. Letizia Battaglia © Archives Letizia Battaglia

L’exposition explore également des séries moins connues, comme son reportage dans un hôpital psychiatrique de Palerme, où elle combine engagement personnel et démarche artistique. En parallèle de son travail de photographe, Letizia Battaglia a également animé des ateliers pour les populations marginalisées, notamment les femmes et les enfants.

Au-delà de la Sicile, son regard s’est élargi à d’autres horizons. Dès les années 1980, elle parcourt le monde, capturant les paysages et les habitants d’Égypte, de Yougoslavie ou encore d’Union soviétique.

Cette rétrospective, simplement intitulée Letizia Battaglia, réunit près de 200 tirages, mêlant œuvres originales et impressions modernes. Elle offre une plongée dans l’univers d’une photographe dont le travail, à la croisée de l’art et du journalisme, reste une référence incontournable pour comprendre la Sicile et le monde.

INFORMATIONS PRATIQUES

jeu05déc(déc 5)14 h 00 min2025dim25mai(mai 25)18 h 00 minLetizia BattagliaJeu de Paume - Château de Tours, 25, avenue André Malraux 37000 Tours

ÉDITION
Je m’empare du monde où qu’il soit
Letizia Battaglia
Texte Sabrina Pisu
Éditions Actes Sud
Janvier, 2025
13.50 x 21.50 cm, 400 pages
ISBN : 978-2-330-19969-2
26.00€
https://www.actes-sud.fr/catalogue/photographie/je-mempare-du-monde-ou-quil-soit

Ericka Weidmann
Après des études d'Arts Appliqués et de photographie, elle rejoint un magazine en ligne consacré à la photo en tant que directeur artistique, poste qu'elle occupera pendant 10 ans. En 2010, elle s'installe comme DA en indépendant. En parallèle, elle devient responsable éditorial pour Le Journal de la Photographie et c'est en septembre 2013 qu'elle co-fonde le quotidien L’Oeil de la Photographie pour lequel elle est rédactrice en chef jusqu'en septembre 2016 avant de fonder 9 Lives magazine ! Ericka Weidmann est également journaliste pigiste pour d'autres médias.

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