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Chaos Calme, Marseille vue par Anne-Sophie Costenoble

Temps de lecture estimé : 5mins

C’est lors d’une exposition organisée à la galerie Le Pangolin (Marseille) que j’ai découvert le livre et la série d’Anne-Sophie Costenoble, Chaos Calme. Publié par Arnaud Bizalion éditeur, il est le fruit d’une résidence sur le territoire marseillais entre 2019 et 2022, initiée par William Guidarini. Le livre est accompagné de deux textes de grande qualité de Philippe Pujol et Marc Mawet.

© Anne-Sophie Costenoble

« Toi, tu n’es pas d’ici ! »

Non, elle n’est pas d’ici Anne-Sophie Costenoble quand elle débarque au quartier de La Cayolle. C’est une cité, un de ces espaces en déshérence coincé entre le parc national des Calanques et Marseille, délaissé et dangereusement réputé. Pourtant, elle en fait le lieu de sa recherche photographique. Il y a à voir, à connaître, à rencontrer dans ce petit monde.

Ce qu’il y a à découvrir d’ailleurs est bien éloigné des clichés de genre fait de scooters brûlés, de narcotrafiquants et de policiers de la BAC.

Une barre d’immeuble sur fond de nuages gris et les cheveux un peu fou d’une femme : on sent ici « la solitude. Une dignité. De la pudeur aussi. » pour reprendre les mots qui parsèment l’ouvrage. On croise des femmes voilées, d’autres cheveux au vent, des tatouages à l’encre bleutée par le temps, un gitan dont on a tué le coq de combat.

On se tasse dans des appartements exigus, on laisse place à ceux qui reviennent du pays, qui sortent de prison. Ce sont des mains qui offrent, qui tiennent, des pantoufles, des fragments minuscules de vies oubliées et écartées.

Pourtant, elle est la là vie, au fil des pages, à travers les photographies couleur ou noir et blanc.

© Anne-Sophie Costenoble

Chaos Calme, au-delà de la beauté de l’oxymore, porte avec ces deux mots toute la synthèse du travail photographique réalisé par l’auteure. Les médias, les politiques, la société résument régulièrement, pour ne pas dire systématiquement, la vie au sein des cités à un triumvirat simpliste fait de drogue, violence et radicalisme. Or, ce qui nous est donné à voir ici est bien éloigné des stéréotypes sur l’ensauvagement et « la racaille » pour reprendre les mots d’un politique au bracelet électronique tout neuf.

Face à nous, il y a des humains.

Cette phrase pourrait à elle seule résumer la totalité des pages.

Il y a des humains et rien d’autre. Parce que vivre à La Cayolle ne transforme pas immédiatement quiconque en monstre assoiffé de sang, d’argent et de stupéfiants.

Ces hommes, ces femmes, ces enfants qu’a rencontré, vers lesquels est allée Anne-Sophie, appartiennent à la même humanité que nous avec les mêmes désirs de joie, de bonheur, les mêmes chagrins, les mêmes douleurs, la même aspiration à aimer, à la différence qu’ils sont nés du mauvais côté de la barrière sociale, qu’ils sont projetés dans un univers plus pauvre, plus sombre, plus violent.

© Anne-Sophie Costenoble

On ne peut pas nier que ces quartiers souffrent de ces maux, les phrases que recueille et nous délivre la photographe en témoignent. Mais on ne saurait réduire tout ça à ça.

En ouvrant la porte de leurs appartements, en offrant le thé, des gâteaux, en ouvrant leurs cœurs et leurs âmes, une relation particulière se noue. On vit ici. On fume. On accroche aux murs des portraits des ancêtres. On se marie. On pleure. En bref, on est.

C’est toute la force et la beauté de ces portraits, de ces moments intimes : nous amener à décentrer notre regard, à regarder au-delà des déjà-vus, des présupposés. Il n’y a pas que des rodéos et des mortiers d’artifices tirés sur les CRS dans les quartiers « populaires ». Il n’y a pas que des films à grand spectacle qui encensent les policiers cow-boys. Il n’y a pas que des règlements de compte à la Kalachnikov.

Il y a ça.

Et tout le reste.

Surtout le reste.

© Anne-Sophie Costenoble

Anne-Sophie Costenoble a su se faire apprécier des habitants, a su tisser des liens invisibles et solides. Parce que son regard est sincère et honnête, parce qu’il est avant et surtout respectueux et départi de toute certitude, plein de curiosité et de sincérité.

C’est de ça dont nous avons maintenant besoin : du respect et du doute, d’amour de l’autre. Chaos Calme est là pour nous le prouver.

INFORMATIONS PRATIQUES
Chaos Calme
Anne-Sophie Costenoble
Graphisme, maquette – T’Ink Studio Bruxelles
19,5 x 22,5 cm
144 pages
68 photographies
ISBN 978-2-36980-112-2
35€
https://www.ascostenoble.be/
https://www.arnaudbizalion.fr
https://www.facebook.com/LePangolin131/?locale=fr_FR
https://www.williamguidarini.com/

Frédéric Martin
Frédéric Martin est photographe, son travail questionne l'intime, la relation à l'autre. Il a publié l'Absente chez Bis Éditions. Frédéric Martin écrit aussi des chroniques de livres de photographies dans lesquelles il cherche à valoriser tout autant le travail du photographe que l'objet livre. Elles sont à lire sur son site : www.5ruedu.fr

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