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À l’occasion de la célébration de l’année Ensor 2024, le FOMU Photomuseum transpose les thèmes de l’œuvre d’Ensor dans une optique artistique contemporaine. Comme Ensor, Cindy Sherman exprime son point de vue critique sur les conventions sociales à travers des masques et des déguisements. L’exposition est divisée en deux parties : Cindy Sherman Early Works, 1975 – 1980 et Cindy Sherman Anti-Fashion. La première offre une introduction claire aux éléments clés de l’ensemble de son œuvre. Et la seconde approfondit la fascination de Sherman pour la mode et le lien entre son travail indépendant et les commandes de cette industrie.

C’est pourquoi l’ensemble de cet opus offre une nouvelle perspective sur une artiste féminine décisive jamais encore exposée en Belgique et qui explore cinq décennies d’œuvres réparties sur plusieurs étages du musée.
Rein Deslé, curator au FOMU, nous présente la genèse de cet projet ambitieux en collaboration avec le studio de Cindy Sherman, Alessandra Napo de la Staatsgalerie et Gabriele Schor de la Verbund Collection.
Outre l’exposition Cindy Sherman, FOMU présente également une exposition de Dirk Braeckman dans laquelle il dialogue avec la collection de la FOMU. Rein Deslé nous décrypte les orientations de la collection de FOMU et de ses principaux engagements.

Marie de la Fresnaye. Quel est l’ADN de FOMU ?

Rein Deslé. Nous sommes un musée dédié au médium photographique, ce qui signifie que nous nous concentrons sur la photographie sous tous ses aspects, sur la manière dont elle peut vous séduire, être belle, mais aussi être un beau mensonge, un vilain mensonge, sur tous les mécanismes auxquels la photographie est confrontée en ce qui concerne ses relations avec la réalité. Telles sont les questions fondamentales que nous posons. La photographie est également un médium très démocratique, il est donc très important de réfléchir à qui peut y avoir accès et de faire des efforts très clairs pour les personnes qui n’ont pas l’habitude de venir dans les musées. Nous voulons inclure autant de personnes que possible, issues de milieux différents. Nous pensons que la photographie leur est ouverte. Nous avons également un public très jeune, ce que nous voulons vraiment continuer à développer.

MdF. Combien d’œuvres avez-vous dans la collection FOMU ?

RD. Nous disposons d’environ 4 millions de pièces. La Collection regroupe des photographies, des œuvres d’art, mais aussi des archives, des livres et une énorme collection d’appareils photo.

Dirk Braeckman, ECHTZEIT#044-23//AP, 2024 © Dirk Braeckman

MdF. Quelle est la genèse de l’exposition Dirk Braeckman ?

RD. Nous présentons des collections depuis le début, mais ce n’est que récemment que nous sommes partis de l’idée d’un commissaire invité pour nous concentrer sur les meilleures façons possibles de montrer certains aspects de la collection. Il y a quelques années, nous avons réalisé que nous voulions vraiment amorcer cette façon de regarder notre propre collection et inviter dans ce sens des artistes et des commissaires extérieurs afin d’avoir leur regard neuf sur cette collection et de la restituer au public de façon très différente, et pas seulement par le biais d’une présentation classique d’historien de l’art. La première présentation que nous avons faite l’année dernière avec Grace Ndiritu a été un point de départ très impactant, car elle a vraiment utilisé toutes les pièces de la collection et les a intégrées dans sa propre pratique artistique. La visite de cette exposition est devenue une expérience très intuitive et presque méditative ; il s’agissait d’une manière fraîche et nouvelle de concevoir une exposition, ce que les institutions et les conservateurs ne peuvent pas faire. Avec Dirk Braeckman, nous avons adopté une approche totalement différente, qui est également très intéressante. Pour « Echtzeit », il a créé de nouvelles œuvres inspirées des images vernaculaires qu’il a sélectionnées dans la collection de FOMU. Pour l’exposition de FOMU, il a travaillé pour la première fois avec la collection d’appareils photos existante. Braeckman a pris des photos des images choisies et les a imprimées. Il a ensuite surpeint, barbouillé ou troué les tirages. Il a photographié les résultats et les a traités dans sa chambre noire à la fois analogique et numérique.
Le processus de création de cette exposition a été très intense, nous avons beaucoup appris des artistes parce que nous avons travaillé au plus près de leur processus créatif. Ils considèrent ces expositions comme leur œuvre. Il est très intéressant pour nous d’ouvrir de nouvelles perspectives.

Untitled #414, 2003, Chromogenic color print © Cindy Sherman, Courtesy the artist and Hauser & Wirth

MdF. L’exposition Cindy Sherman au FOMU : genèse et point de départ

RD. Nous avons approché Cindy Sherman car nous voulions depuis longtemps faire une exposition avec elle. Après son accord, nous avons commencé à chercher un angle qui n’était pas une manière classique de la montrer. Nous avons découvert qu’elle réalisait alors l’exposition Anti-Fashion sur la base de recherches approfondies menées par Alessandra Napo et nous avons discuté avec elle à ses débuts. Nous avons vu l’exposition à Stuttgart il y a un an et demi et nous avons vraiment apprécié la façon dont elle en a assuré le commissariat. Nous voulions vraiment aller plus loin dans cette direction. C’est pourquoi nous avons alors contacté la collection VERBUND, qui détient des œuvres datant des premières années d’études de Sherman et dont on peut voir les principaux aspects ici. Nous avons ajouté une sélection tirée de Untitled Film Stills, car nous pensons qu’il est important que nos visiteurs en Belgique aient une idée de la profondeur des œuvres de Cindy Sherman. Pour mieux comprendre ses intentions et ses engagements à venir, ces premières œuvres sont essentielles.

Untitled #462, 2007/2008, Chromogenic color print © Cindy Sherman, Courtesy the artist and Hauser & Wirth

MdF. Le rapport de Cindy Sherman à la mode est relativement ambigu, n’est-ce pas ?

RD. Oui, tout à fait. Elle travaille avec l’industrie de la mode depuis le début des années 1980. Elle accepte des commandes de magazines, de boutiques ou de Maisons de couture, mais elle ne se contente pas de fournir des images de mode, elle crée des images qui vont complètement à l’encontre des conventions de l’industrie de la mode. Elle s’est battue contre les conventions surtout dans les années 80 et 90.

MdF. Cindy Sherman offre un miroir sur le médium lui-même

RD. Sherman a été l’une des premières artistes visuelles contemporaines à utiliser la photographie comme un médium artistique autonome. Je me réfère toujours à elle comme à une artiste, une artiste utilisant la photographie. Je pense que c’est ainsi qu’elle se présente, surtout dans les années 70, lorsque la photographie n’était pas encore acceptée. Il y avait différents mondes, d’un côté le monde de la photographie et de l’autre l’art contemporain. Elle n’en a jamais vraiment fait une différence. Elle utilise la photographie parce qu’elle pense que c’est un médium très intéressant en raison de sa complicité dans la création de ces stéréotypes dans la société. En utilisant ce médium, elle l’a également déconstruit d’une certaine manière.

MdF. L’importance de la scénographie et des couleurs

RD. Le choix a été intuitif. Pour Untitled Film Stills, nous voulions faire comme un clin d’œil au cinéma dans un pendant dynamique pour les Early Works. Pour Anti-Fashion, nous voulions des couleurs pastel pour renforcer l’impact des œuvres. Je pense que le résultat est excellent.

MdF. Quelle serait votre définition de la photographie ?

RD. Ce que j’aime vraiment dans la photographie, c’est sa capacité à mentir et tout ce qui en découle.
La photographie est un si beau mensonge !

Catalogue publié à l’occasion :
Cindy Sherman – Anti-Fashion par Hannibal Books. 184 pages, prix € 59. Disposible à la librairie-boutique du musée.

INFORMATIONS PRATIQUES :
– Cindy Sherman, Early Works 1975 – 1980
– Cindy Sherman, Anti-fashion
Jusqu’au 2 février 2025
Aussi :
– Dirk Braeckman « Echtzeit »
Jusqu’au 21 janvier 2025
FOMU, Musée de la Photographie Anvers
https://fomu.be/fr/expositions

Autres expositions Année Ensor à Anvers :
Ensor, Rêves fantasques/ KMSKA
https://kmska.be/fr/james-ensor
Masquerade, Make-up & Ensor/MoMu
Jusqu’au 2 février 2025
https://www.momu.be/fr/expositions/ensor

Organiser votre venue à Anvers :
https://visit.antwerpen.be/fr/activiteit/ensor-2024
https://www.visitflanders.com/fr
https://www.eurostar.com/fr-fr/train/paris-anvers

À LIRE
Interview Gabriele Schor, directrice fondatrice de la VERBUND Collection et commissaire de « Cindy Sherman – Early Works 1975 – 1980 » au FOMU (Anvers)

Marie-Elisabeth De La Fresnaye
Après une formation en littérature et histoire de l'art, Marie de la Fresnaye intègre le marché de l'art à Drouot et se lance dans l'événementiel. En parallèle à plusieurs années en entreprise dans le domaine de la communication éditoriale, elle créé son blog pour partager au plus grand nombre sa passion et expertise du monde de l'art contemporain et participe au lancement du magazine Artaïssime.

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