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Nathalie Boulouch, historienne de l’art et de la photographie, spécialiste de la couleur, est commissaire de l’exposition consacrée à la couleur en photographie au Centre d’art – Éditeur Le Point du Jour, à Cherbourg. Elle a choisi d’établir des analogies entre des photographies issues des collections de la Société française de la photographie (SFP) et des œuvres d’artistes contemporains, en regard notamment des cent cinquante ans de l’Impressionnisme. La couleur est la lumière fait partie de la programmation du Festival Normandie Impressionniste, et montre comment l’invention de la couleur a impacté les arts visuels et la création artistique.

Imaginer la couleur

Dès la naissance de la photographie, vers 1840, les défis techniques et artistiques ont été nombreux pour deviner et concevoir la couleur. Le parcours en quatre sections reconstitue les étapes qui ont emmené à la conquête de la couleur jusqu’en 1907 où commence le développement des autochromes.

Vignettage Optique Orange#2 © Thomas Paquet

La première partie est une invitation à imaginer la couleur. Thomas Paquet s’inspire de l’expérience scientifique d’Isaac Newton qui relie spectre lumineux et arc-en-ciel. Les deux « vignettages » sur fonds orange et bleu de sa série La chambre noire résultent de plusieurs projections d’un cercle de lumière sur un papier photosensible posé sur un demi-cylindre. Dans la continuité, les images de Louis Lumière (Spectre solaire, 1892) et d’Antonin Personnaz (Paysages, 1907-1914) – un admirateur des peintres impressionnistes – renvoient à deux méthodes pour l’enregistrement de la lumière blanche et l’utilisation de filtres.

Dans cette section, nous découvrons également Nomenclature de la photographie des couleurs (2023) d’Hanako Murakami qui distille des mots imprimés. Ce sont des techniques oubliées qui définissaient la couleur. La photographie a été une grande aventure du XIXe siècle, les photographes ont souhaité « peindre avec la lumière », et des procédés ont été abandonnés. A la fin du XIXe siècle, les peintres impressionnistes et néo-impressionnistes ont souhaité restituer la couleur comme manifestation de la lumière.

Dans la seconde salle, trois œuvres de la série Possible d’Hanako Murakami s’inspirent du procédé de la thermographie (1842). Un motif végétal est gravé sur un support. Une mise en relation est faite avec les planches botaniques réalisées par Paul-Émile Delarche en 1875.

Objets d’art
[Divers objets en verre soufflé disposés sur une table], Louise DEGLANE. – 1 photographie positive transparente : verre autochrome, couleur ; 9 x 12 cm © Collection Société française de photographie (coll. SFP)

Les correspondances sont particulièrement réussies entre les reproductions d’autochromes de Louise Deglane (Objets d’art, vers 1914) et des photos d’une série pour Hermès de Patrick Faigenbaum (Compositions n° 5 et 6 Cristallerie Saint-Louis, 2022-2023). Les compostions de Louise Deglane représentent le décor raffiné d’un temps suspendu. Le rideau est ouvert et des objets en verre soufflé sont disposés sur une table recouverte d’une nappe brodée. Le faste de la Belle Époque va bientôt être englouti dans le tourbillon de la guerre. Ces instants de rêverie sont ravivés par les photos de Patrick Faigenbaum.

Peinture de la lumière

Mustapha Azeroual, #8 (Finisterae), série Radiance, 2022
tirage jet d’encre UV de 4 images sur support lenticulaire
contrecollage sur Dibond et châssis aluminium
édition de 9 (+2EA) / Galerie Binome Paris

Tout à côté, les tirages de Mustapha Azeroual – série Radiance #6 et #8 (2022) – s’admirent dans le mouvement. Les reflets modifient la luminosité des toiles selon nos positions. Cette exploration de la couleur est aussi investie par Philippe Durand qui propose des images presque abstraites à partir de fragments de réalité. Pour la grotte de Chauvet (Panneau des lions, 1921), la couleur devient sensation. Le plasticien a utilisé six filtres de couleur et des surimpressions. L’impression est incandescente, un éclair lumineux pourrait traverser la toile. Il définit la photographie comme « une peinture de la lumière ».

Chauvet, Panneau Lions © Philippe Durand

Laure Tiberghien a développé une technique en laboratoire sans appareil photo, avec des papiers altérés. La matière colorée fluctue du rose au gris. Il y a un effet d’épaisseur et de flottement de sa série Gradations (2023). La surface brille malgré le verre antireflet.

Les Dernières couleurs (2013) de Dove Allouche forment un triptyque du MAC VAL, conçu à partir des dernières autochromes des usines Lumière. La quatrième image est actuellement conservée au CNAP – d’apparence grise, la toile devient le mélange des couleurs précédentes.

La Couleur de l’eau. Colonne d’eau (2022) de Nicolas Floc’h est une œuvre élégante constituée de tirages pigmentaires sur papier mat. L’artiste dévoile le lien entre couleurs et paysages/environnement. Selon la profondeur, la colonne d’eau subit un dégradé de couleurs dû aux micro-organismes et sédiments.

Baptiste Rabichon et Fabrice Laroche ont reproduit des autochromes en grand format, le rendu est spectaculaire. Les versions originales datent de 1910-1917. Le duo d’artistes a retravaillé des autochromes réalisées dans les jardins d’Albert Kahn, au début du XXe siècle, à Boulogne.

Dans le parcours de l’exposition, Vert de José Julio Rodrigues qui date de 1877 est un choix inattendu. Pour améliorer la représentation de la géographie du Portugal, cet inventeur a proposé un nuancier. Il s’agit de petits rectangles verts sur fond blanc. Ce support aurait pu être créé au XXe siècle, à la période des débuts de l’abstraction.

Paris, [Illuminations, Aubert Palace],Léon GIMPEL,31 octobre 1925.- 1 photographie positive : verre autochrome, couleur ;9x12cm © Collection Société française de photographie (coll. SFP)

A l’extérieur de la Galerie, l’impression sur film adhésif transparent d’un filmcolor type 1936 de Léon Gimpel évoque l’univers de la télévision par la dissociation de couleurs. De ce même artiste apparaissent des autochromes du Paris nocturne, Illuminations parisiennes (1912-1933). C’est assez fabuleux à découvrir. Le choix des œuvres du XIXe siècle est intéressant et plutôt surprenant. Elles proviennent exclusivement de la SFP, fondée en 1854, qui conserve l’une des plus importantes collections de photographies historiques.

Fatma Alilate

INFORMATIONS PRATIQUES

dim21avrdim01sepLa couleur est la lumièreInventions historiques, expérimentations contemporainesLe Point du Jour, centre d’art/éditeur, 107, avenue de Paris 50100 Cherbourg-en-Cotentin


Avec : Dove Allouche, Mustapha Azeroual, Vincent Ballard, Hippolyte Bayard, Louise Deglane, Paul-Émile Delarche, Caroline Douglas, Louis Ducos du Hauron, Philippe Durand, Patrick Faigenbaum, Nicolas Floc’h, Hreinn Fridfinnsson, Emmanuelle Fructus, Léon Gimpel, Louis Lumière, Fernand Monpillard, Hanako Murakami, Thomas Paquet, Antonin Personnaz, Baptiste Rabichon & Fabrice Laroche, José Julio Rodrigues et Laure Tiberghien
Commissariat : Nathalie Boulouch

Fatma Alilate
Fatma Alilate est chroniqueuse de 9 Lives magazine.

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