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Corinne Vachon est une photographe voyageuse. Ses pays de prédilection sont les pays les plus isolés d’Asie centrale, l’Afghanistan – le corridor du Wakhan dans l’Est de l’Afghanistan –, le Kirghizistan, l’Himalaya indien. Elle est photographe depuis une vingtaine d’années. Elle a travaillé dix ans en studio à Paris. Après un voyage au Vietnam, elle a fait d’autres voyages et s’est spécialisée dans des reportages sur des peuples nomades.
Pour ses portraits, Corinne Vachon privilégie la chambre argentique. Alors que pour les autres sujets (paysages, natures mortes…), elle travaille avec un appareil photo moyen format numérique.

Corinne Vachon a été sélectionnée par la Fondation photo4food pour la prochaine édition du Festival Planches Contact de Deauville. Elle proposera une présentation de métiers artisanaux dont certains sont voués à disparaître. Les rencontres ont eu lieu en Normandie, chaque image est un témoignage.

Portrait de Corinne Vachon

Fatma Alilate : Que vous apportent ces rencontres avec les peuples nomades de pays éloignés ?

Corinne Vachon : Je vis avec eux. Les plus belles rencontres c’est quand vous restez vivre chez les gens. Une semaine avec eux, ça m’apporte tellement de calme et de clairvoyance sur notre monde aussi. J’ai créé de vrais liens.

FA : Il y a une solidarité familiale ?

CV : Oui. Nous mettons les personnes âgées dans les maisons de retraite, on a du mal à les voir vieillir. Dans ces pays-là, ils sont assez choqués quand on leur raconte ce système. Mais chacun son système, je ne juge pas. J’observe. C’est un travail ethnologique d’observer la façon dont les peuples nomades vivent. Je participe aux tâches. Je suis allée souvent en Sibérie chez les Nenets, un peuple nomade éleveur de rennes. Je coupais du bois, j’allais chercher de l’eau quand c’était gelé. C’est devenu une façon de vivre ces voyages. Ça fait un an que je ne suis pas partie, je repars en septembre.

Julien Fabre est maréchal ferrant dans la région de Deauville. Il a appris son métier avec les compagnons du devoir. Il a une très belle clientèle et ferre environ 2500 chevaux par an.
« Cette méthode est ancestrale » m’explique-t-il. « Même si cela peut paraitre impressionnant, les chevaux ne souffrent pas »
Julien forme également la garde royale au Maroc.
© Corinne Vachon / Planches Contact / Fondation photo4food

FA : Depuis un an, vous travaillez sur un projet en France pour le Festival photos Planches Contact. Vous préparez un sujet sur les métiers artisanaux que vous valorisez par des photographies.

CV : J’ai fait une grande recherche pour trouver des métiers originaux mais pas seulement. J’ai choisi des métiers typiques de Normandie. Au départ c’étaient des métiers insolites. Donc j’ai rencontré une personne qui fait des girouettes, un bouilleur de cru ambulant qui va chez les gens transformer le cidre en calva, un couple fait des briques.

Julien est rémouleur dans le Cotentin depuis 2020. Chaque jour, il va sur les marchés de la région mais propose également un service à domicile. En se formant en Alsace, il fait renaitre ce « petit » métier oublié avec une conscience écologique et un souci d’arrêter la surconsommation de matières premières.
© Corinne Vachon / Planches Contact / Fondation photo4food

FA : Ça vous a étonné ces recherches, ces rencontres ?

CV : J’ai eu un accueil incroyable. Les gens étaient très gentils. Je n’ai pas eu un seul refus. Je prenais rendez-vous, parfois je faisais des repérages avant. J’ai toujours eu un super accueil. Je me faisais un monde de travailler en France, j’avais peur qu’on me parle du droit à l’image, d’exploitation des photos, mais pas du tout. Les gens sont contents qu’on parle de leurs métiers, des métiers extraordinaires. Cet artisanat, il faut vraiment le préserver, on a vraiment une chance incroyable avec cette richesse artisanale. J’ai travaillé avec des gens qui avaient travaillé chez Hermès pendant très longtemps et qui s’étaient installés à leur compte pour faire des selles, des ceintures sublimes. Les femmes et les hommes rencontrés ont aussi partagé des anecdotes donnant une dimension humaine à chaque cliché. Mes prises de vue sont des prises de vie, car les récits sont constitués d’éléments d’une mémoire collective.

Sophie Kliszowski est doreuse de tableaux. « Les mains et les sens peuvent s’exprimer et manier techniques et outils qui n’ont pas changé depuis le XVI siècle »
Sophie travaille dans la région de Bayeux.
© Corinne Vachon / Planches Contact / Fondation photo4food

FA : Par vos photos, vous mettez en valeur des savoir-faire. Certains métiers vont peut-être disparaître faute de transmission.

CV : Pour la briqueterie, le couple n’a pas de repreneurs. C’est quand même des métiers difficiles, où on ne gagne pas très bien sa vie. Pour certains, c’est compliqué de vivre de l’artisanat.

FA : Selon vous quel est l’intérêt de cette démarche.

CV : Je suis dans le devoir de mémoire. J’ai envie de témoigner de ce qui se passe aujourd’hui. Je ne sais pas ce que sera demain. Peut-être qu’avec l’intelligence artificielle ce qui va disparaître c’est tous les métiers intellectuels. Peut-être que tous ces métiers artisanaux ne vont pas disparaître. Comme on ne sait pas, il faut témoigner de ce qui se passe aujourd’hui à notre époque. C’est ce que je fais aussi dans les pays reculés.

FA : Vous allez être exposée prochainement à Planches Contact et vous souhaitez mettre en parallèle les photos prises de ces métiers artisanaux avec des photos de contrées lointaines.

CV : J’ai dans l’esprit par exemple un cavalier que j’ai pris à Deauville, très chic, habillé tout en blanc, qui allait faire du saut. Et au Kirghizistan, j’ai suivi un jeu équestre qui s’appelle le kok-borou. On coupe la tête d’une chèvre et ils jouent avec. C’est ancestral. C’est un moment de retrouvailles.

Dominic Stora est le dernier fabricant de kaléidoscope d’Europe. Son magasin, « Après la pluie » est charmant. Plus que des kaléidoscopes, Dominique vend des objets anciens. Il est situé à Beaumont-en-Auge.
© Corinne Vachon / Planches Contact / Fondation photo4food

FA : Peut-on considérer que votre travail qui se fait pour la première fois en France s’inscrit dans la continuité de vos reportages précédents ?

CV : J’aimerais en tout cas. Je souhaite faire des parallèles sans que ce soit systématique. Dans certains cas, ça pourrait se justifier et ce serait assez chouette de pouvoir le faire.

FA : A votre avis – vous parliez de l’intelligence artificielle – qu’apporte la photo ?


CV
: On ne pourra jamais enlever ces rencontres, ces regards qu’on peut avoir, ces sensibilités. J’espère que les gens continueront à voyager à s’ouvrir à l’autre. Il faut une grande capacité d’adaptation pour faire ces voyages.

FA : Vous êtes une photographe en aventure ?

CV : J’aime l’aventure, aller dormir à cinq mille mètres d’altitude. J’ai toujours des guides extrêmement bienveillants et gentils avec qui je peux échanger. Je pousserais les enfants, les ados à s’ouvrir sur ce qu’il se passe dans le monde, à être très critique par rapport à l’information. Il y a des médiums différents pour s’informer, savoir ce qui se passe réellement. Ne suivez pas le courant, il n’y a que les poissons morts qui le suivent !

Propos recueillis par Fatma Alilate

INFOS PRATIQUES
Festival Planches Contact – Deauville
Du 19 octobre 2023 au 5 janvier 2025
https://www.corinne-vachon-photographe.fr/

Fatma Alilate
Fatma Alilate est chroniqueuse de 9 Lives magazine.

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