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Pour sa troisième carte blanche, notre invitée de la semaine Florence Reckinger-Taddeï, la fondatrice et présidente de Lët’z Arles et du Luxembourg Photography Award, partage son admiration pour le photographe américain d’origine luxembourgeoise, Edward Steichen (1879 – 1973). Conservateur au MoMA de New York entre 1947 et 1962, Steichen a joué un rôle crucial pour porter le médium photographique au sein des institutions muséales. Certains de ses clichés sont à découvrir à la galerie Howard Greenberg, si vous passez par New York, au sein de l’exposition collective « Printer Savant: Lumiere Press and the Art of the Photo Book » qui ouvre ses portes ce jour !

L’immense photographe Edward Steichen est un artiste que j’admire pour ses photographies sublimes, assurément, mais aussi pour avoir eu la grande générosité de mettre en lumière les œuvres de nombreux photographes, dont plusieurs femmes, grâce à son rôle au MoMA et aux deux collections fondamentales qu’il a constituées et fait voyager dans le monde entier : Family of Man¹ et Bitter Years².

Bruce Davidson, Edward Steichen in the flower garden op Umpawaug Farm, his home in Redding, Connecticut, photographie couleur, 29,5 x 19,8 cm, 1963, Collections du MNAHA

À côté de son travail de photographe et de curateur, Steichen fut aussi un horticulteur de talent et a, tout au long de sa vie, cultivé une grande passion pour la botanique. J’ai réalisé cela en découvrant les tirages des photos prises au Mexique, dans la collection du Musée national d’art et d’histoire du Luxembourg. Ariana Stahmer, l’arrière-petite-fille du photographe, m’a par la suite raconté la connexion inouïe que Steichen entretenait avec la nature et en particulier avec un arbre d’amélanchier de son jardin, qu’il a photographié pendant des années et dont il a tiré un merveilleux film à la fin de sa vie.

L’arbre d’amélanchier
Tirage : 1950 – 1969
Épreuve couleur
H x L : 18.8 x 24 cm (mounted on foam core)
Intégration page : https://collections.mnaha.lu/

Profusion de création : de la peinture, de la photographie aux végétaux, l’artiste a toujours cherché à se réinventer avec pour leitmotiv son ancrage dans le réel et un amour profond de la nature.
L’expérimentation est maître mot chez Steichen. Il ne se contente pas de capturer la beauté de la nature à travers son objectif, il la façonne également de ses propres mains. Il se lance ainsi dans les hybridations de delphiniums, pour lesquels il remportera des prix de botanique !

Edward STEICHEN
Calla Lily, c.1921
Palladium print; printed c.1921
10 x 8 in.
Titled in pencil on label affixed to print verso.
0075421-111

Edward STEICHEN
Lotus, Mt. Kisco, New York, 1915
Gelatin silver print; printed 1920s
9 1/2 x 7 5/8 in.
Mounted. Titled by the artist in pencil, two photographer’s credit stamps, and Conde Nast Publications copyright stamp on mount verso. Provenance: Ex-Collection of Joanna Steichen.
0063045-111

Sa passion pour la botanique et les delphiniums était telle qu’il choisit en 1936 de leurs consacrer la première exposition florale du MoMA : étaient ainsi présentées pendant une semaine les fleurs qu’il a cultivées puis transportées depuis sa résidence dans le Connecticut. Quelle incroyable inspiration !

Steichen capture la nature, comme s’il tentait de retenir sa beauté éphémère au gré des saisons. Il voit dans chaque fleur, dans chaque plante, une œuvre d’art vivante. Il est fasciné par la manière dont la lumière joue sur les pétales, comment les formes et les couleurs se transforment sous différents angles. J’entends en écho les mots de Michel Medinger, qui suivait le souffle des fleurs qui s’ouvraient et se fanaient avec tendresse. La photographie de Steichen cherche à immortaliser cette beauté fragile et transitoire, tandis que son travail horticole vise à créer et à perfectionner cet esthétique. Son engagement envers la nature va au-delà de la simple admiration ; il s’efforce de la comprendre et de la continuer, démontrant ainsi une profonde connexion avec le monde naturel et une capacité unique à voir la beauté dans chaque détail et la faire perdurer. Aujourd’hui, l’émerveillement et la conscience du vivant de Steichen résonnent avec force et ajoute une lettre à ce mot qui lui sied tant : pionnier.

Edward Steichen et son épouse Joanna, chez le grand collectionneur Tony Neuman, en 1966 : Steichen visite le parc botanique que Tony Neuman, féru de botanique, a constitué dans sa propriété du Limpertsberg (Luxembourg). Tony Neuman a offert à la Ville de Luxembourg ce fantastique et unique arboretum au Luxembourg. Le parc Tony Neuman est ouvert au public sa collection d’arbres rares rapportés en graines au fil de ses voyages, plus de 600 espèces végétales (dont les delphiniums ou pieds d’alouettes chers à Steichen !) dialoguent avec des sculptures d’Henri Laurens, Martha Pann, Ephraim Faber, Alicia Penalba, Lucien Wercollier, etc…

Parc Tony Neuman

Lors de l’un de ses séjours dans son pays natal, Steichen est reçu par Maître Tony Neuman, un féru d’art et de botanique comme lui, qui lui fait découvrir l’immense parc et la serre qu’il a constitués dans sa propriété du Limpertsberg, en plein centre de Luxembourg Ville. Tony Neuman a offert à la Croix-Rouge luxembourgeoise, dont il a été le président et un soutien fidèle et généreux, ce fantastique et unique arboretum au Luxembourg. Le parc Tony Neuman a ainsi été ouvert au public, conformément aux souhaits de son fondateur. Sa collection d’arbres rares rapportés en graines au fil de ses voyages, notamment au Brésil et plus de 600 espèces végétales (dont les delphiniums ou pieds d’alouettes si chers à Steichen !) dialoguent avec des sculptures d’Henri Laurens, Martha Pann, Ephraim Faber, Alicia Penalba, Lucien Wercollier, etc… offertes également par ce grand philanthrope avec son jardin.

INFOS PRATIQUES
• Printer Savant: Lumiere Press and the Art of the Photo Book
Howard Greenberg Gallery
Du 20 juin au 16 août 2024
41 E 57th St 8th Floor, New York,
NY 10022, États-Unis
https://www.howardgreenberg.com
Les œuvres de Steichen peuvent être vues au Musée national du Luxembourg, qui a reçu en mars 1985, de manière imprévue, un généreux legs de la succession d’Edward Steichen. Cette collection Steichen ne cesse de s’enrichir et est présentée dans une aile contemporaine du musée.
https://www.nationalmusee.lu/fr/
• Avec une galerie exclusivement dédiée à la production photographique d’Edward Steichen, le Nationalmusée um Fëschmaart (Luxembourg) met à l’honneur une collection de plus de 200 photographies de Steichen constituée de legs et d’acquisitions, dont dernièrement la collection de la galeriste luxembourgeoise Marita Ruiter.
• Le Nationalmusée um Fëschmaart conserve et expose également les 44 photographies de la collection Steichen de la Ville de Luxembourg. Pour des raisons de conservation, les deux collections sont à découvrir par cycles d’exposition de vingt photographies.
• Le livre de Gerd Hurm d’Edward Steichen vient tout juste d’être édité.

1. La collection « The Family of Man, » rassemblée par Edward Steichen, se compose de 503 photographies de 273 auteurs de 68 pays, présentée pour la première fois en 1955 comme un manifeste pour la paix et l’égalité, et est installée de façon permanente depuis 1994 au Château de Clervaux, attirant plus de 10 millions de visiteurs et inscrite depuis 2003 au registre de la Mémoire du Monde de l’UNESCO
Pour plus d’informations : https://www.steichencollections-cna.lu/fra/collections/1_the-family-of-man
2. « The Bitter Years » est la dernière exposition réalisée par Edward Steichen en tant que Directeur de la photographie au MoMA en 1962, rassemblant plus de 200 images de la documentation de l’Amérique rurale par la FSA durant la Grande Dépression. Cette exposition était présentée à Dudelange, Luxembourg, de 2012 à 2020 ; elle est désormais mise en réserve pour des raisons de conservation.
Pour plus d’informations : https://steichencollections-cna.lu/fra/collections/2_the-bitter-years

La Rédaction
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