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Notre chroniqueur d’ouvrages photo Frédéric Martin a souhaité aujourd’hui faire un pas de côté. Il nous livre ici un texte sur la série « V » de la photographe plasticienne, Véronique Durruty. Un travail sur les violences faîtes aux femmes qui vise à briser l’omerta qui règne encore autour de ces violences trop souvent impunies, mais aussi à offrir aux femmes, aux victimes si ce n’est un apaisement, au moins une réparation. Un corpus photographique qui s’adresse à toutes celles qui subissent le modèle social actuel. « Vous n’êtes pas seule. » … « Je vous comprends, je vous soutiens vous mes sœurs, amies, mères, compagnes, cousines… ». Rappelons que nous avons lancé Mise au Point, visant à récolter les témoignages de violence dans le secteur photo.

Alors que les pouvoirs publics prétendent lutter activement force est de constater que les violences faîtes aux femmes sont encore bien présentes dans notre société. Et, malheureusement, en augmentation.

Comme l’écrit la photographe Véronique Durruty en préambule de V, le projet qu’elle consacre à ce sujet : « Personnellement, je n’ai pas été touchée par le sexisme et la violence. Pas plus que nous toutes. » Car les chiffres, les faits sont là :
– 118 femmes victimes de féminicide en 2022.
– Environ 321 000 femmes (c’est une estimation) victimes de violences physiques, sexuelles et/ou psychologiques commises par leur conjoint ou ex-conjoint.
– 217 000 (estimation) violées.
– Et bien entendu la succession des mains aux fesses, des remarques sexistes, des photos de nu non sollicitées, des insultes dans la rue, etc.
Et il paraît que tout est fait pour que ça aille mieux…

Face à cette situation catastrophique Véronique Durruty cherche non seulement à briser l’omerta qui règne encore, mais aussi à offrir aux femmes, aux victimes si ce n’est un apaisement, au moins une réparation.

V comme Victoire (R)
© Véronique Durruty

V comme Victoire (R)
© Véronique Durruty

V… V comme victime. V comme Victoire. V comme Violence. V comme ventre, vulve, vide, valeur, vert…

À chacune des six femmes photographiées pour le projet, la photographe a proposé de mettre en scène ces mots-là. Elles s’en emparaient, l’interprétaient, la photographe essayant de les diriger le moins possible et ne retouchant pas ses images. De cette relation photographique, de ce partenariat, sont nées des images troubles, doubles. Les corps sont tantôt prostrés, allongés, vaincus. Un voile pudique les couvre parfois, mais c’est aussi, malheureusement, le vert des chairs putréfiées qui devient linceul pour celle qui a trop subi les coups, que la police n’a pas voulu entendre. Puis, il y a les ventres, les vulves, la féminité qui est refusée aux victimes, la féminité qui autorise certains aux pires abus. La féminité qui enferme aussi dans des stéréotypes de genre : enfant, maison, cuisine… La réussite professionnelle c’est pour les hommes. D’autres corps, ensuite, des bras levés victorieux, des corps debout, grandis. Elles ont pu se battre, se relever, lutter contre un système qui fait trop souvent des victimes les coupables. Pensez-donc, c’est elle la vicieuse ! Encore un V…

V comme Voiler
© Véronique Durruty

V comme Verte
© Véronique Durruty

Mais le travail ne s’arrête pas là. Patiemment, Véronique Durruty a reprisé avec des fils tantôt d’or s’inspirant ainsi de la technique japonaise du Kintsugi, tantôt rouges comme le sang, verts comme la putréfaction ou bleu comme les hématomes, les photographies. Reprisé et non brodé, car il s’agit ici de réparer. Les femmes, les victimes, doivent, suite aux agressions, tenter de vivre avec ces plaies béantes. Alors que moins de 1 % des plaintes pour viol aboutissent à une condamnation, ajoutant ainsi une violence à la violence, les personnes violées, elles, subissent ce traumatisme au quotidien. Et il en est de même de celles qui sont battues, de toutes ces femmes qui évitent certaines rues à certaines heures, qui n’osent plus sortir seules… À sa manière délicate et tendre, la photographe répare, reconstruit, transforme la blessure ouverte en une cicatrice. La trace sera toujours là, comment l’oublier, mais elle fera moins souffrir.

V est un travail d’une très grande force qui peut être lu à plusieurs niveaux. En premier lieu, il s’adresse à toutes celles qui subissent le modèle social actuel. « Vous n’êtes pas seule. » paraît crier Véronique Durruty. « Je vous comprends, je vous soutiens vous mes sœurs, amies, mères, compagnes, cousines… ». De fait, il semble impératif d’aider, de toutes les manières possibles, les femmes non seulement à se battre contre, mais aussi simplement, parfois, à prendre conscience de. Combien de victimes de combien de bourreaux n’ont pas la simple lucidité de savoir que ce qui leur arrive est à la fois anormal mais aussi condamnable ? Certainement beaucoup trop encore.

En deuxième lieu, V est porteur d’un message d’espoir. Si la justice n’est pas encore suffisamment efficace, il y a tout de même une justice. Et parallèlement existe toute une sororité qui n’attend qu’un geste pour tendre sa main.

En troisième lieu, Véronique ne joue pas les noirs contre les blancs. Elle envisage avec ce travail de soulever les consciences masculines. Tous les hommes ne sont pas des violeurs (mais les violeurs sont majoritairement des hommes…), tous les hommes ne se comportent pas mal, mais beaucoup d’hommes n’ont pas une vision claire de la situation. Un travail comme V, par son honnêteté, sa franchise, peut leur révéler ce qui se trame et ainsi les pousser à se ranger aux côtés des victimes. Le changement naîtra de ce partenariat.

V comme Vulve
© Véronique Durruty

V comme Valises
© Véronique Durruty

V comme Ventre
© Véronique Durruty

V est un travail nécessaire.
Nécessaire parce qu’universel.
Nécessaire parce que vibrant.
Nécessaire parce que sincère.

Après avoir été exposé à la Villa Violet (Paris 7) au printemps 2024, il serait plus que souhaitable que d’autres lieux l’accueillent maintenant !

https://veronique-durruty.photoshelter.com/

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Frédéric Martin
Frédéric Martin est photographe, son travail questionne l'intime, la relation à l'autre. Il a publié l'Absente chez Bis Éditions. Frédéric Martin écrit aussi des chroniques de livres de photographies dans lesquelles il cherche à valoriser tout autant le travail du photographe que l'objet livre. Elles sont à lire sur son site : www.5ruedu.fr

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