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Rencontre avec Mélanie Wenger, lauréate du Prix HSBC pour la Photographie 2017

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La 22ème édition du Prix HSBC pour la Photographie a été remise le 31 janvier dernier. On découvrait alors les noms des deux lauréates de l’année 2017, pour laquelle María García Yelo est la conseillère artistique. Les travaux de Laura Pannack et Mélanie Wenger seront exposés tout au long de cette année, une monographie sera publiée aux éditions Actes Sud. En attendant, nous avons rencontré les deux jeunes femmes après leur nomination.

Mélanie Wenger est une photographe française de 29 ans, représentée par l’Agence Cosmos, qui vit à Bruxelles. Avec sa série Marie-Claude, la dame aux poupées – débutée en 2014 – on plonge dans l’univers clos de Marie-Claude, une femme solitaire qui s’est créé son propre monde.

9 lives : Qu’est-ce qui vous a motivé à participer au Prix HSBC pour la Photographie ? Qu’attendez-vous de cette distinction ?

Mélanie Wenger : J’ai présenté mon travail au prix HSBC pour la Photographie car je sentais que ma série arrivait à un stade important. J’approchais de son aboutissement, c’est pourquoi j’ai commencé à imaginer la partie où elle devrait voir le jour, être transmise. A ce moment-là, en même temps que ma dernière visite à Maire-Claude, les appels à candidature HSBC sont tombés. Avec « Marie-Claude », j’avais déjà évoqué ma volonté de faire de son histoire une monographie, elle était d’accord avec cette idée. J’ai donc naturellement participé à ce prix car c’était le bon moment et qu’il pouvait me permettre de passer au stade supérieur, ce qui était compliqué pour moi de faire seule, sans moyen. Auparavant, j’avais reçu une aide à la création de la DRAC Alsace, qui m’avait permis de réaliser 4 voyages supplémentaires chez Marie-Claude, en Bretagne, dans l’année 2016, mais je n’avais pas de solution pour financer une monographie. Grâce au prix HSBC, Marie-Claude deviendra une monographie et une exposition, et je pourrai donner à ce travail la « vie » que je lui souhaitais.

M : Ce Prix vous est remis à l’aube de vos 30 ans, comment vous situez-vous aujourd’hui dans votre carrière ?

M. W. : J’ai choisi de raconter des histoires d’Hommes, de héros de l’ordinaire, de révéler leur profondeur au travers de l’immédiateté permanente de la photographie. Surtout sans oublier les aspérités qui les rendent si uniques. J’ai d’abord travaillé en Libye pendant trois ans, sur une série nommée « L’enfance brisée de la Libye libre », puis sur les migrations entre la Libye, Malte et la Belgique. Pour ma série « Lost in migration » j’ai passé 6 mois en immersion dans un centre d’accueil pour demandeurs d’asile en souffrance mentale. En parallèle, j’ai travaillé sur le trafic d’ivoire et le braconnage au Cameroun et au Zimbabwe, pendant deux ans. J’ai suivi des anti-braconniers dans la forêt comme dans la brousse, et photographié des chasseurs d’éléphants et des pisteurs bakas à la traque. Mes séries sont publiées dans les journaux et magazines depuis plus de cinq ans, mais je n’avais pas encore publié de monographie. Marie-Claude est une série au long cours, comme la plupart de mes projets, même si elle a la particularité d’avoir accaparé plus de mon temps que toutes les autres, c’est pourquoi cela fait sens que ce soit la première a faire l’objet d’un livre. Je suis à l’aube d’un nouveau projet au long cours sur les violences sexuelles dans le monde. Il a commencé il y a six mois au Zimbabwe et me mènera en deux ans dans 6 pays. C’est un projet de portraits de femmes, d’hommes, d’histoires et de forces qui encore une fois visent, d’une certaine manière, à donner une image au silence.

M : La série Marie-Claude a débuté en 2014. Comment avez-vous rencontré cette femme et pourquoi avoir décidé de réaliser un sujet sur elle, comment a t-elle accueilli cette proposition ?

M. W. : J’ai rencontré Marie-Claude en avril 2014 au bout d’un chemin sans issue en Bretagne. Je cherchais mon chemin, elle m’a lancé « Tu viens voir mes poupées? » Je suis entrée dans sa maison et j’ai découvert un monde qui me hante et m’emplit de joie à la fois. J’ai mis quelque temps à la photographier, j’ai passé beaucoup de temps avec elle, à papoter. A l’instant où j’ai pénétré dans sa maison, j’ai su que je reviendrai. Cela fait trois ans que je vais la voir, une fois tout les deux mois, pour une à trois semaines à chaque voyage. Bien sûr, c’est une femme au caractère bien trempé, au départ, la communication était difficile. En passant du temps avec elle, au fil de mes visites, nous avons appris à nous apprivoiser. Finalement j’ai commencé à la photographier, lui apporter les photos. Mes photographies prenaient leur place dans son monde, entre les poupées qu’elle accumule. L’âge se faisant sentir, j’ai senti la nécessité grandissante de laisser une trace, pour elle qui n’a pas eu d’enfant et que sa famille a bannie. En un sens, je crois que mes photographies font cela pour elle. J’ai toujours été convaincue que cette femme, sa fantaisie comme sa dureté, nous parle de quelque chose d’universel, et que cette histoire, comme un trésor, se devait d’être partagée précieusement.
M : Quelle a été sa réaction lorsqu’elle a appris que vous avez remporté le Prix avec ce sujet ? Continuez-vous à photographier Marie-Claude ?
M. W. : Marie-Claude ne sait pas ce qu’est le Prix HSBC, je dois me rendre en Bretagne très vite pour lui expliquer, ce n’est pas comme si elle possédait un téléphone portable… Je continuerai à photographier Marie-Claude aussi longtemps que je le pourrai.
Ericka Weidmann
Après des études d'Arts Appliqués et de photographie, elle rejoint un magazine en ligne consacré à la photo en tant que directeur artistique, poste qu'elle occupera pendant 10 ans. En 2010, elle s'installe comme DA en indépendant. En parallèle, elle devient responsable éditorial pour Le Journal de la Photographie et c'est en septembre 2013 qu'elle co-fonde le quotidien L’Oeil de la Photographie pour lequel elle est rédactrice en chef jusqu'en septembre 2016 avant de fonder 9 Lives magazine ! Ericka Weidmann est également journaliste pigiste pour d'autres médias.

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