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Stéphane Lavoué à la recherche du Roi

Temps de lecture estimé : 5mins

La galerie Fisheye vient d’inaugurer sa nouvelle exposition dans le cadre du Mois de la Photo du Grand Paris. On y découvre « Le Royaume » de Stéphane Lavoué, photographe français. Rencontre autour d’un conte photographique décalé, constitué de portraits étonnants des habitants de ce « royaume » pas comme les autres.

9 lives : Votre série « Le Royaume » est exposée jusqu’au 6 mai à la galerie Fisheye, comment avez-vous découvert ce territoire du Vermont ?
Stéphane Lavoué : Ce territoire s’appelle The Northeast Kingdom (le royaume du Nord-Est). C’est lors d’un discours public dans les années 40 qu’un sénateur américain a baptisé cet endroit; il souhaitait alors montrer le côté insoumis et indépendantiste de cette région du Vermont. A la suite de cela, les gens se sont appropriés ce terme avec fierté. C’est un lieu peu accessible, proche de la frontière canadienne, loin de New York. Ce n’est pas un lieu de villégiature, avec des conditions de vie plutôt difficiles, il y fait très froid l’hiver et particulièrement chaud l’été. Victime du déclin industriel, la population a dû s’adapter et a dû quasiment devenir autosuffisante. Il y a des agriculteurs, des maraîchers, tout le monde chasse, tout le monde cultive son jardin potager…
Ma rencontre avec ce territoire date d’il y a 25 ans, lors de mon premier voyage aux Etats-Unis. Une famille basée dans la région de Boston m’accueillait. Plus tard lorsque les parents de cette famille ont pris leur retraite, ils ont acheté une ferme au sein du Northeast Kingdom. C’est lorsque je leur ai rendu visite quelques années plus tard que j’ai découvert que je me trouvais dans ce territoire « royal ».

9L. : Pourquoi avoir décidé de réaliser une série photographique ? Qu’y avez-vous découvert ?

S. L. : L’idée du royaume aux confins des Etats-Unis m’a particulièrement amusé, avec toute la dimension poétique que cela engendrait. J’ai trouvé que j’avais suffisamment d’éléments pour y consacrer un travail personnel. C’est devenu une sorte de quête royale !
Au fil du temps, les gens se sont un peu identifiés à la royauté, faisant naître des personnalités étonnantes et atypiques. Un mélange hétéroclite de fermiers ultra traditionnels un peu réac’, à des gens ultra-libéraux, artistes et hippies. Ce qu’il faut savoir c’est que dans les années 60/70, le royaume a vraiment été un territoire de retour à la terre avec l’arrivée de nombreux hippies, beatniks ou autres déserteurs de la guerre du Vietnam…
J’aime l’idée d’un territoire délimité qui forge des identités fortes et atypiques, alors forcement là-bas j’avais vraiment de la matière pour travailler et créer mon univers propre !

9L : Quelle a été votre rencontre la plus marquante au sein du royaume ?

S. L. : C’est certainement Josie. C’est une jeune fille de 16 ans qui travaille au milieu des quartiers de viande.
J’ai organisé plusieurs voyages dans le Northeast Kingdom, mais 3 ont été nécessaires dans l’objectif de faire des photos. Au début je ne savais pas trop par où commencer, je n’avais pas de narration ni même de direction photographique définie… Comme il n’y a pas de hasard, j’ai alors rencontré une personne qui m’a guidée dans les méandres du royaume. Il a été d’une précieuse aide, c’est lui qui m’a intégré à la communauté. Un jour il m’a dit « je vais te présenter ma fille, elle travaille dans une boucherie artisanale, elle découpe et prépare la viande des animaux abattus par les habitants du royaume. » Après une heure de route, j’ai découvert Josie, elle découpait les morceaux de viandes. Ce qui m’a frappé, c’est le décalage entre son visage rond et juvénile, et le décor des carcasses sanguinolentes. Ce contraste m’a tout de suite intéressé. Spontanément elle s’est positionnée au milieu de toute cette viande pour que je puisse réaliser son portrait.
Rapidement je me suis dit que j’avais trouvé ma princesse, la princesse du royaume. Ca m’a permis de commencer à réfléchir à un conte photographique un peu « déglingué ». Cette princesse qui elle-même chasse à l’arc, avec un caractère fort, tout en contraste avec sa beauté. J’ai d’ailleurs appris qu’elle venait tout juste de se battre avec une camarade de classe, et l’on peut d’ailleurs voir sur la photo, que ses avant bras sont marqués d’hématomes au milieu des tâches de sang des animaux. L’image d’une princesse bien éloignée des contes ordinaires…

9L : Au fil de vos rencontres, vous aviez l’obsession de trouver le « King » de ce royaume, avez-vous réussi à percer le mystère ?
S. L. : J’avais mon royaume, ma princesse, il ne me restait plus qu’à trouver mon roi. A plusieurs reprises, j’ai cru que j’y étais arrivé, mais en fait il y a beaucoup de prétendants et d’usurpateurs… Il y a bien un personnage en particulier que je trouve très attachant, et qui m’a beaucoup aidé, notamment pour trouver le ton de la série. Il occupe deux emplois à mi-temps, il est à la fois journaliste en charge des affaires judiciaires et religieuses et… clown. Son nom de scène, c’est The King of Silly (le roi de la connerie).
La photo de lui n’est pas dans la série, c’est sans doute le signe que je n’ai pas encore trouvé mon roi !
EXPOSITION
Le Royaume
Stéphane Lavoué
Du 30 mars au 6 mai 2017 / Prolongations jusqu’au 20 mai 2017
Galerie Fisheye2, rue de l’Hôpital-Saint-Louis
75010 Paris
http://www.fisheyegallery.fr
http://www.stephanelavoue.fr
Ericka Weidmann
Après des études d'Arts Appliqués et de photographie, elle rejoint un magazine en ligne consacré à la photo en tant que directeur artistique, poste qu'elle occupera pendant 10 ans. En 2010, elle s'installe comme DA en indépendant. En parallèle, elle devient responsable éditorial pour Le Journal de la Photographie et c'est en septembre 2013 qu'elle co-fonde le quotidien L’Oeil de la Photographie pour lequel elle est rédactrice en chef jusqu'en septembre 2016 avant de fonder 9 Lives magazine ! Ericka Weidmann est également journaliste pigiste pour d'autres médias.

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