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Les 40 ans du Centre Pompidou en Grand Paris (1) : La Ferme du Buisson
Rencontre avec Julie Pellegrin

Temps de lecture estimé : 7mins

Trois centres emblématiques du Grand Paris répondent aux 40 ans du Centre Pompidou : La Ferme du Buisson, le Frac Ile de France/château-parc de Rentilly et le Centre Photographique d’Ile de France, tous trois en Seine et Marne (77). Cette date donne son titre aux 3 évènements SOIXANTEDIXSEPT qui convoquent et réactivent cette utopie d’une époque et d’un musée en rupture, à travers des œuvres issues des collections du Centre Pompidou confrontées à des productions actuelles. 40 ans après quel en est l’héritage et la portée ?

Julie Pellegrin directrice du Centre d’art contemporain de la Ferme du Buisson et curatrice, remonte aux origines à travers la fascinante découverte du dernier film de Roberto Rossellini sur l’ouverture du Centre Pompidou, aux côtés du producteur Jacques Grandclaude et de l’artiste Marie Auvity.

Elle a répondu à nos questions.

9 lives : Qu’est ce que signifie pour vous 77 aujourd’hui ?

Julie Pellegrin :  Pour revenir sur la genèse du projet, c’est le Centre Pompidou qui dans le cadre de son 40e anniversaire a sollicité d.c.a, l’association des centres d’art pour proposer d’être partie prenante de cette manifestation dans l’idée que l’on pouvait en tant que centre d’art apporter un regard plus expérimental et prospectif. A partir de là, nous nous sommes associés, la Ferme du Buisson, le Centre Photographique d’Ile et le Frac Ile de France (dont le 2è lieu se situe en Seine-et-Marne), pour proposer un projet commun en plusieurs chapitres avec l’envie de réinterroger cette date et par un jeu de chiffre de la mettre en relation avec le territoire dans lequel on s’inscrit puisque notre département porte le numéro 77. Ce qui s’est révélé pas si anodin puisqu’en Seine-et-Marne l’art contemporain est assez peu représenté comparativement à d’autres départements français. En tant que 3 institutions publiques dédiées à l’art contemporain, nous voulions donc vérifier dans quelle mesure nous étions des héritiers de cette grande idée de la démocratisation culturelle, du service public de l’art contemporain à travers la relecture de l’utopie de départ et de l’esprit d’une époque.

Nous souhaitions voir aussi comment mobiliser notre public autour de cette idée que l’intérêt pour l’art contemporain a largement fait son chemin depuis cette date clé. Alors que dans les années 70 une poignée de gens s’intéressait à l’art contemporain, l’ouverture du Centre Pompidou marque cette découverte de l’art actuel par le grand public, ce que nous portons avec toujours plus de convictions au cœur de nos missions dans des contextes économiques et politiques parfois très fragilisés

M : Vous proposez Quand Rossellini filmait Beaubourg, pourquoi/comment ?

J. P. : Chaque exposition constitue comme un chapitre du projet SoixanteDixSept dont nous sommes chacun commissaire. A la Ferme du Buisson, j’avais envie de réfléchir à la relation entre passé et futur, à la manière dont un musée est un outil de mémoire et d’enregistrement mais aussi de projection. C’est pourquoi l’image projetée m’a tout de suite parue naturellement incarner le projet. Avec l’artiste et productrice Marie Auvity avec qui je me suis associée, nous avons réfléchi aussi à tout ce qui est invisible dans le musée : les œuvres qui avaient disparu mais aussi les « agents de l’ombre » si l’on peut dire, et notablement les techniciens qui font littéralement fonctionner le musée. Au fil de nos recherches nous sommes tombées à notre grande surprise sur la mention d’un film que Roberto Rossellini aurait tourné sur l’ouverture du Centre Pompidou. Nous avons commencé à mener l’enquête pour en trouver la trace et pour tenter de comprendre ensuite pourquoi ce film était inaccessible. Nous avons finalement pu en visionner une copie et nous avons été totalement sidérées par ce que nous avons vu :
Le plus grand cinéaste du monde témoignant d’un moment historique dans l’histoire culturelle française ! C’était incroyable ! C’est à la fois un document historique extrêmement précis d’un point de vue sociologique et très émouvant parce que Rossellini filme en direct ce que Claude Mollard a appelé la « prise d’assaut » du Centre Pompidou par le public, ce qui était assez inattendu (50 000 spectateurs au lieu des 20 000 annoncés le premier jour) avec le succès que l’on connaît depuis. Il filme d’une manière très singulière : il ne porte pas uniquement un regard documentaire, il témoigne de l’inscription du bâtiment au cœur de la ville, de son extraordinaire architecture, des premières expositions du Centre, de la manière dont le centre se vivait et se pensait dans les premiers jours. On y voit des images que personne d’autre n’a filmées, comme Tinguely et Niki de St Phalle en train de construire leur Krokodrome au milieu du Forum. Il décide surtout de mettre en place un système d’enregistrement sonore totalement inédit à l’époque : une prise de son directe avec des micros cachés dans le musée et les manches de chemise de ses preneurs de son ! Il veut saisir la parole des spectateurs sur le vif, plutôt que d’imposer un commentaire en voix off, ce qui donne une sorte de disjonction entre l’image et le son, quelque chose à la fois saisi et saisissant. Le public est totalement sous le choc de ce qu’il est en train de découvrir !

L’histoire du film remonte à une commande du Ministère des Affaires étrangères qui souhaitait solliciter un réalisateur étranger pour tenter de convaincre la presse internationale du bien-fondé de ce projet très polémique et mal reçu par la presse française. Ils décident de choisir le plus grand réalisateur vivant et s’associent à la société de production Communauté de Cinéma 9 qui va accompagner Rossellini dans la production de ce film, en lui donnant toute liberté. Le cinéaste impose une durée non télévisuelle, un format de 35 mm,  la meilleure équipe qui soit, et une durée illimitée. Il en résulte un ovni.

On a remonté le fil de cette société de production qui en possède aujourd’hui les droits pour finalement décider que ce film serait le cœur de l’exposition avec des œuvres empruntées à la collection du Centre Pompidou présentées autour.

M. : La Ferme du Buisson se veut un laboratoire transdisciplinaire autour d’ une programmation populaire et exigeante, comment le déclinez vous au centre d’art contemporain ?

J. P. : La Ferme du Buisson est un lieu assez atypique en France, l’un des premiers construits sur ce modèle pluridisciplinaire. Il abrite aujourd’hui une scène nationale, un cinéma et un centre d’art contemporain labellisé, avec d’autres activités de concert ou de programmation en plein air. Ce que j’ai initié à mon arrivée, il y a 10 ans quand j’ai pris la direction, était une programmation qui tissait des liens entre les disciplines, les arts plastiques offrant cette potentialité de liberté de circulation et de transgression entre les disciplines. C’était une manière de présenter à la fois un large éventail de formes artistiques dans l’idée aussi de sensibiliser le public, de le sensibiliser à l’art, à l’image mais pas seulement. J’ai beaucoup travaillé alors sur l’idée de la performance à la fois comme forme artistique mais aussi comme un vecteur de circulation des publics. On s’est rendu compte que l’on avait des spectateurs avec des habitudes culturelles souvent assez monomaniaques (des spectateurs cinéphiles, amateurs de théâtre ou d’expositions qui ne diversifiait pas tellement leurs pratiques) et grâce à cette programmation et les liens tissés on a réussi à susciter une ouverture d’esprit et curiosité beaucoup plus grandes.

INFOS PRATIQUES :
SOIXANTEDIXSEPT
Quand Rossellini filmait Beaubourg
du 11 mars au 16 juillet 2017
La Ferme du Buisson
Scène nationale de Marne-la-Vallée (77)
Allée de la Ferme – Noisiel
77448 Marne-la-Vallée Cedex 2
http://www.lafermedubuisson.com/programme/soixantedixsept-les-40-ans-du-centre-pompidou
http://www.lafermedubuisson.com

AILLEURS EN SEINE-ET-MARNE :
Prochaines interviews
• SoixanteDixSept
Hôtel du Pavot
Frac Ile de France, le château, Rentilly
SoixanteDixSept
Experiment
Centre Photographique d’Ile de France
107 Avenue de la République
77340 Pontault-Combault
http://www.cpif.net

A LIRE EGALEMENT
> Les 40 ans du Centre Pompidou en Grand Paris (2) : Le Frac Ile de France
Rencontre avec Xavier Franceschi
http://9lives-magazine.com/11175/2017/03/17/xavier-franceschi-face-defi-soixantedixsept/
> Les 40 ans du Centre Pompidou en Grand Paris (3) : Le CPIF
Rencontre avec Nathalie Giraudeau
http://9lives-magazine.com/11553/2017/03/22/40-ans-centre-pompidou-grand-paris-3-cpif-rencontre-nathalie-giraudeau/

Marie-Elisabeth De La Fresnaye
Après une formation en littérature et histoire de l'art, Marie de la Fresnaye intègre le marché de l'art à Drouot et se lance dans l'événementiel. En parallèle à plusieurs années en entreprise dans le domaine de la communication éditoriale, elle créé son blog pour partager au plus grand nombre sa passion et expertise du monde de l'art contemporain et participe au lancement du magazine Artaïssime.

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